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Regard critique · Justice sociale

Le logement social au coeur de la tension entre rénovation et protection du patrimoine

Après 10 ans de lutte stérile, la Cité moderne obtient son permis d’urbanisme pour rénover des logements sociaux classés. Un cas isolé ?

25-09-2009 Alter Échos n° 281

Après 10 ans de lutte stérile, la Cité moderne obtient son permis d’urbanisme pour rénover des logements sociaux classés. Un cas isolé ?

Insalubres, vétustes, ne correspondant plus aux standards du confort actuels, les logements sociaux font depuis plusieurs années l’objet d’opérations de rénovation.Objectif a minima : les mettre aux normes de salubrité et de sécurité. Avec le temps, l’obligation d’efficience énergétique s’est greffée à cesrénovations. La tâche des opérateurs du logement public n’est pas toujours aisée, d’autant qu’ils doivent faire en fonction des budgets disponibles. Aussi, quand desimpératifs légitimes de conservation du patrimoine historique apparaissent, la tâche peut se révéler bien plus ardue que prévu.

Moderne, mais vétuste

En Région bruxelloise, le complexe de la rue du Grand Air appartenant à la société de logement social la Cité moderne est exemplaire. Il aura fallu dix ans pourdélivrer le permis d’urbanisme autorisant la rénovation de ces logements classés, situés à Berchem-Sainte-Agathe. De style cubiste, le bâtiment compte 27logements. L’intention de la Cité moderne est de les transformer en 16 logements de grande taille accessibles aux personnes handicapées.

« Au départ, les façades et les toitures étaient classées, rappelle Pierre Blondel1, l’architecte en charge du projet de rénovation. Leprojet de Victor Bourgeois était révolutionnaire pour son époque avec ses toitures plates et ses murs en béton. Mais aujourd’hui, cela pose des problèmesd’étanchéité. Il ne faut pas oublier que Victor Bourgeois n’avait que 23 ans lorsqu’il les a réalisés dans les années 20. » Il s’agit donc d’uneœuvre de jeunesse qui n’était pas exempte de défaut. « Quand je suis rentré dans ces logements, j’ai constaté que les fenêtres étaientplacées très hautes, poursuit Pierre Blondel. Lorsque l’on s’assied, on ne peut regarder dehors. Or, aujourd’hui, les gens qui ont accès au logement social restent le plussouvent chez eux, ce ne sont plus des ouvriers qui travaillent en journée. » Avoir une vue sur l’extérieur tombe sous le sens pour l’architecte. Il projette de relever lesplanchers et de transformer les logements en duplex de plusieurs chambres conformément à la demande de la Cité moderne. Il prévoit aussi d’isoler le bâtiment parl’extérieur, comme on le fait partout aujourd’hui et comme on l’a fait pour la maison Guette à Anvers et le Weisenhaff en Allemagne. Rapidement, la Commission royale des monuments etsites (CRMS) s’oppose au projet. Commence alors une lutte homérique.

On ne fera pas le compte des volées de bois vert et des vers parfois assassins (voir encadré) qui ont émaillé les échanges entre la CRMS et le bureaud’architecture de Pierre Blondel. On ne fera pas non plus le compte des questions et autres interpellations parlementaires qui ont porté sur ce sujet pendant deux législatures et lesdiverses tentatives de conciliation menées par le gouvernement régional. On retiendra, qu’excédée, la précédente secrétaire d’État au Logementet à l’Urbanisme, Françoise Dupuis (PS), fustigera plus d’une fois l’intransigeance de la CRMS. Exemple de sa verve : « Nous espérons que la vision passéistesouvent défendue par la CRMS dans le cadre du patrimoine social classé (…) puisse évoluer vers une vision plus adaptée à notre mode de vie actuel et qu’elletienne également compte des facteurs induits par la vie sociale, le confort des habitants et les exigences énergétiques. »

Fin de l’histoire?

Aussi, peut-on considérer que l’histoire touche à sa fin, lorsque ce 10 septembre 2009, le gouvernement bruxellois accueille favorablement le recours introduit en avril 2009 par laCité moderne, à la suite du dernier refus d’octroi du permis d’urbanisme par l’administration régionale. « Avec cette décision, c’est une vraie saga longue deplusieurs années qui prend fin, commente Emir Kir (PS)2, l’actuel secrétaire d’État en charge de l’Urbanisme. Enfin, cette partie de la Cité moderne va pouvoirêtre rénovée et accueillir de nouveaux occupants. Quand l’on sait le manque crucial de logements sociaux en Région bruxelloise, cette nouvelle ne peut qu’êtreréjouissante. Autre bonne nouvelle : nous avons particulièrement veillé à ce que cette rénovation permette une meilleure isolation des bâtiments, et donc desubstantielles économies d’énergie pour ses habitants. »

À la Société du logement de la Région bruxelloise (SLRB)3, on est soulagé de voir se clôturer l’affaire tout en regrettant que cela ait prisautant de temps. « On est là pour que cela avance le plus vite possible, explique Stefan Cornelis, président du Comité de direction de la SLRB, mais on a toujoursveillé à privilégier la voie du dialogue en respectant les différents points de vue ». Yves Lemmens, directeur général ff de la SLRB, abonde dansce sens : « Dans la plupart des cas, on dégage une solution par le dialogue. Nous sommes pour la conservation du patrimoine, mais il faut le faire évoluer pour le confort desgens et leur sécurité. Dans le cas de la Cité moderne, il a fallu passer par un recours, car le dossier était devenu passionnel et passionné. Il était doncutile de confier le soin de trancher à une instance neutre afin de mettre fin à ce débat stérile. » Cela dit, précise encore Yves Lemmens, l’objectifn’est pas de remettre le rôle de la CRMS en question. Elle a été créée après l’époque du tout-au-béton et son rôle reste important.

Même s’il a été en butte avec la CRMS, l’architecte Pierre Blondel se déclare pour une CRMS indépendante. Il se pose néanmoins la question de savoircomment elle fonctionne. Au final, c’est le projet initial de rénovation, pour lequel le bureau d’architecture a été sélectionné, qui sera mis en œuvre.« On ne modifie pas le bâtiment, on ne modifie pas les portes, on ne modifie pas les châssis et le volume sera respecté, rappelle Pierre Blondel. En fait, on auraitdû le faire il y a dix ans, cela aurait coûté beaucoup moins cher à tout le monde. Entre-temps, les bâtiment se sont dégradés et ils ont dûêtre murés parce qu’ils étaient squattés. Maintenant que le permis est enfin délivré, on va lancer un appel d’offres pour trouver unentrepreneur. » Il est sans doute encore trop tôt pour affirmer que ce dossier fasse jurisprudence. Du moins, peut-on l’espérer. Une chose est sûre, l’architecte nesouhaite plus travailler sur des bâtiments classés en Région bruxelloise. Amer, il ne tire aucune joie de cett
e « victoire ».

La Wallonie a déjà fait ses armes

En Région wallonne, Alain Rosenoer, directeur-général de la Société wallonne du logement (SWL)4, se rappelle de discussions animées autour dedossiers de ce type. Le plus emblématique remonte à la fin des années nonante et concerne la ferme de Anthisnes, en province de Liège. « Il s’agissait, entreautres, de réhabiliter une ancienne grange sans fenêtres en logements sociaux. Ce n’était pas notre premier dossier du genre, explique-t-il, mais c’était un gros dossierqui a fait jurisprudence pour ceux qui ont suivi. Aujourd’hui, les règles sont connues. On tient compte des intérêts des différentes parties. Pour certainesopérations, l’Institut du patrimoine wallon est très réactif. Il nous a aidés à mener à bien celles-ci. »
Le dialogue prime avant tout. « On connaît les exigences de l’Institut du patrimoine et eux savent qu’elles sont nos contraintes et nos budgets, poursuit Alain Rosenoer. Concernantl’isolation par l’extérieur, il faudra trouver des solutions. Cela va compliquer les solutions techniques et il y aura un surcoût liés à l’isolation complète età la conservation du patrimoine. Mais il faudra passer par là, car l’isolation par l’intérieur n’est pas une bonne solution. »

Bourgeois, l’Architecte et les Petits Malins (extrait)

(…) Entre architectes et commission
C’est tout de suite les barricades
Comment entendre la raison
Quand on débat de la façade?

Les architectes veulent isoler
Par l’extérieur, mais cette manière
Est refusée (car l’assemblée
Se fiche des charges du locataire)
(…)

Pour la version intégrale : http://www.pblondel.be

Un cas non isolé

Au Foyer laekenois, on a connu des problèmes similaires en 2004 pour des logements sociaux datant des années 20. Là, il a fallu quatre ans pour débloquer un projetvisant la rénovation de 40 logements classés, situés rue Fineau à Laeken. « La CRMS s’est opposée au projet nonobstant l’avis positif de l’Administrationdes monuments et sites, explique Patrick Vanschoenbeek, directeur-gérant du Foyer laekenois5. Nous avons introduit un recours au gouvernement et obtenu le permis d’urbanisme en2008. Aujourd’hui, nous sommes en train de vider ces logements et de reloger les occupants ailleurs. Les travaux devraient commencer dès janvier 2010. Nous ne devrions plus êtreconfrontés à de tels problèmes, car nous arrivons au bout de la rénovation de notre patrimoine datant d’avant 1930. »

1. Pierre Blondel architectes sprl :
– adresse : place Flagey 7 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 649 81 81
– courriel : pblonde@skynet.be
– site : www.pblondel.be
2. Cabinet d’Emir Kir, secrétaire d’État en charge de l’Urbanisme
– Botanic Building, bd Saint-Lazare 10 – 12e étage à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 506 34 11
– site :www.emirkir.be
3. SRLB (Société du logement de la Région bruxelloise) :
– adresse : rue Jourdan 45-55 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 533 19 11
– site : www.slrb.irisnet.be
4. SWL (Société wallonne du logement) :
– adresse : rue de l’Écluse, 21 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 20 02 11
– site : www.swl.be
5. Foyer laekenois :
– Cité modèle à 1020 Bruxelles
– tél. : 02 479 00 48
– site : www.foyerlaekenois.be

Baudouin Massart

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