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Politique

«Le CPAS n’est pas un hamac, c’est un tremplin»

Dans la foulée des communales, David Weytsman (MR) a choisi de prendre la tête du CPAS de la Ville de Bruxelles, en étant au cœur des enjeux sociaux. Face à la fin programmée des allocations de chômage après deux ans, à l’arrivée attendue de milliers de nouveaux bénéficiaires et à la nécessité de renforcer l’insertion professionnelle, le libéral défend une vision axée sur l’émancipation individuelle, l’anticipation budgétaire et une collaboration accrue avec le secteur privé.

Pierre Jassogne et Clara Van Reeth 29-09-2025 Alter Échos n° 525

AÉ: Au lendemain des élections, votre nom circulait pour être le premier échevin de Philippe Close, mais vous avez préféré la présidence du CPAS. Qu’est-ce qui a motivé ce choix?

David Weytsman: J’étais candidat bourgmestre et notre campagne reposait sur deux thématiques: ramener de l’ordre dans la rue et dans les budgets d’une part, et ramener de l’émancipation sociale d’autre part. J’ai choisi le CPAS, car c’était le cœur de notre engagement. Le CPAS de la Ville de Bruxelles, c’est tout ce qu’on connaît d’un CPAS (action sociale, emploi, insertion professionnelle, logements), mais aussi un pôle «hébergement», composé de maisons de repos, de centres pour personnes en situation de handicap, d’institutions pour enfants sans famille et des structures de soutien à la parentalité. Et c’est également, avec la Ville, la gestion des cinq hôpitaux. Puisqu’on voulait être actifs dans les questions tant de sécurité et d’ordre que d’émancipation sociale, c’est ici qu’il fallait être.

AÉ: Vous succédez à plus de 20 ans de présidence socialiste. Quels sont, si vous deviez les résumer, et peut-être aussi après presque un an de mandature, les changements et la vision que vous voulez apporter?

DW: Je ne me définis certainement pas en opposition à ce qui a été fait dans le passé. Le CPAS de la Ville de Bruxelles est un grand CPAS, et c’est certainement grâce à l’action menée ces dernières décennies. Cela étant, notre accord de majorité insiste sur l’émancipation sociale individuelle. On insistera donc moins sur le volet assistance – même si on est là aussi pour répondre aux besoins des plus vulnérables – et davantage sur le volet accompagnement et émancipation individuelle.

Je ne me définis certainement pas en opposition à ce qui a été fait dans le passé. Le CPAS de la Ville de Bruxelles est un grand CPAS, et c’est certainement grâce à l’action menée ces dernières décennies. Cela étant, notre accord de majorité insiste sur l’émancipation sociale individuelle.

AÉ: La limitation des allocations de chômage à deux ans aura d’importantes conséquences pour les CPAS; avez-vous des estimations sur l’afflux de personnes que cela provoquera à Bruxelles? Et comment vous préparez-vous?

DW: Au sein de notre CPAS, le département d’action sociale a réalisé une étude qui estime qu’environ 8.000 personnes seront touchées par la réforme sur le territoire de la ville de Bruxelles. Sur ces 8.000 personnes qui perdront leur droit au chômage, une partie se dirigera vers l’emploi, aux alentours de 25%. Une autre partie sera dirigée et accompagnée par l’Inami. Une troisième partie, 30% maximum selon notre étude, arrivera au CPAS. Notre rôle sera d’établir s’il y a des problèmes d’assuétude, de logements, des problèmes familiaux, sociaux… Et une fois seulement ces problèmes en partie résolus, on dirigera vers la formation et l’emploi. Pour accueillir ces nouveaux bénéficiaires, nous allons ouvrir une nouvelle antenne dans les prochains mois, et une seconde en 2026. Ces personnes qui arriveront, nous les attendons avec des antennes sociales qui ont été renforcées. J’ai fait le choix d’anticiper la réforme en orientant une partie des budgets sur l’engagement d’assistants sociaux et d’agents d’insertion professionnelle. Nous avons déjà engagé 25 personnes et prévoyons d’en engager une trentaine au total d’ici à la fin 2026.

AÉ: Quels publics priorisez-vous dans votre accompagnement?

DW: Sur ces 8.000 personnes qui perdront leur droit au chômage, il y a une partie qui n’aura plus aucun droit, parce qu’elles vivent avec une personne qui travaille. On estime leur nombre à 1.000, dont 80% de femmes. Je m’inquiète pour celles dont le pouvoir d’achat risque fortement d’être diminué. Je travaille avec la Ville pour que ces personnes soient identifiées et prioritaires dans nos actions.

AÉ: Ce qui est sûr c’est que la surcharge de travail des AS n’est près de s’arranger…

DW: Durant ces premiers mois de présidence, j’ai fait le tour de nos antennes du département d’aide sociale du CPAS. J’ai toujours dit la même chose: «Je ne veux pas vous mentir, on n’arrivera pas à baisser la charge de travail. Mais on doit s’engager à, au minimum, ne pas l’augmenter.» Cela se fera via des engagements bien identifiés, par la réorientation de certaines forces vives vers la première ligne et par des simplifications administratives.

 

Sur ces 8.000 personnes qui perdront leur droit au chômage, il y a une partie qui n’aura plus aucun droit, parce qu’elles vivent avec une personne qui travaille. On estime leur nombre à 1.000, dont 80% de femmes.

AÉ: Vous insistez sur l’émancipation sociale via l’emploi. Au niveau wallon, Pierre-Yves Jeholet, souhaite rapprocher les CPAS et le Forem, ou les faire collaborer davantage. Est-ce que ce sera un enjeu à Bruxelles également de davantage collaborer avec Actiris?

DW: Les réformes en cours sont toutes intéressantes, même si elles diffèrent d’une région à l’autre. En Wallonie comme en Flandre, l’objectif est d’assurer un contact rapide et suivi avec les demandeurs d’emploi. À Bruxelles, la question de la collaboration entre les CPAS et Actiris se pose clairement, et la réponse est oui: ce partenariat est essentiel. En tant que président du CPAS de la Ville de Bruxelles, mais aussi en observant la situation dans d’autres communes, je constate que les CPAS, surtout les plus petits, rencontrent de grandes difficultés pour mettre en place des services d’insertion socioprofessionnelle. C’est pourquoi il est indispensable que des acteurs comme Actiris et Bruxelles Formation continuent à travailler avec nous. Nous avons déjà des collaborations, même si les financements restent limités et insuffisants par rapport à nos besoins.

AÉ: Face à cette réforme, quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face?

DW: La réforme constitue un véritable défi: d’un côté, elle vise à offrir un meilleur accompagnement, mais, de l’autre, elle intervient dans un contexte budgétaire extrêmement serré. C’est pourquoi, avec mon collègue Didier Wauters, échevin de l’emploi, nous avons présenté un plan mobilisant les outils disponibles, à la fois communaux et régionaux, afin d’absorber une partie du choc. Enfin, il faut être clair: la politique, c’est faire des choix. Ceux qui trouvent un emploi voient leur situation s’améliorer, tandis que ceux qui basculent du chômage vers le CPAS maintiennent plus ou moins leur pouvoir d’achat, voire l’augmentent si nous atteignons l’objectif des 2.000 personnes insérées. Mais pour ceux qui n’ont aucune ressource, la situation reste beaucoup plus alarmante. L’objectif essentiel, c’est d’améliorer l’accompagnement des personnes. Ce qui m’inquiète, c’est que tous les partis ne saisissent pas pleinement cette opportunité.

AÉ: Vous misez sur le privé pour faciliter la remise à l’emploi via les contrats d’insertion socioprofessionnelle (article 60). Quels partenariats avez-vous développés? Avec quelle ambition? Quels résultats?

DW: Le recours au privé, très développé en Flandre, est un levier que nous voulons renforcer à Bruxelles, où on travaillait surtout avec les associations et la commune. Le but est de multiplier les possibilités d’orientation, notamment pour capter des personnes peu motivées par les offres actuelles d’article 60. De plus, le secteur public, en période de contraintes budgétaires, engage moins. Diversifier vers le privé augmente les chances d’embauche et soutient l’économie locale, tout en développant notre tissu social avec des entreprises engagées dans les quartiers. Des fédérations proposent d’accueillir chaque année jusqu’à 150 personnes en insertion directe. Lorsque je suis arrivé, le 3 février, le CPAS comptait environ 500 contrats «Article 60»; d’ici à la fin de l’année, je souhaite qu’on arrive à 800. Et à 2.000 d’ici deux ou trois ans, un chiffre ambitieux, mais nécessaire.

Le recours au privé, très développé en Flandre, est un levier que nous voulons renforcer à Bruxelles, où on travaillait surtout avec les associations et la commune. Le but est de multiplier les possibilités d’orientation, notamment pour capter des personnes peu motivées par les offres actuelles d’article 60. De plus, le secteur public, en période de contraintes budgétaires, engage moins.

AÉ: Vous évoquez la nécessité du «bâton» pour ceux qui ne s’engagent pas dans un parcours d’activation. Quel type de sanctions prévoyez-vous?

DW: On ne peut pas orienter tout le monde vers la formation ou l’emploi, notamment les publics fragiles (familles monoparentales, personnes en situation de précarité ou psychiquement fragiles). C’est pourquoi nous renforçons les assistants sociaux et adaptons les dispositifs, comme le projet Myriam pour les femmes seules. Nous aidons au maximum et traitons les urgences avant la réinsertion. Par exemple, une personne sans abri ne sera pas directement placée en emploi sans accompagnement préalable. Quant aux sanctions, elles sont un volet essentiel du contrat social: elles s’appliquent aux comportements déviants – faux certificats, refus de travail. Récemment, 150 étudiants ont été sanctionnés pour ne pas avoir travaillé durant l’été. Ces mesures sont appliquées avec fermeté, mais aussi dans un cadre d’accompagnement. Aider n’exclut pas la responsabilité. Le CPAS n’est pas un hamac, c’est un tremplin. À l’avenir, les mesures de contrôle seront renforcées. Il est inacceptable que des personnes utilisent de faux certificats médicaux, un phénomène qui se répand de plus en plus, et ce, alors que des assistants sociaux, des agents d’insertion, ainsi que des job coachs sont mobilisés pour offrir un accompagnement complet.

À l’avenir, les mesures de contrôle seront renforcées. Il est inacceptable que des personnes utilisent de faux certificats médicaux, un phénomène qui se répand de plus en plus, et ce, alors que des assistants sociaux, des agents d’insertion, ainsi que des job coachs sont mobilisés pour offrir un accompagnement complet.

AÉ: Comment le CPAS équilibre-t-il sanctions et accompagnement?

DW: Nos dispositifs visent à accompagner tout en garantissant le respect des engagements. La loi de 1976 prévoit ces sanctions, qui doivent être assumées. On ne remet pas vers l’emploi sans que les problèmes personnels soient réglés, sauf demande explicite. Les entreprises doivent pouvoir faire confiance à cette filière d’insertion. Si une formation ou un emploi est accepté, il faut l’assumer pleinement. Cette rigueur est indispensable pour la cohésion sociale.

AÉ: Comment voyez-vous l’évolution du rôle des CPAS dans les années à venir? Faut-il revoir la gouvernance bruxelloise entre communes et Région?

DW: Je ne suis ni sociologue ni juriste, donc je n’entends pas détailler les changements institutionnels. Mais je note que la diversité des politiques sociales locales nuit à leur lisibilité et efficacité. Un rapprochement, voire une fusion, entre communes et CPAS permettrait de mutualiser les moyens pour mieux absorber les crises. Bruxelles a un CPAS bien structuré avec plus d’une dizaine d’antennes sociales de proximité. Mais d’autres communes accusent un retard. La précarité ne s’arrête pas aux frontières communales: il faut agir pour l’ensemble des 19 communes. Le sens de l’histoire est de tendre vers plus de cohérence, avec un meilleur équilibre entre niveaux local et régional, sans changer précipitamment les institutions.

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