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Regard critique · Justice sociale

« Femmes monoparentales » et précarité : l’équation (im)parfaite

L’Université des Femmes1 et le Nederlandstalige Vrouwenraad2 ont uni leurs savoirs à l’occasion du colloque « Femmes monoparentales »organisé le 16 novembre dernier. Cette initiative a permis de lever le voile sur une étude conjointe de l’ULg et de l’Université des Femmes sur la situation de ce publicdoublement étiqueté : en tant que femmes d’abord, femmes seules avec charge de famille ensuite.

04-12-2006 Alter Échos n° 220

L’Université des Femmes1 et le Nederlandstalige Vrouwenraad2 ont uni leurs savoirs à l’occasion du colloque « Femmes monoparentales »organisé le 16 novembre dernier. Cette initiative a permis de lever le voile sur une étude conjointe de l’ULg et de l’Université des Femmes sur la situation de ce publicdoublement étiqueté : en tant que femmes d’abord, femmes seules avec charge de famille ensuite.

« Les difficultés particulières des femmes monoparentales proviennent moins de l’insuffisance des mesures spécifiques à leur égard que d’undéficit des politiques sociales destinées à toutes les familles ou même plus généralement à tous les travailleurs ou encore à tous les citoyens.» Cette hypothèse est celle de l’étude quantitative et qualitative menée à la demande de la Plateforme pour les familles monoparentales3 regroupantune quinzaine d’associations des deux côtés linguistiques. En Belgique, 90 % des familles monoparentales ont une femme à leur tête. Entre 1991 et 2002, le nombre depères et mères isolés est passé de 302 416 à 400 649, femmes en tête. Mais ce qui frappe d’autant plus est l’inégalité de genre dansla propension à verser dans la précarité. D’après les indicateurs du PAN 2005-2006 – Plan d’action national d’inclusion sociale –, le tauxglobal de risque de pauvreté est de 13 % mais s’élève à 26 % pour les ménages d’une seule personne quand cette personne est une femme, contre 12 % sic’est un homme.

Vers un profil-type de la femme monoparentale ?

L’étude a pris comme point de départ deux banques de données : le Panel Démographie familiale (PSBH) qui a suivi les mêmes femmes pendant onze ans, soit demanière diachronique ou longitudinale et l’Enquête de santé en Belgique (1997 et 2001) pour l’approche synchronique-transversale. Afin de « comparer lecomparable », la situation des femmes monoparentales a été confrontée à celle de femmes vivant en couple. Sans véritable surprise, une sorte de profil-typeémerge : faible niveau de formation, insertion socioprofessionnelle quantitativement faible et qualitativement moyenne, durée de travail supérieure à la moyenne et enfinménage de petite taille.

Cependant, il serait réducteur de classifier cette population uniquement sous le critère juridique du mariage (mariée ou non, célibataire, séparée,divorcée, veuve) ou du critère économique qui pourrait considérer comme famille monoparentale un couple où seul l’un des deux conjoints est pourvoyeur deressources du ménage. En réalité, les situations sont plurielles à l’image de la société où le veuvage – anciennement en tête descauses – arrive de plus en plus tard mais où le divorce est monnaie courante. En outre, la présence ou l’absence de conjoint ne peut être un critère devérification d’isolement car les femmes célibataires devraient être sur un pied d’égalité. L’étude insiste donc sur lanécessité de considérer comme critère valable la question du coût – charge financière et charge de travail – des enfants et de leur prise encharge. C’est ici qu’entrent en considération les thèmes débattus dans le cadre des États généraux de la famille comme le paiement des pensionsalimentaires, les allocations sociales et éventuelles aides fiscales et sociales.

La monoparentalité : épisode plutôt que sortilège !

« Les familles monoparentales et recomposées ne doivent plus être considérées comme des modèles alternatifs mais bien comme des séquences du cycle devie familiale consécutives à une rupture de couple », souligne la recherche. Pour les responsables de l’étude4, la monoparentalité reflète lavéritable nature des politiques nationales menées, qui se résument au conservatisme (préférence pour le modèle traditionnel, patriarcal), au moralisme(condamnation d’une monoparentalité issue du divorce) et au natalisme qui se traduit par un soutien financier accru aux familles nombreuses.

Les trois sources de revenus des femmes monoparentales

Les revenus professionnels et de remplacement : les femmes monoparentales sont surreprésentées parmi les travailleurs à salaire minimum garanti ou à bas salaires. Or,le salaire minimum garanti n’a pas évolué conjointement aux fluctuations de la société : taux de chômage élevé, indexations freinées, etc.Qui plus est l’égalité salariale entre hommes et femmes pour le même niveau de formation est encore loin d’être acquise.

Les allocations familiales : elles ne couvrent pas le coût réel des enfants, et les couvrent moins encore dans les cas ne relevant pas des familles nombreuses. Les femmesmonoparentales possèdent en moyenne entre un et deux enfants.

Les créances alimentaires : incertitudes et inégalités marquent le partage des charges financières de l’éducation des enfants. Cette responsabilitécivile du père est loin d’être un acquis pour la plupart des femmes, surtout en cas de séparation avec violence physique ou morale.

Analyser sous l’angle du genre

La vulnérabilité des femmes monoparentales ne cacherait-elle pas tout bonnement la vulnérabilité des femmes en général, qui subissent directement ouindirectement diverses discriminations ? C’est le constat de la Plateforme pour les familles monoparentales, qui formule deux objections quant à l’adoption de mesuresspécifiques (ex : allégements fiscaux, élévation des revenus de remplacement, etc.). Primo, il faudrait vérifier le caractère réel et effectif de lasituation de monoparentalité pour éviter les abus, tout en respectant la vie privée. Secundo, offrir des avantages financiers pourrait inciter les femmes, dont le profil-type aété établi, à rester dans les mêmes conditions. Dès lors, la Plateforme revendique deux formes de mesures : préventives et de remédiation.

L’option préventive préconise que toute femme doit s’assurer une pleine indépendance économique, ce qui renverse le cliché d’épouse aufoyer. Des mesures possibles sont l’individualisation des droits à la sécurité sociale, de la fiscalité, l’égalité salariale effective etl’incitation au travail à temps plein. En ce qui concerne les enfants, le rehaussement des allocations familiales dès le premier enfant, des soins de santé moinsonéreux pour eux, l’accessibilité aux services comme l’accueil des plus jeunes peuvent être envisagés.

Quant à la remédiation, chaque parent doit pourvoir à l’éducation, à la scolarité et aux besoins de l’enfant, même en cas de divorce.Pour la question délicate du montant des pensions, une grille tenant compte de la situation financière et sociale des débiteurs doit être réalisée.

1. Université des femmes, rue du Méridien, 10 à 1210 Bruxelles – tél. : 02 229 38 25 -courriel : info@universitedesfemmes.be.
2. Nederlandstalige Vrouwenraad, Middaglijnstraat, 10 à 1210 Brussel – contact : Herlindis Moestermans – tél. : 02229 38 15 – courriel: nvr.hmoestermans@amazone.be.

3. Cette plateforme a été initiée par le réseau Flora, réseau pour la formation et lacréation d’emplois avec des femmes.
4. Marie-Thérèse Casman (ULg), Marjorie Nibana (ULg) et Hedwige Peemans-Poullet (Université des femmes). L’ouvrage est disponible sur demande à l’Université desFemmes.

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