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Santé

La tuberculose, une maladie sociale

En Belgique, environ 1.000 cas de tuberculose sont diagnostiqués chaque année, parmi ceux-ci, on compte surtout des personnes sans abri et des exilés. Au CHU Saint-Pierre, celles et ceux qui soignent les tuberculeux au quotidien le répètent haut et fort, cette maladie n’a rien d’un reliquat du passé, mais est aujourd’hui synonyme de précarité.

Flickrcc Yale Rosen

«La tuberculose est éradiquée depuis bien longtemps», Nayat Ahmed Sidi, infirmière, lève les yeux au ciel en nous rapportant les propos entendus dans un talk-show la veille. Si cette réplique la met hors d’elle, c’est parce que la tuberculose et celles et ceux qui en souffrent, elle les côtoie au quotidien à l’unité de long séjour Gustave Derscheid pour les patients tuberculeux du CHU Saint-Pierre, l’hôpital historique d’accueil des malades les plus précaires.

Ouvert en 2019, ce service unique en Belgique est dirigé par la docteure Marie-Christine Payen, cheffe du département de maladies infectieuses. Si, chez nous, 81% des patients guérissent de la tuberculose, c’est non sans effort: le traitement est long et requiert une certaine stabilité, un cadre de vie sécurisé, ce qui est loin d’être la réalité de tous. Alors ici, on soigne, on prend soin, on veille pendant des semaines, parfois des mois.

Dépistage et prévention

La tuberculose est l’une des dix plus grosses causes de mortalité au monde. À l’instar d’autres maladies infectieuses, la prévention et le dépistage sont des enjeux majeurs. Les deux associations de lutte contre la tuberculose en Belgique sont la VRGT (Vlaamse Vereniging voor Respiratoire Gezondheidszorg en Tuberculosebestrijding) et le Fares (Fonds des affections respiratoires), dont le centre bruxellois se trouve d’ailleurs juste à côté de l’unité de long séjour à Saint-Pierre.

Chaque médecin ou chaque laboratoire qui détecte une tuberculose doit la déclarer à la VRGT ou au Fares. Le but est d’assurer un suivi épidémiologique pour mettre en place des actions destinées à protéger les groupes à risque. «Depuis les années 80, la tuberculose a pas mal diminué et on espérait qu’elle continue à diminuer, mais on arrive à un plateau depuis quelques années. Aussi, elle s’est vraiment concentrée dans les populations le plus précarisées qui sont compliquées à dépister, traiter, gérer», éclaire Lilas Weber, cheffe du service de prévention de la tuberculose et des affections respiratoires du Fares.

Avec environ 1.000 nouveaux patients diagnostiqués chaque année en Belgique, la situation dans les grandes villes est préoccupante.

Outre sa mission de recueil des données, l’asbl a une mission de socioprophylaxie. «Pour les tuberculoses contagieuses, on met en place un dépistage des contacts: on va voir les familles, on visite le lieu de travail, de vie, on regarde qui il faut dépister.»

Avec environ 1.000 nouveaux patients diagnostiqués chaque année en Belgique, la situation dans les grandes villes est préoccupante. La Région de Bruxelles-Capitale présente une incidence environ 4,5 fois plus élevée que celle observée en Wallonie ou en Flandre. Les personnes socio-économiquement défavorisées, les sans-abri, les demandeurs d’asile et les migrants en transit sont les plus touchés. Pour chaque public vulnérable, une stratégie de prévention est créée. Par exemple, tous les demandeurs d’asile qui passent par Fedasil doivent faire une radio du thorax en arrivant au Petit-Château. Pour les migrants en transit, c’est plus compliqué. «C’est un public qui est mouvant, alors on passe par les partenaires comme le hub humanitaire. Si leurs médecins voient un signe de tuberculose, ils renvoient vers nous ou les urgences», continue la spécialiste prévention.

Pour les personnes sans abri, le Fares collabore avec le Samu social, les maisons d’accueil, infirmiers de rue ou encore le centre Athéna. «Comme la tuberculose diminue, l’expertise des professionnels diminue aussi, alors on forme le personnel médical et les acteurs sociaux à être attentifs aux symptômes.»

Difficulté supplémentaire, parmi les patients contaminés, seuls 10% développent la maladie, les 90% restants présentant une infection tuberculeuse latente. «Ces personnes risquent de développer la tuberculose au cours de leur vie, en général dans des moments de fragilité, comme la vieillesse, le développement d’autres maladies graves ou lors de la prise de traitements qui diminuent l’immunité», explique le docteur Payen.

Selon l’OMS, un tiers de la population mondiale serait infecté de manière latente. «On peut diminuer le risque de la développer en dépistant et en donnant un traitement, mais, pour deux milliards et demi de personnes, ce n’est pas possible», continue la spécialiste. Sans oublier que l’on compte le plus de cas dans les pays les plus pauvres, là où les systèmes de soins de santé sont les moins développés.

Accueil de tous les patients

En Belgique, plus de 50% des cas de tuberculose sont des ressortissants étrangers. «Ce sont des gens qui font des parcours pas possibles et qui se retrouvent ici dans des conditions sociales très difficiles entourés de gens qui vivent beaucoup de difficultés aussi. On incrimine beaucoup les migrants et les ressortissants étrangers, mais il y a un siècle, la tuberculose était en Europe et c’est nous qui l’avons apportée ailleurs», avance la cheffe du département de maladies infectieuses.

Dans un souci de santé publique, en Belgique, toute personne qui est sur le territoire, quel que soit son statut, peut se faire dépister et recevoir un traitement gratuit de la tuberculose.

«Si vous regardez les recommandations internationales, c’est isolement à domicile, mais ils n’ont pas tous un domicile ou un endroit sécurisé où se reposer» Marie-Christine Payen, cheffe du département de maladies infectieuses.

En cas de signes, les patients sont envoyés par des services médicaux ou se présentent spontanément à la garde. «Les symptômes de la tuberculose sont la toux, éventuellement la température, l’amaigrissement inexpliqué. Si elle n’est pas soignée, les gens peuvent cracher un peu de sang…», clarifie la docteure Marie-Christine Payen. S’ils sont malades, les patients sont pris en charge dans l’hôpital général. «C’est un service spécifique qui est architecturalement conçu avec trente chambres à pression négative, quand vous ouvrez la porte, il y a un appel d’air vers l’intérieur de la chambre pour protéger le personnel et les gens qui sont dans le couloir», ajoute-t-elle.

Les personnes restent hospitalisées le temps de la contagiosité qui se mesure dans les crachats observés au microscope. «Si vous regardez les recommandations internationales, c’est isolement à domicile, mais ils n’ont pas tous un domicile ou un endroit sécurisé où se reposer», soupire Marie-Christine Payen. Comment soigner sur le long terme des personnes qui ont des parcours de vie extrêmement précaires et complexes? C’est tout l’enjeu du travail de ces professionnels.

Sanatorium

Revenons au service de l’Unité Gustave Derscheid. «C’est un truc un peu extraordinaire qu’on a créé ici, justement par rapport à cette problématique de précarité», sourit le docteur Payen. Ce service est en quelque sorte l’équivalent d’un sanatorium, nouvelle génération, version cœur de la ville et portes ventilées. «L’idée de ce centre est née au départ face à la problématique de la tuberculose multirésistante. Lorsque les médicaments ne sont pas bien pris, pas bien digérés ou pas bien prescrits, le bacille peut devenir résistant à ce traitement.»

C’est en Europe de l’Est que les tuberculoses multirésistantes ont émergé. «Le système des soins de santé s’est disloqué en même temps que le bloc de l’Est. C’est la négligence qui a généré la tuberculose multirésistante.» En Belgique, le CHU Saint-Pierre et le docteur Payen ont développé une expertise en la matière. «Les gens contaminés restaient quatre, cinq ou six mois à l’hôpital dans une petite chambre de douze mètres carrés. Petit à petit, l’idée de leur offrir des conditions de vie un peu plus chouette a émergé.»

L’unité flambant neuve est constituée de dix chambres destinées en partie aux tuberculoses multirésistantes de Belgique, et le service accueille également des patients en grande précarité qui n’ont nulle part où aller, mais qui doivent être stabilisés le temps de leur traitement.

Ici, l’ambiance est plus celle d’un foyer aux allures de tour de Babel que celle d’un hôpital classique. On cuisine, fait du sport, joue aux fléchettes ou au kicker, dessine, prend l’air sur la terrasse avec vue sur les Marolles… Les aides-soignants ont été remplacés par des éducateurs et éducatrices. Parmi les patients, des Belges, des Afghans, des Érythréens, des Roumains, alors quand le franglais ne suffit pas, Google Translate ou les interprètes viennent fluidifier les échanges.

Évidemment, l’autonomisation est l’un des grands objectifs de ce service. Nayat Ahmed Sidi a mis en place un programme d’éducation thérapeutique avec l’objectif d’assurer l’adhésion au traitement. «Je vois avec eux comment ils vont gérer le traitement avec tous les facteurs de la vie sociale, par exemple s’ils vont chez un ami ou si c’est le ramadan ou encore s’ils retournent au travail.»

L’infirmière les aide à comprendre la maladie, à déconstruire les peurs ou la culpabilité d’avoir attrapé «cette crasse». «Ce qui est chouette, c’est de voir leur évolution, ils arrivent fermés et, après quelques semaines, il y a une certaine forme d’attachement. On est les seules personnes qu’ils voient pendant des semaines. Ils repartent avec une confiance et quand ils vont à côté au Fares, qui assure le suivi, ils montent et passent nous dire bonjour. Mais c’est clair que, le plus dur, c’est de savoir qu’ils retournent souvent dans la rue.» Pour ces patients, le service ce n’est pas juste un cadre matériel, mais aussi un soutien émotionnel. «Les gens viennent avec tous leurs problèmes, il y a tous les aspects sociaux à gérer en plus de la maladie. C’est important de défendre cette dimension sociale», confie le docteur Payen.

L’enjeu du suivi

La tuberculose multisensible est traitée par plusieurs antibiotiques pendant minimum six mois, et pour la multirésistante, c’est minimum neuf mois. La VRGT et le Fares assurent le suivi des patients tuberculeux qui sortent de l’Unité Derscheid, du service des maladies infectieuses ou de toutes les autres structures de soins, spécialement ceux qui ont des barrières d’accès aux soins ou problématiques sociales. À nouveau, en fonction de chaque public cible, une stratégie est mise en place pour que chaque patient poursuive son traitement jusqu’à sa rémission complète. Cette étape qui peut être longue constitue un risque élevé de décrochage médical et donc de rechute.

«Pour éviter de les perdre de vue, en 2015, on a lancé un partenariat avec Action Damien. Ils nous aident en finançant des ‘incentives’ pour motiver les patients en difficulté à prendre leur traitement. Par exemple, quand les patients passent au Fares pour le suivi, on leur donne des chèques sociaux qui leur permettent d’acheter de la nourriture ou des produits de première nécessité et en même temps, on vérifie leur pilulier. C’est un peu une carotte, mais ça marche assez bien.» Action Damien permet aussi de financer des places dans des maisons d’accueil. «Et ça, c’est vraiment un gros avantage, parce que, vivre dans la rue, ce n’est vraiment pas une condition pour se soigner.» Certaines personnes sans abri peuvent aussi intégrer le Samu social médicalisé, mais les places y sont rares. Pour les autres, les personnes qui dépendent de Fedasil, elles, retournent dans les centres, et les transmigrants sont dirigés vers la plateforme citoyenne.

En 2020, la crise sanitaire et la crise sociale sont venues encore ajouter une couche de difficultés.

Tout est défi, les plus vulnérables sont souvent les plus insaisissables. «Pour les migrants en transit, quand ils nous disent qu’ils veulent passer en Angleterre, on leur donne des médicaments pour tenir un mois et une carte de liaison écrite en anglais qui dit ‘Cher médecin, votre patient a été suivi chez nous contactez-nous pour le suivi du dossier médical.’ On a plusieurs cas de transfert par an, j’ai récemment fait le suivi de patients avec des prestataires de soins en Angleterre et j’ai appris que plusieurs étaient guéris, ça, c’est une belle victoire», ajoute Lilas Weber avec émotions.

Selon le dernier rapport épidémiologique, le taux de guérison est de 81%, 10% des traitements sont interrompus parce que les patients quittent le pays ou sont perdus de vue et on compte 8% de décès, un taux plus important chez les personnes âgées et/ou qui peut résulter d’une autre pathologie que la tuberculose.

Les chiffres sont toujours calculés avec deux ans de retard. En 2020, la crise sanitaire et la crise sociale sont venues encore ajouter une couche de difficultés. «On a beaucoup de cas qui ont été diagnostiqués très tardivement, des gens n’ont pas osé venir ou on leur a dit ‘Vous avez le Covid, restez chez vous’ et trois semaines plus tard ils étaient encore plus mal. On est en train de mettre en place un plan de relance en contactant tous les partenaires pour les sensibiliser…»

Les spécialistes s’inquiètent de l’augmentation de la précarité et de son incidence sur les cas de tuberculose, mais innover, secouer, persévérer, tel est le quotidien de Lilas Weber, Marie-Christine Payen, Nayat Ahmed Sidi, et des actrices et acteurs de l’ombre. Elles et ils pratiquent une médecine sociale bravant les obstacles de la violence de la rue et du parcours migratoire pour ne pas lâcher celles et ceux que le reste de la société préfère souvent abandonner.

Jehanne Bergé

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