Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Archives

La pauvreté n’épargne pas les agriculteurs

Les problèmes rencontrés aujourd’hui par les agriculteurs sont multiples : problèmes financiers, juridiques, sociaux, psychologiques… L’isolement est leprincipal danger qui guette un agriculteur en difficulté. Rompre cet isolement est l’un des objectifs du numéro vert d’Agricall1.

20-06-2008 Alter Échos n° 254

Les problèmes rencontrés aujourd’hui par les agriculteurs sont multiples : problèmes financiers, juridiques, sociaux, psychologiques… L’isolement est leprincipal danger qui guette un agriculteur en difficulté. Rompre cet isolement est l’un des objectifs du numéro vert d’Agricall1.

Il y a dix ans, une étude du professeur Van Hecke de la KU Leuven sur la pauvreté dans l’agriculture wallonne révélait déjà qu’un agriculteur wallon surquatre vivait à l’époque avec l’équivalent du minimex. Si on ne dispose pas de chiffres récents quant à l’évolution de la situation, onpeut, sans se tromper, affirmer, que la situation ne s’est certainement pas améliorée depuis. Des crises conjoncturelles et fortement médiatisées sont venues noircirle tableau : ESB, dioxine, fièvre aphteuse, chute vertigineuse du prix du lait tout récemment, etc. Ces crises peuvent conduire à des situations de détresse totale chezles agriculteurs. Alors que certains d’entre eux travaillent parfois 7 jours sur 7 et 15 à 16 heures par jour, il est de plus en plus fréquent que ces derniers n’arriventplus à joindre les deux bouts. La récente manifestation des agriculteurs dans la capitale n’est qu’un des signes de cette précarisation grandissante. Certains, lacorde au cou, se voient obligés d’abandonner leur exploitation.

Une profession aussi où le taux de suicide semble plus élevé que la moyenne. À la suite de la perte ou de l’abattage de cheptels (même indemnisés),d’intempéries, de difficultés financières, les agriculteurs développent parfois des symptômes de type post-traumatique. Un phénomène qui adébouché, il y a quelques années, sur une recherche-action sur le stress en milieu agricole à l’université de Liège. Résultat de cetteétude : quelque 31 % des agriculteurs avaient un niveau de stress élevé et près de 30 % un niveau de burn out important… Cette importance du stress chez lesagriculteurs est significativement plus élevée que pour d’autres secteurs étudiés : secteur bancaire, enseignement, police. Un constat qui a mené àcréer Agricall2, un numéro vert pour les agriculteurs wallons en difficulté.

Concrètement, Agricall fonctionne depuis novembre 2001, d’abord sous le nom de Preventagri, ensuite en 2005 sous la forme d’une asbl dénommée Agricall.L’association assure une permanence téléphonique anonyme et confidentielle accessible aux acteurs agricoles. Elle assure également des services d’accompagnement,d’aide et un relais au niveau psychologique, social, familial, financier (audit), juridique et accompagne la recherche d’emploi. En outre, l’association dispense des formations etréalise des actions de sensibilisation.

Une précarité méconnue

« On assiste à un élargissement de la population fragilisée, constate-t-on chez Agricall2. Ce ne sont plus seulement des petites exploitations qui sontcontraintes de cesser leurs activités, mais aussi des exploitations moyennes voire importantes. Les situations de surendettement et de précarité touchent une population de plusen plus jeune, mais néanmoins trop âgée et/ou trop peu formée pour retrouver un emploi dans d’autres secteurs. Ainsi, la moyenne d’âge des personnes endifficulté, prises en charge par Agricall Wallonie, est de 46,5 ans. Toutes ces personnes pensent à arrêter leur activité car elles sont en état d’épuisement,voire en dépression. Trente pour cent d’entre elles recherchent néanmoins activement une possibilité d’emploi complémentaire pour pallier le manque derentabilité de leur exploitation. »

Le problème, c’est que les compétences très spécifiques des agriculteurs et agricultrices sont difficilement transférables telles quelles àd’autres secteurs d’activité. À ce manque de « mobilité » s’ajoute le fait que plus de la moitié des chefs d’exploitation ont plus de50 ans et un faible niveau de formation (niveau primaire). Le vieillissement de la population et la disparition des emplois dans ce secteur trouvent également leur origine dans le manque decandidats repreneurs (moins de la moitié des exploitations ont un repreneur potentiel).

Ce ne sont plus seulement les agriculteurs et agricultrices qui perdent leur emploi mais aussi tous les métiers connexes : vendeurs de matériels, de produits, d’aliments,vétérinaires ruraux, etc. qui se retrouvent en faillite. En 2005, le nombre de factures impayées chez les vétérinaires ruraux en Région wallonne adoublé.

Une précarité souvent méconnue des CPAS et des services sociaux privés, pour différentes raisons dont la première réside dans le fait que lesagriculteurs sont souvent des propriétaires importants de biens mobiliers et immobiliers. En outre, leur pauvreté se caractérise par un travail harassant et despossibilités d’auto-production alimentaires. Ces situations ne correspondent pas à l’image traditionnelle du demandeur d’aide et le droit à l’aide sociale et au revenud’intégration sera donc plus difficile à établir. Ensuite, les agriculteurs ont généralement le statut d’indépendant et ils ont souvent des typesdifférents de financement liés à leurs activités. En cas de surendettement, la gestion des problèmes par les centres de médiation de dettes wallons n’est pasaisée vu la complexité des situations et l’importance des montants en jeu.

Informer sur le statut de conjoint aidant

Pour lutter contre ces situations de précarité, Jean-Marc Delizée (PS), secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté3, plaidepour que les mécanismes de solidarité soient renforcés au bénéfice des indépendants et des petits entrepreneurs qui éprouvent des difficultéset, notamment, des agriculteurs. Afin d’entendre les demandes en la matière, le secrétaire d’État s’est rendu ce 18 juin chez Agricall Wallonie. « Parmiles demandes qui remontent, plusieurs ont retenu mon attention, commente Jean-Marc Delizée. Ainsi faire mieux connaître le statut de conjoint aidant, qui permet de jouir d’unstatut social et fiscal propre, semble une priorité car dans le monde des agriculteurs, ce statut reste encore trop peu connu. En cas de séparation, le conjoint qui a aidé durantde nombreuses années à la ferme, se retrouve sans droit et cela crée des drames. Il s’avère également qu’en cas de faillite, les agriculteurs ne peuventbénéficier de l’excusabilité accordée aux commerçants faillis4, il faudrait voir avec le ministre compétent dans quelle mesure la loi sur lafaillite pourrait
être revue afin d’y intégrer l’excusabilité aussi pour les agriculteurs. Les agriculteurs en procédure de règlement collectif de dettessouhaiteraient également bénéficier du statut Omnio pour continuer à pouvoir accéder aux soins de santé. Enfin, se pose aussi la question de la perte derevenu pour les agriculteurs qui doivent arrêter de travailler juste après 50 ans pour des raisons de santé. Un vaste chantier qui ne concerne d’ailleurs pas que lesagriculteurs. »

Fort des informations concrètes transmises par Agricall, Jean-Marc Delizée entend alimenter le contenu du plan d’action fédéral de lutte contre la pauvretéqu’il élabore en ce moment et qu’il déposera le 4 juillet prochain au Conseil des ministres.

1. Agricall asbl:
– adresse : rue Godefroid, 34 à 5000 Namur
– tél. : 081 22 48 66 ou 081 22 43 85
– courriel : permanence@agricall.be
– site : www.agricall.be
Un numéro vert pour les agriculteurs, agricultrices et acteurs du monde rural : 0800 85 0 18, ligne d’écoute et d’information ouverte du lundi au samedi de 12h à 21h(mercredi jusque 16h30).

2. Source : www.agricall.be
3. Jean-Marc Delizée, secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté :
– adresse : rue Ernest Blérot, 1 à 1070 Anderlecht
– tél. : 02 238 28 11
– site : www.jmdelizee.be
4. Depuis le 1er octobre 2002, date d’entrée en vigueur de la loi du 4 septembre 2002, le commerçant « personne physique » qui a respectéraisonnablement les obligations qui découlent de son statut de commerçant et qui s’est comporté de manière honnête reçoit automatiquement lapossibilité de repartir à zéro après une éventuelle faillite sans courir le risque d’être à tout moment poursuivi par les dettes du passé. LeTribunal le décharge des dettes accumulées à la date de sa déclaration de faillite. Ses créanciers ne peuvent plus lui réclamer le paiement de ce qu’illeur devait. La loi va même plus loin : elle prévoit que l’excusabilité d’un commerçant en faillite décharge également automatiquement les personnesphysiques qui se sont portées cautions de ses obligations ainsi que son conjoint, au contraire des cautions « professionnelles » (comme la caution d’une banque, par exemple) qui restent, elles,tenues des dettes du failli.

catherinem

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)