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Agriculture

Abattage à la ferme: le grand retour à la tradition?

«Avant», on tuait les veaux, vaches et cochons dans la ferme. Les abattoirs ont pris le relais et sont devenus des industries de production de viande. Mais ils sont de moins en moins adaptés aux besoins et aux aspirations des petits éleveurs en circuit court. Alors si on revenait à l’abattage à la ferme? Pour des raisons aussi de bien-être animal? L’idée fait son chemin, elle est même arrivée jusqu’à la table du gouvernement wallon.

© Flickrcc Ramendan

Les vaches limousines défilent, majestueuses, devant la maison d’Hubert del Marmol, éleveur et agriculteur de la ferme bio du Petit Sart à Grez-Doiceau. Ce sont des bêtes dites «rustiques», peu dociles qui vivent en autonomie dans les prairies et n’ont pas besoin de vétérinaire pour vêler. Hubert del Marmol en possède trente et il les connaît toutes. Il en abat cinq à huit par an, pour vendre leur viande en circuit court. Pour ce faire, Hubert doit les faire transporter jusqu’à Ciney, à une heure de route environ. «Cela fait longtemps qu’il n’y a plus un seul abattoir dans le Brabant wallon.» L’éleveur n’est pas le seul à devoir parcourir beaucoup de kilomètres pour faire abattre ses bêtes. La fermeture en juin dernier de l’abattoir de Charleroi a été un coup dur pour le secteur. La Fédération wallonne de l’agriculture (FWA) a dénoncé à l’époque l’impact «dramatique» de cette décision sur les éleveurs et demandé au ministre wallon de l’Agriculture Willy Borsus de tenter de trouver un repreneur. Cela n’a pas été possible. Sept personnes ont perdu leur emploi à Charleroi et les éleveurs, qui travaillent en circuit court, doivent désormais se rendre à Ath ou à Ciney où ils peuvent trouver un abattoir certifié bio. La fermeture de l’abattoir de Charleroi survient après une série d’autres faillites. En 30 ans, la Wallonie a perdu la moitié de ses petits abattoirs, appelés aussi «abattoirs de proximité».

«Il existe deux types d’abattoir, explique Nicolas Marchal, conseiller au service d’études «production de viande» de la FWA. Les abattoirs ‘de volume’ qui sont des usines à viande, destinées à faire de la viande ‘premier prix’ pour de grandes surfaces et qui tuent plus de 500 bovins et des milliers de cochons par semaine. Et les abattoirs de proximité qui conviennent mieux aux petits éleveurs mais connaissent de gros problèmes de rentabilité.» Les gros abattoirs ne sont pas beaucoup plus performants et travaillent souvent en sous-capacité. Ils ont des difficultés à engager des ouvriers. Ce sont surtout des ressortissants des pays de l’Est (roumains, polonais) qui sont embauchés. Il faut dire que les conditions de travail sont très pénibles: il faut pouvoir passer de zones froides à des zones très chaudes. Il y a l’humidité, la puanteur. Il faut pouvoir gérer les bêtes qui se débattent. Arriver à considérer, sans états d’âme, les animaux comme de simples matières premières à transformer.

«Pour les abattoirs de volume, poursuit Nicolas Marchal, le problème de la distance avec l’exploitation agricole joue moins. On peut aller chercher les bêtes plus loin. Il ne faut pas oublier qu’on peut traverser la Belgique avec des camions à bétail en quatre heures. En France, il faut parfois sept à huit heures de route pour arriver à un abattoir.»

En 30 ans, la Wallonie a perdu la moitié de ses petits abattoirs, appelés aussi «abattoirs de proximité».

Nature et Progrès, qui depuis une petite dizaine d’années, a enquêté sur l’abattage à la ferme, confirme cette distinction en soulignant les difficultés particulières des éleveurs en circuit court. C’est un vrai parcours du combattant, constate l’association environnementale. Certains établissements n’abattent plus toutes les espèces d’animaux en se concentrant exclusivement sur les bovins et les porcs. Les abattoirs privés refusent souvent les abattages d’une ou deux bêtes pour le circuit court. D’autres sont saturés. La distance pour trouver un abattoir joue alors un rôle évident dans la rentabilité de la démarche. «Pourtant, le nombre de producteurs bio progresse tout comme le nombre de boucheries à la ferme et le nombre d’éleveurs proposant des colis de viande.» Pour la FWA, l’abattoir de proximité devrait être considéré comme un service public. «Il en faudrait au minimum un par province et les autorités publiques devraient financer ce secteur qui est en soi déficitaire. Ces abattoirs de proximité pourraient être gérés par une ou des communes.»

Des bêtes stressées qui pressentent leur mort

Mais la distance n’est pas le seul problème. De plus en plus d’éleveurs, surtout ceux qui travaillent en circuit court, remettent en question le fonctionnement des abattoirs et se disent favorables à un abattage à la ferme. Surtout pour des raisons de bien-être animal. Le transport stresse les bêtes, ce qui a aussi un impact évident sur la qualité de la viande. Tout le système est conçu pour des animaux formatés comme le Blanc-bleu et certaines espèces à longues cornes ne passent même pas les couloirs d’abattage.

Hubert del Marmol n’a jamais voulu accompagner ses bêtes à l’abattoir. Il les confie à un transporteur et va rechercher la viande emballée sous vide. «Mes vaches sont nées dans mes bras. Je leur ai mis leur boucle d’oreille. Elles me connaissent, reconnaissent mon odeur. Je suis convaincu que quand elles montent dans le camion, mes bêtes savent qu’elles vont mourir. Elles cherchent à sortir. Ce camion sent l’odeur des autres vaches et de leur stress. Ce camion sent la mort.» L’éleveur bio n’attend que ça: pouvoir faire abattre ses vaches dans leur pré puis les faire découper dans un abattoir proche. «Si ça se met en place, je vous assure que je serai le premier éleveur du Brabant wallon à le faire.»

«Il en faudrait au minimum un par province et les autorités publiques devraient financer ce secteur qui est en soi déficitaire. Ces abattoirs de proximité pourraient être gérés par une ou des communes.» Fédération wallonne de l’agriculture (FWA)

Et, justement, cela pourrait se mettre en place. Les ministres wallons Céline Tellier (en charge notamment du Bien-être animal) et Willy Borsus font réaliser actuellement une étude sur la faisabilité de développement de l’abattage à la ferme. Cette étude a été confiée à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Liège qui a «sondé» les éleveurs à ce sujet. Mais nous n’en saurons guère plus, les deux cabinets ayant verrouillé toute communication à la presse à ce sujet. On sait cependant que plusieurs scénarios sont à l’étude, des scénarios qui ont déjà été défrichés par Nature et Progrès.

L’abattoir sur roues

L’une de ces pistes, c’est le camion mobile d’abattage qui se déplace de ferme en ferme avec tout le matériel nécessaire pour tuer la bête et la découper. Cela existe déjà en France et en Allemagne. C’est surtout adapté aux petits éleveurs et à ceux qui ont des bêtes peu maniables comme certains ovins sauvages… ou les vaches limousines. Par contre, la rentabilité de cette formule est incertaine. Nicolas Marchal, pour le syndicat agricole, est très sceptique. «Cela demande un énorme camion, une grosse logistique. Il faut pouvoir suspendre la bête, transporter tout le matériel de nettoyage, de stockage des déchets, la désinfection. Quand on lit les remarques de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) sur l’abattoir mobile… économiquement parlant, je ne sais pas qui va oser se lancer là-dedans.»

«C’est vrai, ce n’est pas évident, reconnaît Marie (prénom d’emprunt), éleveuse, convaincue par l’abattage à la ferme. Si c’est pour faire trois, quatre bovins par jour, cela risque de ne pas être rentable. Une solution intermédiaire serait de réserver ce camion pendant deux jours pour le circuit court puis de l’installer le reste de la semaine dans une grosse ferme où plusieurs bêtes doivent être abattues.» La Fédération wallonne de l’Agriculture soutient une autre formule, celle du camion semi-équipé avec juste de quoi abattre la bête et qui pourrait transporter la carcasse dans un abattoir de proximité. Mais, «pour des raisons sanitaires, il faut qu’il y en ait alors un dans un rayon de quelques kilomètres. Il ne s’agit pas de transporter la carcasse de Jodoigne à Ciney», note Nicolas Marchal.

Ce sera sans doute aussi une formule étudiée par le gouvernement wallon. Elle devient juridiquement possible puisque les réglementations européennes viennent de l’autoriser. L’Afsca veut néanmoins imposer un délai de 45 minutes au maximum entre la mise à mort et l’éviscération à l’abattoir, ce qui suppose une très grande proximité entre les deux lieux.

«On met le troupeau dehors, on désigne la bête et on tire. Je la ferais ensuite découper à l’abattoir. Je ne suis pas boucher, ce n’est pas mon métier. Pour moi, cela va coûter sans doute plus cher mais la bête sera moins stressée et la qualité de sa viande sera meilleure.» Hubert del Marmol, éleveur et agriculteur de la Ferme bio du Petit Sart à Grez-Doiceau

«Le tir au pré»

Autre possibilité: abattre la bête dans la ferme. Soit dans l’étable, soit par «le tir au pré»: la bête est tuée dans la prairie par un tir à la carabine. Cela se fait déjà couramment en Allemagne et en Suisse. Aujourd’hui, c’est illégal en Belgique mais sans doute plus pour longtemps. Les lignes bougent. Y compris à l’Afsca qui serait de moins en moins réticente aux différentes formules d’abattage à la ferme et dans la ferme. Son avis sera sans doute déterminant pour la faisabilité de celui-ci.

L’abattage réalisé dans l’étable ou la prairie séduit un nombre croissant d’éleveurs, surtout ceux qui vendent la viande à la ferme. «Je sens une vraie ouverture, une réelle évolution des esprits», s’enthousiasme Marie. «J’y suis favorable, dit Hubert del Marmol. On met le troupeau dehors, on désigne la bête et on tire. Je la ferais ensuite découper à l’abattoir. Je ne suis pas boucher, ce n’est pas mon métier. Pour moi, cela va coûter sans doute plus cher mais la bête sera moins stressée et la qualité de sa viande sera meilleure.»

«L’abattage dans la ferme, c’est un vrai fantasme pour les éleveurs en circuit court, reconnaît Marie, qui ajoute: L’abattage est devenu une boîte noire. Le consommateur achète son steak emballé en grande surface. Il ne veut pas savoir, pas imaginer comment ce morceau de viande est arrivé là. On ne supporte plus de voir la mise à mort de l’animal. Un règlement interdit même de rendre visible au public l’abattage des animaux. Les éleveurs sont attachés à leurs bêtes. Ils sont favorables à l’idée de reprendre les choses en main que ce soit par le tir au pré ou la mise à mort dans l’étable. C’est une question de responsabilité, voire de respect de l’élevage.»

«Quand ma vache monte dans le camion, je lui dis au revoir, explique Hubert del Marmol. Je la remercie pour tout ce qu’elle m’a donné, à moi, à la ferme. Mais je suis désolé des conditions de sa mise à mort. C’est ça que je voudrais voir changer.»

En savoir plus

Relisez notre dossier «Qui osera être agriculteur demain?», Alter Échos n°407-408, août 2015.

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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