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L’accueil des demandeurs d’asile : entre avancée et perplexité

D’un côté, Fedasil, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeursd’asile1, s’apprête à publier un ouvrage sur les 20 ans d’accueil en Belgique. De l’autre, plusieurs associations dont le Ciré2 et la Plate-forme de vigilance pour les réfugiés et sans-papiers3 réagissent auprojet de loi sur l’accueil adopté en commission Santé publique de la Chambre le 7 novembre 20064. Un projet qui a le mérite de tenter d’harmoniser lespratiques, bien souvent différentes en fonction du type d’accueil, mais qui ne pallie pas les effets de la crise profonde liée aux dysfonctionnements de la procédured’asile. État des lieux des centres ouverts.

01-02-2007 Alter Échos n° 222

D’un côté, Fedasil, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeursd’asile1, s’apprête à publier un ouvrage sur les 20 ans d’accueil en Belgique. De l’autre, plusieurs associations dont le Ciré2 et la Plate-forme de vigilance pour les réfugiés et sans-papiers3 réagissent auprojet de loi sur l’accueil adopté en commission Santé publique de la Chambre le 7 novembre 20064. Un projet qui a le mérite de tenter d’harmoniser lespratiques, bien souvent différentes en fonction du type d’accueil, mais qui ne pallie pas les effets de la crise profonde liée aux dysfonctionnements de la procédured’asile. État des lieux des centres ouverts.

Actuellement, la Belgique compte environ 16 000 places disponibles dans son réseau d’accueil pour les personnes ayant introduit une demande de reconnaissance du statut deréfugié auprès de l’Office des étrangers (OE). C’est durant cette première phase dite de recevabilité, soit le temps nécessaire pourl’OE de déterminer si oui ou non la Belgique est à même de traiter la demande sur la base de la Convention de Dublin, que le service dispatching de Fedasil procèdeà la répartition des candidats réfugiés dans l’un des 40 centres ouverts placés sous l’autorité du ministère de l’Intégrationsociale.

À côté des 18 centres Fedasil et des 22 centres Croix-Rouge, l’accueil est également assuré par les Mutualités socialistes (centred’Erezée), les Initiatives locales d’accueil (ILA) sous l’autorité directe des CPAS et deux ONG coupoles : le Ciré et Vluchtelingenwerk Vlaanderen5.Un centre d’accueil d’urgence situé à Woluwe-Saint-Lambert permet un hébergement de très courte durée pour les personnes arrivées trop tard lematin à l’OE ou qui ne peuvent arriver à temps dans un centre d’accueil trop éloigné.

Depuis 1986, l’aide offerte consiste en une aide matérielle – logement et couvert – durant la première phase de la procédure, suivie d’une aidefinancière octroyée par les CPAS une fois la demande jugée recevable et l’étude au fond entamée au Commissariat général auxréfugiés et apatrides (CGRA). Cependant, le retard accumulé dans des instances comme le CGRA, la Commission permanente de recours des réfugiés (CPRR) ou le Conseild’État engendre une situation d’engorgement jugée scandaleuse par les défenseurs des droits fondamentaux. D’après le Ciré, plusieurs demandeursd’asile attendent trop longtemps une décision définitive, depuis parfois cinq ou six ans. Une situation directement liée à l’histoire de l’accueil, faitede crises successives…

Une partie de ping-pong entre CPAS et gouvernement

La Belgique s’est engagée, en signant la Convention de Genève de 1951, à offrir une protection aux réfugiés qui séjournent sur son territoire. Avant1986, on ne peut pas parler de politique d’accueil car le demandeur d’asile est inscrit dans une commune et dirigé vers un CPAS si ses revenus sont jugés insuffisants, CPASqui demande remboursement aux autorités. En 1980, par exemple, on comptait quelque 5 000 demandes d’asile par an.

Malgré l’ouverture du premier centre d’accueil en 1986, le Petit-Château à Bruxelles, les protestations se font vives dans les CPAS des grandes villes qui refusentd’accueillir plus longtemps ce public étranger. Plusieurs demandeurs d’asile se retrouvent à la rue quand les ONG ne peuvent contenir à elles seules la demanded’hébergement. De 1987 à 1992, la capacité d’accueil du Petit-Château passe de 300 à 500 places et ce centre accueille un quart des demandeursd’asile, le reste continuant à frapper aux portes des CPAS. Mais avec la chute du mur de Berlin en 1990 et le conflit yougoslave, dès 1993, les demandes augmententjusqu’à 27 000 (1993). C’est à ce moment qu’apparaissent les centres Croix-Rouge. Fin des années 90, la crise au Kosovo amène une nouvelle hausse desdemandes d’asile, qui culminent à plus de 40 000 à l’aube 2000. Les centres sont suroccupés et des initiatives nouvelles sont envisagées avec des ONG ou avecles CPAS, parmi lesquelles les ILA, logements individuels, où est préconisée l’aide matérielle plutôt qu’une aide financière. Dès janvier2001, le gouvernement décide d’appliquer des critères plus sévères pour décourager les candidats. L’aide ne sera plus que matérielle durant laphase de recevabilité, et financière pendant l’examen au fond.

40 000 personnes verront leur situation régularisée en 2000 à la suite d’une campagne de régularisation censée calmer les critiques face à unepolitique d’asile incohérente, aux critères – volontairement ? – flous. Certes, depuis lors, le nombre de demandeurs d’asile est revenu à une moyenneannuelle de 15 000. Cependant, des efforts supplémentaires doivent être fournis pour offrir un accueil le plus individualisé possible tout au long de la procédure.

La politique d’accueil du Ciré : vers une responsabilisation de la personne

L’une des critiques majeures formulées par les intervenants sociaux dans les centres ouverts fédéraux Fedasil ou Croix-Rouge est l’absence de réelleautonomie de la personne, qui se voit contrainte de vivre en collectivité. L’organisation des centres, avec son lot de règles propres à chaque établissement, nepermet pas toujours de préserver l’intimité de l’individu. C’est pourquoi, depuis 1999, l’asbl Coordination et initiatives pour réfugiés etétrangers (Ciré) tente d’offrir un accueil davantage individualisé à travers une offre de 600 places réparties majoritairement en Wallonie. Les logements sontde deux types : individuels – maisons unifamiliales, appartements, studios – et semi-communautaires. Ils sont gérés par quatre associations membres de la Coordination, dontAide aux personnes déplacées (APD), Caritas International, le Centre social protestant et le Service social de Solidarité socialiste (Seso). Le Ciré en assurant quantà lui la coordination générale.

Cependant, l’offre de logements ne constitue qu’une partie du travail mené par l’asbl, qui milite en faveur du plein accès à toute personneétrangère à un logement décent, a fortiori durant la phase de recevabilité, à l’issue incertaine. C’est pourquoi le Ciré tented’informer les personnes quant à leurs droits et devoirs en tant que locataires, et ce dans plusieurs langues. Constituer une garantie locative est souvent le premier frein àl’acquisition d’un logement. L’association dispose depuis 1995 d’un fonds de garanties locatives, qui fonctionne grâce au remboursement des bénéficiaires.Ce fonds est réservé aux demandeurs d’asile recevables, quand le CPAS refuse d’intervenir. Aucun intérêt n’est exigé sur le prêt. ÀBruxelles, le Fonds du logement peut intervenir pour ceux qui ont obtenu le statut de réfugié ou qui ont été régularisés ou naturalisés.

Quant à l’acquisition d’un logement, un projet pilote basé sur les tontines, épargnes collectives solidaires basées sur la confiance des participants, estmenée avec le soutien du Fonds du logement bruxellois (cf. à ce sujet l’Alter Echos n° 221, Épargner collectivement et solidairement pouracquérir un logement). Ce projet est notamment destiné aux familles nombreuses désirant acheter un logement en Région bruxelloise.

Toute information complémentaire peut être obtenue via le site : http://www.cire.irisnet.be

La vie en centre communautaire

Les centres accueillent des personnes aux multiples situations : en attente de régularisation, en recours devant le Conseil d’État, des mineurs non accompagnés, despersonnes déboutées mais qui ne peuvent retourner au pays pour raisons médicales ou exceptionnelles. Législation et jurisprudence n’ont pas toujoursété claires à ce sujet. Le Ciré s’inquiète de la saturation du réseau d’accueil. Plus de 40 % des places sont occupées par des demandeursd’asile déboutés en recours au Conseil d’État. Avec l’adoption du système « lifo » (« last in first out ») adopté par le CGRA, le traitement enrecevabilité s’effectue plus rapidement pour les nouveaux dossiers, ce qui engendre plus d’entrées que de sorties, situation qui ne va que s’amplifier selonl’asbl.

Les centres, qu’ils soient Fedasil ou Croix-Rouge, se chargent de l’hébergement, de la nourriture, des soins médicaux, de l’accompagnement social et del’explication de la procédure d’asile. La capacité d’accueil varie entre 75 et 850 places. Dès leur arrivée, les demandeurs d’asile se voientattribuer un badge d’identification qu’ils doivent présenter à toute entrée ou sortie du centre, souvent une bâtisse réaménagéeaprès avoir servi de caserne, de centre de tourisme ou d’école. Un règlement intérieur fixe les règles de vie communautaire où chacun prend part auxtâches domestiques. La promiscuité est souvent de mise notamment pour les personnes isolées parfois contraintes de dormir en dortoirs collectifs. Les enfants de 6 à 18 anssont scolarisés dans les écoles voisines mais pour les adultes, il n’est pas question d’obtenir le droit de travailler dans la phase de recevabilité. L’ennuicaractérise le quotidien de bon nombre de personnes en attente de décision finale même si des cours de langue ou des occupations sont organisées. Les mineurs nonaccompagnés reçoivent un accompagnement spécifique.

Une des difficultés majeures rencontrées par les intervenants des centres est liée à la communication car plusieurs dizaines de langues se retrouvent au sein d’uncentre. Fin 2006, les trois principales régions d’origine des demandeurs étaient par ordre décroissant : Russie et Tchétchénie, Congo etSerbie-Monténégro-Kosovo. Le recours à des bureaux de traduction est parfois nécessaire afin de donner l’information dans la langue maternelle. Un autre pointsoulevé par les travailleurs sociaux est l’ambiguïté relative de leur rôle dès lors qu’ils sont attachés à la fonction publique et donccontraints de suivre la procédure. Comment maintenir un contact privilégié avec le demandeur d’asile dont on gère le dossier tout en contrôlant celui-ci ?Comment faire face aux réactions de la personne face à une demande rejetée ? La déontologie des travailleurs sociaux soumis à pression est au cœur de cedébat loin d’être clos.

Un projet de loi sur l’accueil en demi-teinte

Malgré l’engouement suscité par l’adoption à l’unanimité du texte rédigé par le cabinet Dupont (PS), texte qui vise àdéfinir des critères communs à toutes les structures d’accueil et à limiter la durée de séjour dans ces derniers, des questions subsistent. Notammentsur la volonté réelle de délier procédure d’asile et droit à l’aide sociale. Tant le Ciré que la Plate-forme de vigilance ont émis descraintes à propos de plusieurs articles du projet. En voici, résumées, les principales.

Une durée de séjour maximale non fixée : le gouvernement entend attendre un an avant de fixer par arrêté royal la durée de séjour maximale,suite à l’évaluation de la nouvelle procédure, dont l’objectif est de boucler chaque dossier en douze mois. Objectif jugé irréaliste par les acteurs deterrain qui regrettent de n’avoir pas fixé à un an l’octroi d’une aide matérielle, et ce quel que soit l’état de la procédure d’asile.Après ce délai d’un an, l’aide matérielle aurait pu donner place à une aide financière à charge des CPAS avec accès au marché dutravail. Cet accès est préconisé dans la directive européenne 2003/9/CE, qui énonce les normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans lesÉtats membres de l’Union. Cependant, la Belgique n’a pas encore traduit l’ensemble de la directive en droit interne. La conséquence directe est que les demandeursresteront dans les centres d’accueil durant toute la durée de la procédure d’asile, option qui ne résout pas le problème de la durée excessive del’aide matérielle, dont le coût dépasse largement l’aide financière des CPAS.

Une possibilité, incertaine, de quitter la structure communautaire après quatre mois : le texte prévoit la possibilité pour le demandeur d’asile dedemander à passer à une structure plus individualisée, passé ce délai. Cependant, la mesure est fonction du nombre de places disponibles et laissée au bonvouloir de l’administration. La Plate-forme de vigilance ajoute que cet assouplissement ne résout en rien les conditions infantilisantes de l’aide matérielle.

Le droit théorique de communiquer avec sa famille et son réseau d’aide :
l’article 10 du projet suscite la crainte de disparités entre les personneshébergées en zone urbaine et celles plus isolées dans des provinces comme Namur ou Luxembourg. Donner concrètement la possibilité de communiquer avec son conseil ouservice social doit être assuré via l’octroi de moyens comme des tickets de transport ou toute aide matérielle permettant d’accéder àl’information.

Un accès à l’aide juridique trop timide : le Ciré plaide pour placer le recours à un accompagnement juridique de qualité sur le même pied queles accompagnements médical et social qui sont, eux, définis dans la loi. Renvoyer la compétence aux seuls barreaux (ndlr : avocats pro deo) occulte, selonl’association, le soutien juridique qui peut être offert au sein des centres par les travailleurs sociaux ou des associations spécialisées en droit des étrangers. Lacollaboration entre avocats, souvent contactés en dernière minute, et travailleurs sociaux doit être clairement édictée.

Un code de déontologie biaisé :
le projet prévoit l’élaboration d’un code par le ministre de l’Intégration lui-même. Cetteprocédure est pour le moins contradictoire avec la fixation de règles par une profession.

Si le projet de loi a le mérite de pointer les dysfonctionnements de la procédure d’asile, il n’en reste pas moins qu’une attention particulière doit, selonle Ciré, être accordée avant toute chose au respect de la personne afin de ne pas jouer sur le court terme. La Coordination demande donc que gouvernement transpose la directiveeuropéenne afin de limiter les disparités au niveau de l’accès aux soins, au marché du travail, bref aux droits fondamentaux de ces personnes. A fortiori, si cesdernières ne résident pas dans la structure d’accueil.

Initiatives locales d’accueil

Un grand nombre de communes accueillent, à la demande de l’Administration fédérale, des demandeurs d’asile. Les CPAS de ces communes organisent en accord avecFédasil des initiatives locales d’accueil (ILA). Dans le cadre de ces initiatives locales d’accueil, les demandeurs d’asile reçoivent uniquement une aidematérielle de la commune.

Une ILA est la plupart du temps un logement privé meublé doté des équipements indispensables afin que les demandeurs d’asile puissent subvenir à leursbesoins quotidiens. Le CPAS assure l’accompagnement social et médical des résidents.

Tout comme dans les centres d’accueil, cette forme d’accueil est destinée aux demandeurs d’asile durant la première phase de la procédure (examen de larecevabilité). Quatre bureaux régionaux de Fedasil soutiennent les CPAS qui organisent une ILA. Les collaborateurs assurent une permanence téléphonique et viennent en aideaux personnel des CPAS. Il y a deux bureaux régionaux en Wallonie et deux en Flandre.

On comptait pour la Belgique, au 2 janvier 2007, 7 152 places dans les ILA dont 5 320 étaient occupées.

1. Fedasil, rue des Chartreux, 21 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 213 44 11 – fax : 02 213 44 22 –courriel : info@fedasil.be.
2. Ciré, rue du Vivier, 80-82 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 629 77 10 – fax: 02 629 77 33– courriel : cire@cire.irisnet.be .
3. Coordination assurée par la Ligue des droits de l’homme, chaussée d’Alsemberg, 303 à 1190 Bruxelles –tél. : 02 209 62 80 – courriel : ldh@liguedh.be.
4. Le texte est disponible en ligne sur le site de la Chambre.

5. Vluchtelingenwerk Vlaanderen, Gaucheretstraat 164, 1030 Brussel – tél. : 02 274 00 20 – fax : 02201 03 76 – courriel : info@vluchtelingenwerk.be.

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