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Regard critique · Justice sociale

Kirikou à Rixensart, oasis pour les bébés des mineures exilées

Le centre Fédasil de Rixensart a ouvert en 2008 une halte-accueil, baptisée Kirikou, pour les enfants de mineures non accompagnées. Une première en Belgique.

11-12-2009 Alter Échos n° 285

Le centre Fédasil de Rixensart1 a ouvert en 2008 une structure d’accueil adaptée aux enfants de mineures non accompagnées (Mena). Une première enBelgique, qui permet aux jeunes mères de poursuivre leur scolarité2.

Donner naissance à un enfant lorsque l’on est soi-même encore une enfant, c’est déjà une aventure difficile. Si la jeune maman est en exil, loinde sa famille, l’aventure peut rapidement virer au cauchemar. Difficile de chiffrer le nombre de jeunes femmes Mena qui sont aussi mamans. À Fédasil, on reconnaît que leproblème a toujours existé mais qu’il tend à s’amplifier depuis quelques années. La question était en tout cas suffisamment criante pour que le centrepour demandeurs d’asile de Rixensart se penche sur la situation des jeunes mères et crée une structure d’accueil pour les « enfants de Mena ». Inaugurée en mars2008 et baptisée Kirikou, la halte-accueil dispose de sept places.

« Nous sommes partis d’un constat assez simple en 2005 lorsque le centre a commencé à accueillir des Mena : dans les structures standard des centres, on accueille tousles Mena, et parfois des jeunes filles qui ont été violées se retrouvent dans le même centre que d’anciens enfants soldats. Pour des raisons évidentes, cen’est pas toujours facile de les faire cohabiter… Nous avons donc commencé à mener une réflexion avec l’équipe et à créer une structureplus adaptée pour l’accueil des jeunes filles fragilisées dont certaines étaient enceintes », explique Hippolyte Kisondé, coordinateur de la section Damana(Demandeurs d’asile mineurs d’âge non accompagnés) du centre Fédasil de Rixensart. En 2007, nous avons ainsi accueilli coup sur coup trois jeunes filles enceintes. Bien queFedasil ne souhaitait pas que nous devenions un centre spécialisé dans l’accueil de ce type de Mena, le principe de réalité s’est imposé. Actuellement, 80 %des Mena que nous accueillons sont des jeunes filles enceintes ou des jeunes filles mères. La majorité a entre 16 et 17 ans, la plus jeune a 15 ans. »

Un choix d’accueil qui n’est pas sans conséquence pour l’équipe car il demande un suivi particulier, ne fût-ce que pour accompagner la jeune fille chez legynécologue, lors de l’accouchement ou pour l’aider dans son rôle de mère. Trois sortes d’accompagnement sont ainsi mis en place quand les mineures arriventenceintes : avec une psychologue, avec un planning familial et avec un relais avec l’hôpital Saint-Pierre d’Ottignies pour le suivi médical ou avec un cabinet médicalà Rixensart pourvu d’une sage-femme et d’un médecin.

Plus d’avortement

Dans un premier temps, il s’agit d’aider les jeunes filles à supporter l’éloignement, les angoisses que cela suppose, à gérer une grossesse pastoujours désirée, voire consécutive à un viol ou à un mariage forcé, et à faire face aux difficultés particulières de leur situation.« Le choix d’avorter ou pas leur est toujours laissé, explique Hippolyte Kisondé. Mais nous avons remarqué que depuis que nous avons instauré des séancesd’haptonomie et de kiné, il n’y a plus eu d’avortements… »
Autre constat : le besoin d’une référente adulte pour les jeunes mamans. « Le problème, c’est qu’elles n’osent pas demander, analyse HippolyteKisondé. Elles ont souvent peur qu’on leur retire leur bébé. Or, elles ont grandement besoin de repères. Certaines après l’accouchement, arrêtentl’allaitement car elles ont peur d’avoir les seins qui tombent. D’autres courent acheter une paire de baskets Nike à leur enfant alors que celui-ci n’a même pasun mois. »

En ce qui concerne le « logement », les chambres sont habituellement prévues pour deux Mena. À Rixensart, il a rapidement été décidéd’octroyer une chambre par jeune fille avec un bébé. Et si les conditions de logement y sont nettement plus agréables que dans d’autres centres, on est loin du grandluxe. Une chambre minuscule où un lit d’adulte côtoie un lit bébé avec juste l’espace pour se faufiler entre les deux. Une armoire, un lavabo et une tableà langer viennent compléter ce mobilier. L’étroitesse des lieux pousse souvent les jeunes filles, majoritairement d’origine africaine, habituées àlaisser courir les enfants dehors, à ouvrir la porte de leur chambre. Ce qui n’est pas sans créer des soucis au niveau de la surveillance. « On a déjàretrouvé des enfants en dehors des bâtiments, nous confie une éducatrice. Nous essayons donc de les conscientiser à être plus attentives et à ce que, ici, enEurope, tout le monde ne s’occupe pas des enfants des autres. » Quant à la capacité d’accueil, elle est relativement limitée, en tout et pour tout dix chambres,et le centre a déjà dû refuser du monde.

D’un point de vue légal, la maman mineure d’âge bénéficie des services d’un tuteur, mais son enfant est de sa responsabilitéexclusive (il n’y a donc pas de tutelle sur l’enfant). Comme tous les Mena, elle reçoit l’hébergement, la nourriture, les soins, l’accompagnement, lesvêtements et, en plus, une aide matérielle minimale (vêtements, biberons, couches, etc.) pour s’occuper de son enfant. Quant à « l’argent de poche »octroyé aux Mena dans les centres Fédasil, il est fixé à un peu plus de six euros par semaine, que le jeune soit parent ou non.

Les amis de Kirikou

Il aura donc fallu deux ans pour mettre en place un accueil ad hoc, avec un lieu aménagé pour les tout-petits, agréé par l’ONE pour sept places etbénéficiant aujourd’hui de trois puéricultrices (emplois APE de la Région wallonne). Si les places sont restreintes, la capacité de la halte-accueil permettoutefois d’avoir une certaine souplesse. Outre les enfants de Mena, le lieu est également ouvert, dans certaines circonstances, aux anciennes Mena demandeuses d’asile quiélèvent seules leur enfant. La halte-accueil qui ouvre en semaine de 7 h à 17 h permet aux jeunes mamans de poursuivre leur scolarité après l’accouchement.« Les mamans vont souvent à l’école jusqu’à l’accouchement, mais nous constatons qu’une fois que le bébé est là, ellesdécrochent assez rapidement, explique une éducatrice de la section Damana du Centre. Les trajets vers l’école sont parfois fastidieux quand il faut prendre train, bus etrevenir tard au centre, elles sont éreintées et ne voient presque pas leur enfant. »

Pour soutenir le projet Kirikou, une association, « Les amis de Kir
ikou »3, s’est mise en place. Objectif de l’asbl ? Aider le centre Fedasil deRixensart à créer pour les Mena, filles-mères ou futures mères hébergées, les meilleures conditions d’accueil que leur état nécessite.C’est ainsi l’asbl qui a engagé les puéricultrices de la halte-accueil, a organisé la Saint-Nicolas des enfants, s’occupe de l’hébergementaprès le centre, joue le relais avec le CPAS et effectue le suivi scolaire. Autre objectif à long terme de l’asbl, pouvoir acquérir un bâtiment pour en faire del’habitat accompagné pour les jeunes mamans qui quittent le centre. « L’originalité et la qualité du projet de l’asbl tient essentiellement au fait quetous les travailleurs médico-sociaux (tutrices et tuteurs inclus) s’inscrivent dans une démarche de collaboration et d’évaluation permanente, explique ClaudeFonteyne, tuteur associé au projet. Ainsi, un comité d’accompagnement permanent supervise le développement du projet. Il rassemble l’association de tuteursindépendants A&A, Fédasil, l’ONE, le CPAS de Rixensart, le service des tutelles, la maternité de la clinique Saint-Pierre d’Ottignies avec en susgynécologue, haptonome et kiné.

Cet article fait partie de notre dossier spécial Mena (publié en décembre 2009).
Voir l’ensemble du dossier
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Photos : Agence Alter asbl, Bruxelles.

1. Centre Fédasil :
– adresse : rue du Plagniau, 1 à 1310 Rixensart
– tél. : 02 655 10 20
– courriel : hippolyte.kisonde@fedasil.be
2. Alter Échos a déjà publié en avril 2008 un premier reportage sur Kirikou.

3. Les amis de Kirikou :
– adresse : rue de la Cortaie, 13 à 1390 Grez-Doiceau
– courriel : lesamis.dekirikou@gmail.com

catherinem

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