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Vie associative

Juan-Luis Klein: innover pour transformer

Juan-Luis Klein dirige le centre de recherche sur les innovations (CRISES) de Montréal, un fonds de recherche multi-discipliscinaire et multi-institutionnel créé en 1986. Selon la définition du Centre, l’innovation sociale peut être appréhendée comme «une intervention initiée par des acteurs sociaux, pour répondre à une aspiration, subvenir à un besoin, apporter une solution ou profiter d’une opportunité d’action afin de modifier des relations sociales, de transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations culturelles».

Juan-Luis Klein dirige le centre de recherche sur les innovations (CRISES) de Montréal, un fonds de recherche multi-discipliscinaire et multi-institutionnel créé en 1986. Selon la définition du Centre, l’innovation sociale peut être appréhendée comme «une intervention initiée par des acteurs sociaux, pour répondre à une aspiration, subvenir à un besoin, apporter une solution ou profiter d’une opportunité d’action afin de modifier des relations sociales, de transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations culturelles». L’innovation sociale, loin d’être un concept creux pour ce géographe de formation, exige des changements dans les cadres institutionnels afin de construire un nouveau modèle de société inclusif et égalitaire.

Alter Échos: L’innovation sociale est un terme à la mode en ce moment, comment l’expliquer?

Juan-Luis Klein: Il y a deux raisons. D’abord, on observe que oui, on parle beaucoup d’innovations aujourd’hui comparé à l’époque de création du centre, en 1986, où l’on était les premiers à en parler. Il y a eu en fait une sorte de rupture épistémologique. On travaillait jusqu’alors davantage sur la critique du système que sur ce qu’il était nécessaire de recréer au travers du système capitaliste. Aujourd’hui, tout le monde parle d’innovations sociales, tant les universités que les gouvernements ou la presse. Mais sans toujours parler de la même chose. Il y a une deuxième raison qui explique cette «tendance». Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où les collectivités, les communautés locales, les associations, les entreprises, avec ou sans finalité d’économie sociale, sont appelées à expérimenter des solutions à des problèmes qui n’en finissent pas de se poser dans un contexte de crise qui ne s’arrange pas. Si bien que les organismes qui travaillent avec «ceux qui perdent» sont appelés à trouver des solutions nouvelles car les solutions anciennes ne marchent parfois plus.

AÉ: Les pouvoirs publics s’intéressent aux innovations sociales. Pourquoi selon vous? Et ce soutien est-il nécessaire?

J-LK: Au Québec, nous sommes dans une situation où les politiques sociales, que ce soit dans le développement du territoire ou l’économie sociale, ont été coconstruites avec les mouvements sociaux et les organismes de la société civile. Nous sommes en présence d’une politique d’inspiration néolibérale, certes, mais qui appuie toutefois les expérimentations sociales. Il existe par exemple au Québec l’organisme Territoires innovants en économie sociale et solidaire, appuyé par le gouvernement, pour voir comment transférer l’innovation sociale entre territoires et secteurs. On observe dans plusieurs pays que des gouvernements font appel aux innovations sociales et les encouragent. Dans certains cas, il s’agit uniquement de tentatives pour atténuer les problèmes et non de recherches actives de solutions véritables, option que nous prônons.

«Quand des solutions expérimentées s’avèrent pertinentes et se diffusent, se partagent, alors, on peut parler d’innovations.»

AÉ: L’appel ou l’encouragement aux innovations sociales peut aussi servir de prétexte à l’État pour se désengager…

J-LK: Cela vaut moins pour les innovations sociales que l’économie sociale. Il y a en effet des critiques sur le fait que le capital social des collectivités est mobilisé pour faire face au désengagement de l’État. Nous favorisons les innovations sociales qui consistent en des partenariats avec les institutions gouvernementales, qui permettent aux citoyens et aux acteurs sociaux d’avoir un rôle. Les citoyens ne doivent pas être de simples sous-traitants. C’est une question de rapports de force. Mais plusieurs projets à Montréal notamment nous montrent que cela fonctionne.

AÉ: Vous parlez tantôt d’innovations, tantôt d’expérimentations. Quelle différence faites-vous entre les deux concepts?

J-LK: On ne peut pas dire «Aujourd’hui, on se lève, on va innover». On ne sait pas quand on innove mais on sait par contre quand on fait des expérimentations. Quand des solutions expérimentées s’avèrent pertinentes et se diffusent, se partagent, alors, on peut parler d’innovations. C’est la même chose pour les innovations technologiques: si une entreprise invente un nouveau prototype mais qu’elle est incapable de le vendre et de le distribuer, ça restera une invention. En fait, ça n’est pas parce qu’on invente qu’on innove. On innove quand l’invention dépasse les frontières de l’organisme qui l’a conçue.

AÉ: Dans vos différents ouvrages, c’est la vision transformatrice de l’innovation sociale vers une société plus inclusive et solidaire que vous défendez. Comment les innovations sociales peuvent-elles générer ce changement social espéré?

J-LK: Toutes les innovations sociales ne conduisent pas à cette transformation. Une innovation sociale peut rester marginale si elle ne parvient pas à s’imposer. Ça reste alors une alternative. Une innovation engendre une transformation sociale quand elle devient la norme.

AÉ: Des exemples?

J-LK: Dans les années septante au Québec, on a observé des expérimentations dans les services de garde d’enfants. Montréal était alors touché par la crise de l’industrie manufacturière, entraînant chômage et dévitalisation sociale. Dans ce contexte, les femmes se sont mobilisées pour participer au marché du travail. Du coup s’est posée la question de la garde des enfants. À ce moment-là n’existaient seulement que des crèches privées et chères. Les gens se sont mobilisés et de nouveaux modes de garde se sont diffusés. Ces «expérimentations» se sont si bien diffusées que, fin des années nonante, le gouvernement a décidé de créer des centres de la petite enfance dans tout le Québec. Il s’agit d’un exemple éloquent de l’institutionnalisation d’un processus qui a commencé dans les quartiers démunis.

«Il y a en effet des innovations sociales qui atténuent les problèmes mais n’infléchissent pas les facteurs plus structurels.»

AÉ: Comment éviter que ces innovations soient «instrumentalisées» et entraînent une régression sociale?

J-LK: La récupération est un risque. On le voit notamment à travers l’économie collaborative récupérée par le privé. Tout est une question d’orientation. Il arrive que des innovations soient au service de ceux qui veulent accroître les inégalités ou conserver leurs privilèges aux dépens de toute tentative d’égalité sociale. Ce danger nous a toujours guettés. L’important est que ceux qui innovent le fassent avec une vision de la société et non avec le regard uniquement cantonné à leur niveau, à leur organisme.

AÉ: Qu’en est-il de l’injonction à l’innovation? Entendez-vous des critiques dans le milieu associatif québécois à cet égard?

J-LK: C’est clair qu’aujourd’hui le secteur social a déjà des difficultés pour maintenir ses actions. L’innovation peut alors être un fardeau supplémentaire. Mais l’important est d’expérimenter des choses, pas de savoir tout immédiatement. Ce serait également important que le gouvernement donne des ressources pour expérimenter de nouvelles choses, ou pas d’ailleurs, en vue de trouver des solutions par rapport à des aspirations. Notre centre de recherches a récemment tenu une assemblée regroupant plusieurs organismes, et on a demandé aux personnes présentes de dire «c’est quoi l’innovation sociale». L’une des personnes présentes nous a dit que l’innovation sociale était une façon de nommer des choses qu’on fait depuis de nombreuses années et que parler d’innovation sociale enlevait la dimension critique. Il y a en effet des innovations sociales qui ne font que conserver et maintenir la situation de dépossession des collectivités, qui atténuent les problèmes mais n’infléchissent pas les facteurs plus structurels. Ce qui est intéressant dans l’innovation, c’est justement cette approche de transformation et de changement. Jusqu’à la fin des années 80, on pensait que le changement devait se faire via l’État ou par de grands projets sociaux, on sait aujourd’hui que ça n’est pas si simple. Donc, on voit que des choses se font à la base, et, petit à petit, modifient les discours et entraînent des changements sociétaux. C’est cette version forte des innovations sociales, qui ne sont pas juste des réponses à des nécessités mais bien des outils de transformation, que nous défendons.

En savoir plus

Lire le dossier d’Alter Echos 445 (juin 2017) : «Innovation, la mode du neuf»

L’innovation sociale, Émergence et effets sur la transformation des sociétés, sous la direction de Juan-Luis Klein et Denis Harrison, Presses de l’Université du Québec, 2016.

L’innovation sociale, sous la direction Juan-Luis Klein, Jean-Louis Laville, Frank Moulaert, Eres, 2014.

Manon Legrand

Manon Legrand

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