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Regard critique · Justice sociale

Jeunes et délinquance à La Louvière : réprimer, surveiller ou prévenir ?

Dans la région du Centre, autorités publiques et acteurs de terrain réfléchissent ensemble aux moyens de la prévenir. Au risque d’être trop

01-05-2011 Alter Échos n° 314

En juillet 2010, le bourgmestre de La Louvière, Jacques Gobert, prenait une ordonnance interdisant tout rassemblement de personnes portant atteinte à l’ordre et à latranquillité publique1. Une mesure controversée, que les médias ont baptisée « couvre-feu », à tort ou à raison.

La cité des Loups a longtemps joui d’une mauvaise réputation, par la présence de petits groupes pratiquant une délinquance légère certes, mais insidieuse,qui touche avant tout au sentiment de sécurité (ou d’insécurité) de la population. Une insécurité qui a notamment valu à la cité Jardin deSaint-Vaast le titre de « Petit Chicago ». Depuis, un énorme travail a été effectué sur le terrain par les éducateurs de rue. Lacréation des maisons de quartiers2, d’un atelier vélo, le travail social de quartier contribuent à améliorer la cohésion sociale et à changer ladonne, même si tout n’est pas parfait3.

« La mentalité des quartiers dans lesquels nous travaillons a changé. Je constate ces changements depuis quatorze ans que j’évolue dans le milieu du travail derue », souligne Maria Niffece, du service Action Prévention et Citoyenneté. Pourtant, des foyers de délinquance subsistent aujourd’hui et c’est dans le centre-villeque s’est concentrée l’action visée par le bourgmestre, en juillet dernier.

Une réaction aux menaces de justice privée

La mesure se justifiait à l’époque. Nous rencontrons des riverains de la rue De Brouckère, rue commerçante, soumise à une valse de braquagesréguliers : une libraire braquée trois fois, un boucher qui met en fuite ses agresseurs. L’angoisse est présente. Les actes malveillants avaient mis le quartier enémoi : des riverains menaçaient de faire leur propre justice, par le biais de sociétés de sécurité privées, ou en s’armant tout simplement.« Je ne regrette pas l’ordonnance prise en juillet », confie Jacques Gobert (PS)4, pointant ces menaces comme la source de son intervention. Sans y glisser decertitude, la mesure visait sans doute à protéger autant les commerçants que les jeunes délinquants.

Dans la foulée, le règlement communal de police « Vivre ensemble » sera modifié quant aux horaires de fermeture des débits de boissons et àl’interdiction de circuler en rue avec des boissons alcoolisées. Il faut préciser que la police avait procédé au cours des neuf premiers mois de 2010 à trois centsarrestations administratives pour ivresse sur la voie publique.

En réaction à ce « couvre-feu » que les partis de l’opposition ont jugé « disproportionné », des citoyens se sontrévoltés, proposant même une « fête » pour le contrer. « Les jeunes ont besoin d’être encadrés », assènel’organisatrice de cet événement5. D’ailleurs, dans la cité des Loups, plusieurs organismes concourent à fournir une assistance aux jeunesdésœuvrés (Contact Jeunes, Service de médiation et le service Jeune et conduites à risques).

Mais… paradoxalement « les premières victimes de la violence des jeunes, ce sont les jeunes eux-mêmes, souligne Patrick Despiegeleer, directeur du centre de jeunes Indigo6. Nous recevons des jeunes qui ont peur d’être seuls à la gare. Et ce n’est pas un sentiment d’insécurité factice. La réalité n’est pas aussisimple qu’il n’y paraît. Les jeunes sont confrontés à cette violence et peut-être plus que les autres. Nous avons travaillé avec la Ligue des droits de l’hommesur le sentiment d’insécurité. Se faire voler son GSM, se faire agresser verbalement, c’est le lot quotidien de beaucoup. Parmi les jeunes qui prennent le bus, certains souhaitentattendre dans les locaux de la maison de jeunes, parce qu’ils ont peur de sortir. Il y a des endroits spécifiquement craints par les jeunes. »

Les phénomènes de délinquance se focalisent principalement (à La Louvière) autour de la gare du Centre. La Ville a dès lors décidé decréer une antenne de l’Action Prévention Citoyenneté au sein de la gare. Et à l’administration, une cellule spéciale (Hélios, voir encadré) traite des« troubles à la vie communautaire ». Ces troubles constituent le deuxième axe prioritaire du plan zonal de sécurité de la zone de police locale,après la sécurité routière.

Hélios, s’attaquer aux causes, plutôt qu’aux problèmes

Les troubles à la vie communautaire constituent pour la ville de La Louvière un terrain de batailles intenses. La difficulté est de s’attaquer non pas aux symptômes duphénomène, mais plutôt aux causes de celui-ci. C’est ainsi qu’en 2007-2008, le bourgmestre de La Louvière décidait de mettre en place la cellule Helios (enréférence au Dieu soleil, qui voit tout et entend tout dès le matin). « Elle réunit une série de partenaires qui travaillent dans la prévention,explique Jacques Gobert, qui préside les séances. On y trouve des responsables d’écoles, des éducateurs de rues, la police, le représentant du Procureur du Roi,l’Onem, le Forem, le CPAS ainsi que le fonctionnaire sanctionnateur. »

Les missions d’Helios commencent quand, dans un quartier, des soucis sont quantifiables. « On travaille sur les bandes, les groupements récréatifs, infractionnels. Ontravaille sur des groupements et non des individus, confie Pina Alonghi, responsable sécurité à la Ville. On essaie de trouver des solutions concertées pour les personnesqui ont commis des nuisances. » La cellule identifie les personnes, essaye de comprendre leur situation individuelle, pour tenter de leur remettre le pied à l’étrier.« S’ils sont en ordre au niveau scolarité, formations, etc. C’est un travail de fourmi qui s’attaque aux causes plutôt qu’aux conséquences. Je crois beaucoup en ceprojet », insiste Jacques Gobert.
Helios est déjà parvenu à désamorcer nombre de problèmes au cours de ses réunions mensuelles. « Plutôt que de faire débarquer lespoliciers et agir dans l’aspect répressif, qui ne ferait que déplacer le problème, on prend le problème à la racine », poursuit-il. Concrètement,Helios réfléchit pour fournir à ces jeunes une occupation qui les retiendrait d’aller « zoner » et « embêter » lapopulation.

Les caméras, une nécessité…

Malgré l’application de mesures judiciai
res alternatives, les difficultés de la justice à appliquer une réelle répression chez les jeunes favorisentl’impunité. Et ces dernières semaines, on a constaté une recrudescence des actes violents en ville : agression sur des personnes âgées, agression de Gilles enpleines soumonces, impliquant souvent des mineurs d’âge. Des actes qui rappellent avec acuité la nécessité d’installer en ville, des caméras de surveillance. Lesujet suscite le débat depuis près de dix ans dans la cité des Loups. Protection de la vie privée oblige. Le système a fait ses preuves en Angleterre, mais aussidans la zone de police boraine où les communes de Boussu, Colfontaine, Frameries, Saint-Ghislain et Quaregnon sont couvertes par un réseau de quarante-trois caméras urbaines.Elles ont permis d’élucider certaines affaires.

Si le meurtre de Joe Van Holsbeeck a réactivé le débat, La Louvière souhaite éviter la précipitation. La police locale introduit la caméra avecprudence dans la cité : d’abord en équipant ses locaux, ensuite en équipant un véhicule banalisé, afin d’étudier et – le cas échéant– réprimander les conducteurs imprudents. L’an dernier, elle a acquis, pour le compte du Service d’enquête et de recherche, un caméscope portatif afin de filmer certainsévénements communaux publics. Le principe d’une installation a été voté, en novembre 2010. Installation attendue au second semestre 2011.

D’autres communes ont déjà franchi le pas allègrement, telles que Braine-le-Comte et Soignies, ou Ecaussinnes, dans la zone de la Haute Senne. Quiévrain, Dour, Hensiesentendent, elles aussi, passer ce cap de la vidéo-surveillance. Elles envisageraient d’ailleurs des synergies avec la police boraine pour réduire les coûts de l’exploitation desimages captées. Plus près de La Louvière, Chapelle-lez-Herlaimont ou encore la ville de Binche sont prêtes à s’y lancer, en combinant leur action avec uneamélioration des éclairages publics. Priorité aux rues commerçantes et aux parkings.

« Nous sommes satisfaits des résultats, note Jean-Jacques Flahaux (MR)7, bourgmestre de Braine-le-Comte où l’on compte seize caméras. Un nombresuffisant, pour l’heure. On craint en effet le déplacement de la délinquance dans d’autres zones de la ville. La question principale est celle des moyens humains utilisés :là où Quaregnon utilise un civil assermenté en permanence, Braine-le-Comte ne sollicite l’outil qu’en cas d’événement marquant. Les films sont conservésplusieurs jours. « On a pu constater que le nombre de méfaits dans la zone couverte a diminué de 25 à 30 %. »

Une caméra ne remplace pas un policier

Et le principe a fait des émules, puisqu’à Braine, la SNCB a également installé des caméras dans la gare, constatant une diminution des actes de vandalisme.« Mais, une caméra ne remplace pas un policier », note encore le bourgmestre brainois. « Il n’y a pas suffisamment de suivi, souligne aussi Michaël VanHoolandt, conseiller CDH et enseignant à La Louvière. Je prends l’exemple d’un cafetier, qui avait été agressé début février. Or les agresseurs,connus, se baladaient à nouveau dans le centre-ville quelques jours plus tard. La police sachant cela devrait les contrôler systématiquement. Même si une politique socialeest menée, on a parfois affaire à des décrochages complets, on parle ici de jeunes de 18 à 25 ans, pas de mineurs, même si les actes impliquant des mineurs sontaussi en recrudescence. Si on ne met pas le halte-là, où cela s’arrêtera-t-il ? »

Sans doute la hausse de la criminalité louviéroise est-elle aussi induite par le déplacement des bandes urbaines, provenant de l’extérieur, repoussées d’autreslieux mieux surveillés. Et l’instauration de mesures coercitives amène une escalade dans les communes voisines. Seule solution pour compléter la vidéo-surveillance,l’augmentation des patrouilles. Mais les zones de police peinent à compléter leur cadre. Il est complet depuis cette année à Braine-le-Comte. Et à LaLouvière, le chef de zone, Luc Demol 8, admettait, le 18 janvier dernier, que les cinq dernières années avaient été éprouvantes, dues« au manque de moyens humains ». Le cadre est aujourd’hui complet à trois agents près : quarante-cinq policiers ont été recrutés en2010.

« Il est impératif d’intensifier la présence d’agents de quartier dans les rues. Il ne s’agira pas de tomber dans le sécuritaire, mais bien d’avoir uneprésence régulière de proximité. Certains quartiers souffrent de cette absence », notent les élus du MR louviérois. Une présencepolicière qui ne pourra être rendue efficace que par la prévention. A Braine, l’administration renforcera les assistants sociaux du Service prévention jeunesse.« Que celui qui a la solution miracle lève la main », insiste Patrick Despiegeleer.

Dans cette optique les synergies entre les associations de terrain sont importantes. « La Louvière est assez riche en termes d’institutions pour éviter lesredites », précise Maria Niffece. Au sein de l’AMO Transit9, 50 % du travail est individuel avec les jeunes. Dans le cadre de travaux collectifs, la mise en commun desexpériences est indispensable. « Cette mise en commun des forces permet d’avoir un plus grand impact. Auparavant, nous travaillions seuls, aujourd’hui, le partenariat multiplie lechamp des possibles, admet Michaël Chainis, assistant social. C’est une erreur de penser qu’un problème n’a qu’une seule cause : les jeunes. »

Dans ce contexte, la non-pérennisation de la Politique des Grandes Villes inquiète. De ces subsides dépend l’action des éducateurs de rues et des services deprévention louviérois.

1. D’application entre le 16 juillet et le 31 août, elle visait à désamorcer l’escalade de la délinquance.

2. Dans le cadre de la Politique des Grandes Villes.
3. Marie Niffece, coordinatrice atelier vélorue du Gazomètre, 50 à 7100 La Louvière – tél. : 064 27 81 81 – courriel : maria.niffece@lalouviere.be ; Action Prévention Citoyenneté – rue du Gazomètre 50, à 7100 La Louvière– tél. : 064 27 81 40 – site :
http://lalouviere.devstage.com/Front/c2-667/Cohesion-sociale-de-Quartier.aspx
4. Jacques Gobert, place communale, 1 &agrav
e; 7100 La Louvière – tél. : 064 027 79 10 – site : www.lalouviere.be
5. Le groupe de travail « Jeunes et conduites à risques » réunit l’Action Prévention Citoyenneté, le centre de jeunes Indigo, La LouvièreVille-Santé, le Relais santé du CPAS de La Louvière. Il a pour mission de responsabiliser les jeunes face aux risques liés à la consommation d’alcool, de cannabis,de cocaïne, etc.
6. Info-J Centre Indigo :
– adresse : rue Sylvain Guyaux, 62 à 7100 La Louvière
– tél. : 064 21 15 55
– courriel : infoj@centreindigo.org
– site : www.centreindigo.org
7. Jean-Jacques Flahaux, Grand-Place, 39 à 7090 Braine-le-Comte – tél. : 067 87 48 38 – site : www.braine-le-comte.be
8. Commissaire Luc Demol, police locale, rue de Baume, 22 à 7100 La Louvière – tél. : 064 27 00 00 – site : www.lokalepolitie.be/5325/home.html
9. AMO Transit :
– adresse : rue de l’Hôtel de Ville, 6 à 7100 Haine-Saint-Pierre.
– tél. : 064 26 12 42
– courriel : amotransit@skynet.be

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