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Regard critique · Justice sociale

Logement

Habitats alternatifs pour seniors: projets d’avenir ou de niche?

Depuis les années septante fleurissent çà et là des projets alternatifs d’habitat qui poursuivent une aspiration: «Bien vieillir ensemble». À l’heure où le vieillissement de la population devient un enjeu crucial, notamment en termes de logement, ces projets «différents» sont-ils une piste dans laquelle s’engouffrer? Ou demeurent-ils l’apanage d’une classe de privilégiés?

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Depuis les années septante fleurissent çà et là des projets alternatifs d’habitat qui poursuivent une aspiration: «Bien vieillir ensemble». À l’heure où le vieillissement de la population devient un enjeu crucial, notamment en termes de logement, ces projets «différents» sont-ils une vraie alternative ou demeurent-ils l’apanage d’une classe de privilégiés?

Article publié le 14 octobre 2015, Alter Echos, n°411

Le manque de lits en maisons de repos dans les prochaines années sera criant. Gérer l’hébergement des personnes âgées sera sans aucun doute l’un des enjeux de cette législature. Si le nombre de lits en institutions devra augmenter, le soutien des aînés à domicile semble être la priorité des nouveaux gouvernements. À côté de cela, que ce soit du côté wallon ou à Bruxelles, «les nouvelles formes d’habiter» seront encouragées. C’est en tout cas ce que nous promettent les déclarations de politique régionale (Région wallonne, Région de Bruxelles et Cocom).

Maisons communautaires, habitats kangourous, solidaires… les formes de ces logements sont variées, mais elles restent à la marge. La maison de repos demeure le modèle auquel on se réfère et l’offre principale. «Le public qui vient nous voir, c’est pour se renseigner sur ce type de structures», confirme Marie-Pierre Delcour, directrice de l’association Inforhome Bruxelles, qui conseille, de façon personnalisée, les personnes âgées sur le choix d’un lieu de vie. «La plupart des gens veulent rester à la maison le plus longtemps possible, décrypte-t-elle. Quand ils ne le peuvent plus, parce qu’ils ont un gros souci de santé qui conditionne une réorientation, ils se dirigent vers une structure qui peut répondre à leur besoin de soins.»

«Dans le projet Abbeyfield, on rencontre des personnes avec une certaines aisance intellectuelle et affective» Marie-Pierre Delcour, Inforhome Bruxelles

Les habitats alternatifs ne répondent pas à cette demande. Ils sont davantage une alternative au domicile qu’à la maison de repos. «Ces expériences sont formidables, il y a beaucoup de solidarité, de réciprocité. C’est du ‘prendre soin’, dans un esprit familial. Mais cela reste quelque chose de limité, car une certaine autonomie de la personne âgée est nécessaire.» Même si, dans ces projets comme à domicile, «cela ne veut pas dire qu’une personne ne peut pas y fermer les yeux».

Pour soutenir l’autonomie de la personne âgée, un certain nombre d’aides et d’appuis peuvent être mis sur pied dans le logement individuel tout comme dans le logement collectif. Dans certains projets, un accompagnement social spécifique est proposé. C’est le cas de l’Antenne Andromède, une formule d’hébergement créée en 1981 par le CPAS de Woluwe-Saint-Lambert, constituée de six pavillons accueillant cinq habitants chacun. Deux assistantes sociales du CPAS se consacrent à l’accompagnement individuel (elles organisent l’encadrement d’un personnel qualifié: psychologue, aide familiale, infirmière… en fonction des besoins) et collectif des habitants.

La dynamique collective de certains projets permet aussi une réorientation moins précipitée quand une personne se trouve limitée dans son autonomie, nuancent aussi Laurence Braet et Benoit Debuigne, de l’asbl Habitat et Participation. Car il y a une solidarité qui se met en place. C’est le cas, par exemple, des maisons Abbeyfield, où «il y a quand même cette idée que les personnes puissent rester plus longtemps qu’à domicile». «On parle souvent de la nécessité de soins médicaux mais notre projet de vie peut avoir une dimension de ‘soin social’, témoigne Francis, qui vient d’intégrer la toute nouvelle maison Abbeyfield de Perwez1. On se soigne les uns les autres. Dans les maisons Abbeyfield en Allemagne, on constate que la longévité des habitants est plus grande.» Mais cette solidarité a ses limites. C’est alors au collectif de mettre le holà.

Projets pour bobos?

La dimension relationnelle de ces projets saute aux yeux. Peut-être moins évidente au premier abord, ceux-ci revêtent aussi une dimension sociale, sociétale. Ils peuvent être interculturels, intergénérationnels, ou agir sur la cohésion sociale du quartier dans lequel s’élèvent leurs murs. «Nous avons vu qu’il y avait, de la part de la population âgée, une certaine méfiance, une méconnaissance des allochtones qui pouvaient faire surgir un certain racisme, expliquait par exemple Loredana Marchi, directrice du Foyer à l’asbl Question Santé2. Une méconnaissance qui était aussi vraie dans l’autre sens. Ce que nous voulions, c’est que les deux populations se connaissent mieux.»

Mais la participation à ce type de projets reste le lot de groupes privilégiés. Question d’accessibilité financière? Pas toujours. Certains projets sont pensés dans le but d’éviter cet écueil et constituent de surprenants contre-exemples en la matière. Les habitats kangourous développés à Bruxelles sous l’impulsion de CPAS, par exemple. À Molenbeek, ils s’adressent à des familles monoparentales, dans ce souci d’améliorer l’accessibilité au logement. Dans le projet 1Toit2Âges, une personne vieillissante, seule dans un bien immobilier trop spacieux, partage son espace avec un étudiant en quête d’un kot au prix raisonnable, le loyer variant selon le degré d’engagement de l’étudiant. La participation d’un acteur public, la fondation ou encore la coopérative au sein de laquelle les personnes prennent des parts variables selon leur situation… autant de leviers qui sont actionnés pour éviter cet obstacle. Le contexte actuel de pression sur les loyers, de difficultés d’accès au logement, pourrait même expliquer une tendance à l’augmentation de tous les types de cohabitations.

Mais il n’y a pas que l’argent. Il y a peut-être aussi quelque chose de l’ordre du capital social et culturel. C’est un «un public qui a une tournure d’esprit particulière», peut-être plus «proactive». Dans le projet Abbeyfield, par exemple, «on rencontre des personnes avec une certaine aisance intellectuelle et affective, explique Marie-Pierre Delcour. Ce sont des seniors avec un profil particulier. Des militants, des personnes engagées dans la vie associative».

Encore des freins

Le monde politique se montre de plus en plus réceptif à ces idées novatrices. En témoignent les déclarations de politique régionale. En 2013 à Bruxelles, le nouveau Code du logement a aussi introduit les notions d’«habitat intergénérationnel» et d’«habitat solidaire». Des définitions qui pourront être activées dans le futur, expliquent Laurence Braet et Benoit Debuigne, tout en nous mettant en garde: «Les définitions peuvent être une reconnaissance, elles peuvent aussi cadenasser et empêcher la créativité.»

Une ouverture, donc. Mais de nombreux freins subsistent, ralentissant, voire empêchant la création de nouveaux projets.

Les statuts d’isolé/cohabitant dans les habitats collectifs font couler de l’encre depuis de nombreuses années. Ils sanctionnent les résidents qui bénéficieraient d’une allocation de chômage ou du revenu d’intégration sociale par exemple. «Mais on sent une volonté d’éclaircir la situation», précisent Laurence Braet et Benoit Debuigne. Le projet Abbeyfield s’est dégagé de ce problème en proposant aux résidents des logements individuels. Dans le cas de 1Toit2Âges, où l
a personne âgée et l’étudiant cohabitent dans le même logement, interdiction, pour l’étudiant de s’y domicilier. Une décision qui permet aussi d’éviter, par exemple, de faire peser sur le propriétaire les dettes de son jeune compagnon.

Ce sont aussi des questions d’urbanisme et de division du logement qui posent problème. «La division, dans certains quartiers, dans certaines communes, n’est toujours pas acceptée, regrettent les travailleurs de l’asbl Habitat et Participation. C’est une vue passéiste. Au vu des réalités sociologiques, on doit aller vers un habitat plus compact, plus dense.»

Dernier point, la succession. «En cas de décès, ce n’est pas toujours un cadeau de laisser à ses enfants une partie d’un habitat groupé qu’il aura du mal à revendre», explique Marie-Pierre Delcour.

Ouvrir l’éventail des possibles

Une chose est sûre, construire un projet d’habitat collectif est exigeant. Créer un groupe, trouver un lieu, dans des délais parfois très lents. À 65 ans, on ne l’a pas toujours, cette vitalité. Et la dynamique collective ne convient pas forcément à tous.

«La solidarité de proximité et la dynamique intergénérationnelle peuvent être travaillées au niveau du quartier, plus qu’à celui du logement en lui-même, défendent Laurence Braet et Benoit Debuigne. Il faut accompagner et outiller ces dynamiques.» Et d’insister sur les dimensions «inclusive» et «intégrée» des projets: «On a trop tendance, dans notre société, à créer des ghettos.»

Une chose qui ne doit pas s’arrêter de croître, c’est l’éventail des possibilités, renchérit la directrice d’Inforhome: «Car les personnes âgées d’aujourd’hui ne sont pas celles d’hier ni celles de demain.»

S’ils restent marginaux, ces projets alternatifs ont tout de même le vent en poupe. Tout comme ils se sont agilement immiscés dans le secteur des maisons de repos ou dans l’accompagnement à domicile, des promoteurs privés commenceraient à surfer sur la vague. Projets «solidaires», «durables»… ils ne le seraient parfois que dans leur appellation, les charges financières pour les résidents se révélant parfois… beaucoup plus lourdes que prévu.

Devenir… Regards sur les vieillissements

Cet article a été rédigé pour la revue de la Fédération des maisons médicales, Santé conjuguée, qui vient tout juste de sortir de presse. Son dossier est consacré aux vieillissements. Économie, travail, logement, santé… Des concepts aux pratiques de terrain, le dossier brosse un panorama des enjeux touchant aux personnes âgées aujourd’hui. À lire sur http://www.maisonmedicale.org/

 

«Alodgî. Un habitat solidaire pour des personnes souffrant de troubles psychiatriques», Focales n°4, mai 2014, par Gilda Benjamin.

«Abbeyfield, quand logement public rime avec habitat groupé», Alter Échos n°402, mai 2015, par Martine Vandemeulebroucke.

 

En savoir plus

1 «Abbeyfield, quand logement public rime avec habitat groupé», Alter Échos n°402 du 4 mai 2015, par Martine Vandemeulebroucke.

2 Voir la brochure de l’asbl Question Santé sur l’habitat kangourou sur le site de Question Santé: http://www.questionsante.be/outils/habitat_kangourou.html

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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