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Gestion des incivilités : bilan de la loi après cinq mois d’application

Le 1er avril 2005 entrait en vigueur la loi1 relative aux sanctions administratives communales. Celle-ci attribuait aux communes la gestion d’une série depetites infractions retirées du Code pénal. Très vite, la pratique a révélé les nombreuses failles du système. Administrations communales, magistratsou directeurs d’AMO critiquent la mesure, alors qu’une nouvelle loi « réparatrice » tente de l’améliorer.

29-08-2005 Alter Échos n° 192

Le 1er avril 2005 entrait en vigueur la loi1 relative aux sanctions administratives communales. Celle-ci attribuait aux communes la gestion d’une série depetites infractions retirées du Code pénal. Très vite, la pratique a révélé les nombreuses failles du système. Administrations communales, magistratsou directeurs d’AMO critiquent la mesure, alors qu’une nouvelle loi « réparatrice » tente de l’améliorer.

Dès son entrée en vigueur, la loi confiant la gestion des petites infractions aux communes a suscité l’inquiétude et la consternation auprès des acteurs deterrain. Pour Chantal Massaer, directrice de l’asbl Jeunesse maghrébine2, la logique protectionnelle et spécifique du droit des jeunes est remise en cause àtravers la législation contre les incivilités. Elle permet en effet aux communes d’infliger aux mineurs de plus de 16 ans une amende administrative. « On cèdeà la tentation du tout au répressif. L’unique solution face aux incivilités résiderait dans la sanction. L’impunité nous est présentéecomme le mal absolu. » Des critiques qu’émet également Bernard De Vos, directeur général de l’asbl SOS Jeunes – Initiatives Jeunesse3,qui voit en cette loi la volonté de responsabiliser de plus en plus tôt les jeunes. « Alors que les moyens d’être vraiment autonomes et responsables (travail, argent)arrivent de plus en plus tard. C’est un non-sens! »

« Il faut définir d’urgence une politique de la jeunesse! »

Si les dispositifs sécuritaires proposaient jusqu’à présent « un savant mélange de répressif et de préventif », la nouvelle loin’offre qu’un aspect purement répressif, selon Bernard De Vos. « Je n’ai jamais dit que les jeunes ne devaient pas être sanctionnés. Mais les dispositifsactuels étaient suffisants. Et si la Communauté française n’a pas suffisamment d’argent ou si les juges de la jeunesse ne sont pas assez nombreux, il faut augmenterles budgets et le cadre de magistrats pour que les mesures existantes fonctionnent à plein régime ! ».

Pour Bernard De Vos, il ne sert à rien de développer de nouveaux mécanismes pour gérer les incivilités, il faut avant tout recréer des conditionsd’éducation performantes. « Le politique confond autorité et répression. L’autorité est, selon moi, un concept éducatif. Le problème estqu’aujourd’hui, il n’y a plus d’éducation que pour les nantis. Les jeunes pauvres sont tout juste élevés dans des écoles où ilsreçoivent un ersatz d’éducation… »
Chantal Massaer redoute, quant à elle, une stigmatisation négative des jeunes : « En tant que service d’aide à la jeunesse, nous n’appréhendons pas lesjeunes comme un état de danger potentiel », alors que « malheureusement, la loi sur les incivilités tend à renforcer cette vision de la jeunesse ».

Les deux directeurs de services AMO craignent également le « clientélisme » dont pourraient faire preuve les communes. « Comment les jeunes vont-ils pouvoircomprendre et ressentir comme équitable que des faits punissables dans telle commune ne le soient pas dans d’autres ! », questionne Chantal Massaer. Pour Bernard De Vos, si chaquecommune peut sanctionner comme elle le souhaite, il va se créer des petits états féodaux, des quartiers ghettos où se renforcera la logique d’apartheid. « Ilfaut définir d’urgence une politique de la jeunesse au niveau de la Communauté française, si pas au niveau fédéral. Trop de matières « jeunesse» ont été déléguées aux communes. Et que penser de certaines communes où le Vlaams Blok est très fort, comme à Anvers? J’ai peurdes mesures qu’elles pourraient prendre à l’avenir à l’encontre d’une certaine jeunesse…»

De nouvelles compétences, mais pas de budget

Pour éviter qu’il n’y ait des sanctions trop différentes d’une commune à l’autre, beaucoup réfléchissent à l’introductiond’un tronc commun dans les règlements communaux (des 19 communes bruxelloises, par exemple). « C’est aussi l’optique suivie par la majorité des communeswallonnes », explique John Robert, chef du service police et sécurité de l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW)4 : « Il faut préparer unrèglement identique pour toutes les communes d’une zone de police (moyennant quelques exceptions, en fonction des spécificités que les communes souhaitent conserver), etsoumettre ce projet au vote de chacun des conseils communaux, lesquels restent seuls compétents pour édicter ces sanctions administratives. »

Si certains problèmes trouveront leur solution dans les règlements communaux, l’UVCW continue à revendiquer l’octroi aux pouvoirs locaux des moyens financiersnécessaires à une application correcte de la loi. Pour John Robert, « le fédéral s’est déchargé sur les communes de ce que les parquets et lajustice ne pouvaient plus traiter faute de moyens, mais il n’a pas accompagné ce transfert de compétences d’un quelconque transfert de budget ». Il cite pour exemplela fonction d’agent constatateur prévue par la loi. Il s’agit d’agents communaux (non policiers) qui doivent constater les infractions commises. « Nous n’avonspas reçu de moyens financiers fédéraux pour les engager. De nombreuses communes risquent donc de ne pas parvenir à mettre en place ces agents. » Plusfondamentalement, John Robert se demande s’il est souhaitable de créer de telles fonctions « parapolicières », alors que la police vient justement d’êtreréformée et renforcée pour plus de proximité avec le citoyen…

La nouvelle loi sur la gestion des incivilités pose ensuite des problèmes organisationnels aux communes. Le secrétaire communal n’est que rarement disponible pour« jouer au juge pénal ». Il faut donc recruter ou trouver, dans le personnel communal, un universitaire. Ce qui n’est évidemment pas sans conséquencebudgétaire.

Une question se pose donc : les communes disposeront-elles d’assez de moyens pour mettre en place le régime des sanctions administratives ? Selon John Robert : « Celles quiestiment qu’elles ne pourront pas faire face aux coûts engendrés par une mise en œuvre « complète » du système (c’est-à-dire assortirl’ensemble des infractions de leur règlement de police de sanctions administratives plutôt que de sanctions pénales) renonceront à utiliser le système, oul’utiliseront de manière très limitée (poursuites de 2 ou 3 infractions spécifiques, sans toucher aux autres dispositions du règlement communal). »

La loi « réparatrice »5(voir encadré) apporte bien quelques solutions aux problèmes des communes, en repénalisant notamment certainesinfractions. Mais le problème le plus aigu, à savoir le manque de budget, n’est pas abordé dans le texte de la loi. L’UVCW pense pourtant que la seule façond’aider les communes est de les doter des moyens suffisants pour exercer les nouvelles compétences dont elles ont été investies.

Une évaluation globale de la loi a été demandée par le gouvernement. Il faudra attendre la fin 2006 pour en connaître les résultats.

Le 29 juillet 2005 est parue au Moniteur belge une « loi réparatrice » dont le but est de palier les imperfections de la loi relative aux sanctions administrativescommunales.

Les principales modifications apportées sont les suivantes:
1. Quatre contraventions dépénalisées du Titre X du Code pénal sont repénalisées, c’est-à-dire réinsérées dans le Code. Ils’agit des destructions mobilières, du tapage nocturne, du bris de clôture, et des petites voies de fait et violences légères.
2. Les parents, tuteurs et personnes qui ont la garde du mineur en infraction seront civilement responsables du paiement de l’amende administrative infligée à celui-ci.
3. Une disposition réglant les hypothèses de concours d’infractions est introduite dans la loi. Ainsi, lorsque le comportement constitue, selon sa qualification, à la foisune infraction pénale et une infraction sanctionnée administrativement par le règlement communal, la loi indique que la procédure de « cascade » estd’application (le dossier est d’abord envoyé au parquet, et la commune ne peut infliger sa sanction administrative que si le parquet ne poursuit pas).
4. La loi réparatrice étend la compétence territoriale des agents constatateurs. Dans les zones de police pluricommunales, les agents communaux habilités pour ce fairepeuvent constater les infractions commises sur le territoire de toutes les communes de la zone.

Enfin, la loi prévoit un ensemble d’améliorations de nature plus technique et procédurale (délais de transmission des P-V, modalités de recours, etc.)

1. Loi du 17 juin 2004 modifiant la nouvelle loi communale – Moniteur belge du 23-07-2004.

2. Jeunesse maghrébine asbl, bd Barthélémy, 35 à 1000 Bruxelles – tél: 02 218 27 27
3. SOS Jeunes – Initiatives Jeunesse asbl, rue Mercelis, 27 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 512 90 20 – site:
4. Union des villes et communes de Wallonie, rue de l’Etoile, 14 à 5000 Namur – tél : 081/24.06.34
5. Cette loi réparatice est insérée dans la loi du 20 juillet « portant des dispositions diverses » – Moniteur belge du 29-07-2005.

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