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Regard critique · Justice sociale

Financement des AIS : nerf de la guerre ou guerre des nerfs ?

Les agences immobilières sociales (AIS) sont un secteur qui a émergé depuis vingt ans et se structure au fil de temps. Et quand on parle de structuration, on parleimmanquablement d’argent.

29-05-2011 Alter Échos n° 316

Les agences immobilières sociales (AIS) sont un secteur qui a émergé depuis vingt ans et se structure au fil de temps. Et quand on parle de structuration, on parleimmanquablement d’argent.

La régionalisation du secteur du logement fait que les réalités de structures identiques sont parfois relativement différentes dans le quotidien. En Régionbruxelloise, le secteur est organisé par un arrêté du gouvernement datant du 28 février 20081. « L’essentiel de notre financement vient de laRégion. Cela représente 397 000 euros en 2010 », nous explique Pascal Naples, directeur de l’AIS de Saint-Josse2. Le mode de calcul de la subvention estassez complexe. Elle comporte une part fixe selon la grandeur de l’AIS et une part variable qui est fonction de différents facteurs : la grandeur des logements, le nombre denouveaux logements pris en gestion dans l’année écoulée, le nombre de logements de transit ou encore le niveau de revenus de certains locataires. « Notresituation financière est assez saine. Nous sommes en léger boni. Mais les problèmes de trésorerie sont constants. Les charges sont fixes : ce sont les salaires et lesloyers. Les arrêtés sont reçus en mai et les soldes encore plus tard. Nous avons recours à l’emprunt qui nous coûte cher : environ 10 000 euros decharges d’intérêts en 2010 », se plaint le directeur ten-noodois.

Cela semble un problème structurel : l’AIS ne peut faire de bénéfice sur ses activités et les coûts sont dès lors pris en charge par lasubvention. Michel Milde est administrateur de l’agence schaerbeekoise immobilière sociale3. Il en fut l’administrateur délégué(« bénévole », précise-t-il), avant l’engagement d’un directeur. Il décrit le mode de financement en termes de timing. « Lefinancement de l’Asis est essentiellement régional. Le paiement de la subvention se fait en trois tranches : environ 40 % en avril/mai, 35 % en septembre/octobre et unsolde d’environ 15 % au début de l’année suivante) », décrit-il. Il manque 10 % ? En effet, le solde dépend de la justification…qui n’est pas toujours possible car les critères sont très précis. Il y a donc une grande différence entre la théorie et la pratique.« L’administration conteste par exemple qu’on puisse faire des provisions dans nos bilans alors que les risques locatifs existent », précise-t-il.

Quand les subsides jouent les trains aux heures de pointe

Emprunt et justification difficile s’ajoutent donc aux problèmes structurels d’une agence : les arriérés, les impayés et les vides locatifs. Si danscertains secteurs, des problèmes récurrents de trésorerie handicapent les projets, dans le cas des AIS, il suffirait qu’une seule se retrouve en rupture de paiement pournuire gravement à la réputation du dispositif.

« La lenteur des versements et la méthode de justification créent des besoins de préfinancement par les banques qui coûtent cher car les chargesd’intérêts ne sont pas éligibles », souligne le député bruxellois Alain Maron (Ecolo)4 qui suit ce dossier. « Je suis venuà la question du financement des AIS via la crise qui a secoué celle de Saint-Gilles. Au-delà de cette affaire où il y avait des problèmes de gestionavérés, je me suis rendu compte des problèmes structurels », précise-t-il.

Cabinet du ministre et secteur semblent s’accorder sur la nécessité de suivre la piste de faire admettre les charges comme dépenses éligibles si elles sontliées à l’arrivée tardive des subventions. Mais l’administration semble réticente et aura un pouvoir d’appréciation important.

A Schaerbeek, le problème de la trésorerie était récurrent. « Un subside communal extraordinaire de 100 000 euros en 2007 a permis de constituer notrefonds de roulement. Nous économisons depuis environ 10 000 euros par an. Nous avons gardé la ligne de crédit à la banque mais ne l’utilisons plusqu’exceptionnellement », se souvient Michel Milde.
Il faut aussi trouver une méthode pour que les versements soient effectués plus tôt. « On a parlé de travailler en douzièmes provisoires »,explique Pascal Naples. Pour Alain Maron, les solutions immédiates comme mettre de l’huile dans les rouages pour faire avancer les paiements plus vite ou demander plus de souplesseà l’administration ne suffisent pas. « Mais des solutions structurelles sont difficiles à trouver. Au niveau économique, augmenter les loyers ou diminuer la partqui revient au propriétaire ne sont pas des solutions. Le dispositif doit rester attractif pour le propriétaire et la clientèle des AIS n’a pas les moyens. Il fautpréserver l’aspect social », pense-t-il.

Et du côté wallon ?

On ne parle pas des AIS dans la réforme du Code. Lors de notre entretien pour le numéro spécial logement, Jean-Marc Nollet insistait pourtant sur l’importance des AISpour accroître l’offre de logement (voir supplément Alter Echos n° 315 du 13 mai 2011 : « Jean-MarcNollet : « Pivert peut réduire les charges de 30 à 50 % » »).

Joel Schallenberg, le directeur de l’AIS de Namur5, décrit la situation de son agence. « Nous sommes financièrement à l’équilibre.Nous sommes une « grosse » AIS qui gérait 265 logements fin 2010 avec une équipe de 6,5 ETP. On doit effectivement tirer sur la corde. La subvention fonctionne par tranche de dixlogements et n’est pas indexée. » En clair, la subvention ne permet pas de payer les index et l’ancienneté du personnel. « Je suis personnellementlà depuis vingt ans. Mon ancienneté coûte donc cher à la société », précise-t-il sans s’en plaindre.

Au niveau de la fédération wallonne des AIS qu’il préside, une note a été préparée à destination du ministre mettant différentspoints sur la table. « On ne peut pas se plaindre de l’écoute du ministre. Nous avons formulé trois types de propositions. Primo, lier la subvention àl’index. Ensuite, s’inspirer du modèle bruxellois en supprimant les paliers et en révisant la part fixe proportionnellement à la grandeur de l’AIS. Enfin,envisager une aide à l’accompagnement social qui pourrait d&rsq
uo;ailleurs provenir d’un autre département », précise-t-il. En quoi ces paliers posent-ilsproblème ? « Les AIS sont financées par palier de dix. Si nous avons cent-douze logements, nous serons financés sur base de cent-dix. Nous perdrons une deuxièmefois car ces deux logements ne seront plus comptabilisés l’année suivante comme logement supplémentaire, or ce sont les logements supplémentaires qui sont les mieuxsubsidiés », explique le directeur namurois.

Priorité à l’index ?

La subvention est basée sur trois paramètres : une subvention fixe identique pour chaque AIS, un montant de l’ordre de 500 euros par nombre de logementsgérés l’année précédente et un montant de l’ordre de 2 000 euros par logement supplémentaire. Le système pousse donc les AIS àcroître sous peine de perdre une partie de son financement. « Les AIS qui grandissent vite prennent le plus de risques. L’objectif de la DPR est de doubler le rythme decroissance qui est de huit logements par an en moyenne. A Namur, nous sommes entre quize et dix-huit logements supplémentaires par an. Nous sommes donc déjà àl’objectif », souligne Schallenberg qui estime quand même que cela commence à poser problème. « On n’a jamais imaginé d’AIS quirégresse. Pourtant, nous perdons évidemment des logements. Certains propriétaires âgés décident de vendre ou décèdent »,ajoute-t-il.

Selon Dimitri Fourny, député CDH et président de la jeune AIS Centre-Ardenne6, la priorité doit aller à l’indexation. « Chez nous, lasituation est satisfaisante, mais pour les AIS plus anciennes, c’est plus difficile. La dotation régionale n’a plus été indexée depuis cinq ans, alors que les traitementsdu personnel ont suivi l’index. J’ai interpelé le cabinet où l’on m’a dit qu’il n’y avait pas de possibilité d’indexer actuellement, mais qu’ils vont toutmettre en œuvre pour le faire. »

Les AIS wallonnes ont-elles les mêmes difficultés de trésorerie que les bruxelloises ? Joël Schallenberg explique comment les AIS ont constitué des réservesavant la reconnaissance décrétale. « On économisait sur les salaires. Après, on est passé de la CP 200 à la CP 319.02, ce qui a contribuéà asseoir la situation du personnel. Aujourd’hui, de manière tendancielle, les réserves diminuent. » Pourtant, elles sont importantes car lesnécessités de fonds de roulement sont les mêmes qu’à Bruxelles. En Wallonie aussi, les subventions arrivent lentement : un acompte de 25 % au premiertrimestre et le solde de 75 % fin juin/début juillet. « A Namur, notre réserve sert au fonds de roulement. Les intérêts bancaires de notre réserve semontent à 1 000 euros, c’est donc négligeable. On doit tout de même constater que si l’AIS grandit vite, le fonds de roulement ne grandit pas », nousconfie le directeur en nous donnant un exemple interpelant. « Une AIS a mobilisé son capital pour acheter le bâtiment où elle avait ses bureaux. Cette apparente mesurede bonne gestion (gain d’un loyer, augmentation de la valeur du bien) l’a plongé dans les difficultés de trésorerie qui la mettent aujourd’hui enpéril », s’inquiète-t-il.

Diversifier les ressources et les missions

L’AIS de Centre-Ardenne a été créée il y a deux ans et couvre onze communes. Chaque commune intervient à hauteur de 0,25 euro par habitant. Ellebénéficie d’une dotation annuelle de la Province de Luxembourg de 25 000 euros. Les loyers représentent une part de 15 % qui sert à couvrir le travail degestion de l’AIS et l’intervention de la Région finalise le montage financier. L’AIS de Namur est aussi aidée par la Ville et par la Province. Ce n’est pas le caspartout même si beaucoup de communes collaborent en général. « Mais ce n’est pas réglementé. La province de Hainaut ne finance plus les AIS parexemple. Il faudrait organiser ce cofinancement mais c’est une question épineuse », explique Joël Schallenberg.

La diversification des recettes des AIS est une question en débat, tant à Bruxelles qu’en Wallonie. Un appel à projet du Fonds du logement wallon concerne des logementscollectifs et des logements intergénérationnels. Certains aménagements du règlement seraient intéressants pour des cas particuliers. Le directeur namurois donne unexemple. « Un propriétaire vieillissant me propose une maison trois chambres qui est désormais trop grande pour lui à condition que je le reloge dans un appartementune chambre. Je ne peux pas accepter de le loger car les propriétaires sont exclus du système. C’est dommage ! »

Dimitri Fourny travaille à l’idée de favoriser la prise en gestion de kots par les AIS. « Pour nous, il est dommage que Libramont refuse d’adhérer audispositif, alors qu’elle dispose d’un parc immobilier important y compris en termes de logements étudiants. Les propriétaires font appel à nous en vain, parce que si l’AISprend en gestion leur logement, ils ne peuvent pas bénéficier de l’exonération du précompte immobilier. »

A Saint-Josse, l’AIS va bientôt bénéficier de fonds venant du Contrat de quartier Liedekerke pour un projet visant la réhabilitation des rez-de-chausséecommerciaux vides en logements. « Nous créerons aussi des entrées isolées pour des logements situés au-dessus de commerces », précise PascalNaples. L’AIS de Saint-Josse devrait aussi bientôt prendre en charge la gestion des logements construits grâce à des charges d’urbanisme. « Les promoteurs dela Silver Tower qui sera bientôt érigée place Saint-Lazare devront prendre en charge la construction de logements. La commune nous en donnera la gestion. Mais ilsn’entreront pas en ligne de compte pour le calcul de nos subventions », rajoute Pascal Naples.
Michel Milde explique aussi les relations avec le parc communal à Schaerbeek. « Nous gérons vingt-cinq logements communaux et le petit parc immobilier du CPAS. Larégion tient en compte ce type de logement dans le calcul de la subvention à condition que cela ne dépasse pas 20 % du parc. Plus exactement, elle ne subventionnera pas cequi dépasse 20 %, rien n’empêche que l’AIS en exerce la gestion. »

S’inspirer du Fonds écureuil

La reconnaissance pluriannuelle est une piste de réorganisation mais cela ne peut se faire qu’à enveloppe fermée. Alors que le secteur doit se développer !On peut aussi se poser la question de savoir si les subventions sont suffisantes… Alors, comment faire ? « On pourrait imaginer un financement régional dont une partie seraitplus so
uple à justifier, ce qu’on appelle les « overheads » en anglais. Cela existe dans les universités. Ce serait un montant en sus de la subvention normale. Il faut voir sic’est compatible avec les règles régionales », propose Alain Maron.
Au cabinet Doulkeridis, on réfléchit aux contraintes du droit administratif. Le ministre vient de commander une étude sur l’évaluation du secteur. A partird’une radioscopie, les décisions seront peut-être plus faciles à prendre. Le secteur est au courant de cette initiative et y sera associé.

Le Fonds écureuil de la Communauté française a permis de régler de nombreux problèmes de financement des structures culturelles. Le cabinet va en tout casétudier le dispositif communautaire de près. Pour s’en inspirer ? Une piste à suivre…

1. Arrêté du 28 février 2008 du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale organisant les agences immobilières sociales à lire : http://vlex.be/vid/arr-organisant-agences-immobili-res-37091368.
2. AIS de Saint-Josse :
– adresse : rue de l’Union, 4 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 230 48 34
3. Agence schaerbeekoise immobilière sociale :
– adresse : avenue Georges Rodenbach, 29 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 223 72 47
– courriel : mcourrier@asis.be
– site : www.asis.be
4. Alain Maron :
– adresse : rue de Mérode, 166 à 1060 Bruxelles
– site : www.alainmaron.be.
5. AIS Gestion Logement Namur :
– adresse : rue Saint Nicolas, 71 à 5000 Namur
– tél. : 081 22 59 66
– courriel : gestionlogementnamur@skynet.be
6. Cabinet de Dimitri Fourny :
– adresse : route de Saint-Monon, 79, à 6840 Massul-Neufchâteau 
– site : www.deputefourny.be.

Jacques Remacle

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