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Justice

Enfants de détenus : quand le Covid ajoute de la peine à la peine

Afin de maintenir le virus du Covid-19 hors des murs des prisons, selon les phases de la pandémie, durant de nombreux mois, les visites ont été suspendues ou encadrées par des mesures sanitaires interdisant tout contact physique entre le détenu et sa famille. Au détriment du lien parents-enfants.

© Flickrcc ABN2

Rester proche de ses parents même si l’on est séparé physiquement parce que l’un deux est en prison: un enjeu fondamental pour le développement de l’enfant, comme le rappelle Bernard De Vos, délégué général aux Droits de l’enfant: «C’est un droit reconnu par la Convention internationale des droits de l’enfant. En période sanitaire ou au long cours, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit primer dans toutes les prises de décision. Manifestement, cela ne paraît pas important aux yeux de tout le monde… Priver un enfant de contacts avec un parent détenu, à moins que cela ne relève précisément de son intérêt, consiste en de la maltraitance. Cela va impacter sa construction identitaire. Cela va l’empêcher, aussi, de prendre du recul par rapport à la honte qui peut l’habiter de savoir son parent en prison.»

Assurer le lien, c’est aussi préparer l’après. «Maintenir des contacts avec l’extérieur et en particulier des liens avec leur famille permet aux détenus de s’adapter aux évolutions de la société de façon à pouvoir s’y réinsérer», insiste Sarah Grandfils, membre du bureau exécutif du Conseil central de surveillance pénitentiaire.

«Les règles qui visaient les visiteurs et les personnes détenues se sont parfois révélées plus restrictives que celles appliquées à l’extérieur. Et ce, alors que l’ensemble des agents ne respectaient pas systématiquement les gestes barrières.» Sarah Grandfils, Conseil central de surveillance pénitentiaire

Des règles trop restrictives

Pourtant, avec la crise sanitaire, les possibilités d’échanger hors et au sein de la prison ont considérablement été revues à la baisse. «Cela a porté un sacré coup au moral des détenus, commente Sarah Grandfils. Nos commissions de surveillance évoquent d’ailleurs une augmentation des tentatives de suicide et des incidents entre détenus.»

Maryse Boulanger, l’une des administratrices du groupe Facebook «Familles détenus – Belgium» et dont le fils est emprisonné, rapporte que, même si la situation diffère d’une prison à l’autre, de nombreux détenus se sont sentis coupés du monde durant cette crise: «Certains n’ont plus vu leur famille, même quand les visites étaient permises en raison des conditions dans lesquelles elles étaient organisées. Des visites hors surveillance ont été suspendues. La prise de rendez-vous dépendait du bon vouloir des prisons. Tout comme l’accès au téléphone pour ceux qui n’en ont pas dans leur cellule. Durant une période, les 12-15 ans ont aussi été interdits de visite: comment faire quand on a des enfants de cet âge-là? L’absence de contacts physiques a aussi été très difficile à gérer avec de jeunes enfants.»

Des constats auxquels il faut ajouter une fragilisation financière des familles, notamment en raison de la quarantaine imposée aux détenus privés de leur travail. «Souvent, ils ne pouvaient plus travailler; or cela coûte cher de vivre en prison. Beaucoup de femmes ont cherché à compenser ce manque de revenus, tout en gérant la maison, la famille. Certaines sont tombées en dépression. Certains couples ont explosé», ajoute la représentante des familles de détenus.

Pour Sarah Grandfils, il y a parfois eu confusion entre mesures sanitaires et disciplinaires: «Les règles qui visaient les visiteurs et les personnes détenues se sont parfois révélées plus restrictives que celles appliquées à l’extérieur. Et ce, alors que l’ensemble des agents ne respectaient pas systématiquement les gestes barrières.»

Rester proche à distance

Beaucoup d’enfants n’ont finalement plus mis les pieds en prison pendant de longs mois. «Nous avons alors cherché avec les parents incarcérés comment ils pouvaient continuer à exercer leur rôle, confie Coralie Germeau, psychologue au Relais Enfants-Parents. Certains ont proposé d’envoyer des lettres à leurs enfants. D’autres, des dessins. D’autres encore, des photos ou des graines à planter. L’enjeu était de créer du lien, au-delà de la rencontre physique, bénéfique pour chacun. L’autorisation par l’administration pénitentiaire des visites en visioconférence nous a aidés en ce sens. Les détenus ont revu leurs familles, y compris celles qui vivent à l’étranger. Les enfants ont pu partager leur quotidien, leur intimité. Ces visites virtuelles ont sans doute été moins impressionnantes pour eux qu’en milieu carcéral. Cela ne remplace pas les rencontres physiques, c’est un plus.»

«Certains n’ont plus vu leur famille, même quand les visites étaient permises en raison des conditions dans lesquelles elles étaient organisées.» Maryse Boulanger, groupe Facebook «Familles détenus – Belgium»

D’autres solutions auraient-elles pu être implémentées pour garantir davantage de proximité entre parents et enfants? «La gratuité des échanges téléphoniques, répond Sarah Grandfils. Même si ce n’est pas l’idéal, on aurait également pu conditionner les visites familiales à du testing. Et puis, surtout, on aurait pu jouer la carte de la confiance et admettre que les visiteurs n’avaient absolument aucun intérêt à faire courir des risques à leurs proches en faisant entrer le virus en prison.» Car les familles, inquiètes de la santé physique et mentale de leur proche, ont souvent eu le sentiment d’avoir été «enfermées dehors», relève Maryse Boulanger.

La crise Covid a mis en lumière les «dysfonctionnements» dans de nombreux secteurs. Au moment de construire l’après, pourquoi ne pas saisir l’occasion de s’améliorer? «Faciliter le maintien du lien parental durant la peine, c’est, par exemple, demander spontanément à tous les parents qui arrivent en prison s’ils veulent garder des contacts avec leur(s) enfant(s), suggère le délégué général aux Droits de l’enfant. C’est aménager les conditions dans lesquelles se déroulent les visites au regard de l’intérêt des jeunes: horaires et trajets adaptés, environnement child friendly, espace ado, etc. C’est aussi mettre en question notre système carcéral. Est-il intéressant sociétalement, pour les familles, pour les enfants? Le meilleur moyen pour préserver le lien entre l’enfant et son parent détenu, ne serait-il pas de faire en sorte qu’il ne soit pas incarcéré en ayant recours aux peines alternatives à chaque fois que c’est possible?»

«Avec nous, les enfants peuvent se décharger émotionnellement et communiquer librement»

Les enfants désireux de rencontrer leurs parents incarcérés peuvent se rendre aux visites organisées par les établissements pénitentiaires. Ou passer par le Relais Enfants-Parents qui a pour objectif de soutenir la relation entre un enfant et son parent détenu, en supervisant des visites dédiées aux échanges familiaux et en proposant un soutien psychologique aux jeunes comme aux adultes.

«Avant d’activer ces visites, l’équipe évalue si maintenir le lien est dans l’intérêt de l’enfant, explique Coralie Germeau, psychologue au Relais Enfants-Parents. Nous examinons si le détenu a réellement envie de s’investir dans la vie de son enfant. Et s’il est en mesure de le faire.» Quand la réponse est positive, les visites peuvent être individuelles ou collectives. Ces espaces de rencontre et de jeux sont réservés aux détenus et à leurs enfants. Pour que ces derniers puissent se rendre en prison dans les meilleures conditions possibles, le Relais Enfants-Parents fait appel aux volontaires du réseau Itinérances de la Croix-Rouge.

Ces bénévoles opèrent en binômes afin de bien encadrer l’enfant ou la fratrie durant ces (parfois très longs) déplacements en voiture ou en transport en commun. «Une ou deux fois par mois, nous allons chercher le jeune à l’école, chez lui ou dans son institution pour l’emmener jusqu’au lieu de détention, explique Catherine Bourgeois, volontaire au Réseau Itinérances. Sur place, il va être pris en charge par le psychologue du Relais Enfants-Parents. Et à la fin de la visite, nous le ramenons à bon port.»

«Nous n’avons pas de contacts avec le parent détenu, précise Claude Stievenart, responsable d’activités pour le Réseau Itinérances dans la province de Hainaut. Nous ignorons le motif d’incarcération, la longueur de la peine. Ce qui prime pour nous, c’est le bien-être des enfants. Notre rôle ne se limite pas au taxi social, nous installons un climat de confiance dans lequel ils peuvent se décharger émotionnellement et communiquer librement.»

En chemin, les volontaires observent l’enfant, lui posent des questions banales pour le mettre à l’aise, l’écoutent s’il est d’humeur bavarde et respectent son silence s’il préfère se taire. «S’il change d’avis en cours de route, nous ne le forçons pas à se rendre à la visite, ajoute Catherine Bourgois. Nous allons discuter pour comprendre et prévenir le Relais Enfants-Parents. Idem si nous remarquons un changement de comportement, si le rendez-vous s’est mal passé, si la prison a annulé au dernier moment. Quand la visite a lieu, les jeunes se montrent généralement plus détendus, satisfaits. J’ai le sentiment que ça leur fait du bien.»

À l’école ou en famille, avoir un parent en prison peut être un tabou pour l’enfant. «Dans le cadre des visites collectives organisées par le Relais Enfants-Parents, le jeune va croiser d’autres fils et filles de détenus avec qui il pourra éventuellement échanger quelques mots ou regards», poursuit Catherine Bourgeois. «Ces enfants sont confrontés aux lourdes portes, aux longs couloirs, à la surveillance des agents pénitentiaires. Cela libère de savoir qu’ils ne sont pas seuls à vivre cela.»

Durant la pandémie, beaucoup de ces visites ont été suspendues. Les acteurs s’interrogent sur les conditions de reprise… «Combien de liens se sont effilochés? Combien de familles sont éclatées? En tout cas, on s’adaptera et on aidera les enfants du mieux qu’on pourra», assure Claude Stievenart.

Allison Lefevre

Allison Lefevre

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