Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Archives

Desperate homeless wives

Le sans-abrisme est souvent considéré comme un problème qui ne touche que les hommes. Or ces dernières années, le nombre de femmes sans-abri s’est accrudans tous les États membres de l’Union européenne et la Belgique est loin d’être épargnée. Une journée d’étude organisée parle Réseau belge de lutte contre la pauvreté1 et l’asbl Chez nous2 a permis de cerner d’un peu plus près le profil de ces femmes en errance.

25-09-2008 Alter Échos n° 259

Le sans-abrisme est souvent considéré comme un problème qui ne touche que les hommes. Or ces dernières années, le nombre de femmes sans-abri s’est accru dans tous les États membres de l’Union européenne et la Belgique est loin d’être épargnée. Une journée d’étude organisée parle Réseau belge de lutte contre la pauvreté1 et l’asbl Chez nous2 a permis de cerner d’un peu plus près le profil de ces femmes en errance.

Encore aujourd’hui, de nombreuses personnes se représentent les sans-abri comme un groupe relativement homogène, composé majoritairement d’hommes d’âge mûr, alcooliques et vaguement délirants. Cette image traditionnelle, qui a d’ailleurs longtemps animé notre imaginaire collectif tout autant que la littérature sur le sujet, ne correspond pourtant pas, ou seulement très partiellement, à la composition actuelle de la population des sans-abri.

Les transformations récentes du phénomène ne permettent plus, en effet, de parler d’un seul profil de sans-abri mais bien d’une diversité de profils. Parmiceux-ci, on compte désormais des femmes, des enfants, des jeunes adolescents, des malades mentaux, des sans-papiers, des femmes victimes de violence conjugale, des personnes récemment libérées de prison, des travailleurs précaires, etc. En Belgique, on s’entend en général pour dire qu’il existe 17 000 sans-abri. Ils seraient plus de2 000 rien que sur Bruxelles, en ne tenant pas compte des sans-papiers. Et sur ces 17 000 sans-abri, la proportion de femmes augmente d’une manière telle que l’on parled’une véritable féminisation du phénomène. Ces femmes représentent ainsi, à Bruxelles, un tiers de la population sans-abri (les deux autres tiersétant répartis en 1/3 d’hommes, 1/3 d’enfants). Sur ce tiers de femmes, quatre sur cinq ont des enfants, pour la plupart également hébergés en maisonsd’accueil.

Une vulnérabilité plus grande

« Être une personne sans-abri, c’est adopter un mode de survie caractérisé par des conditions d’excessive précarité, rappelle Kaatje Borms, présidente de l’asbl Chez nous, qui accueille et accompagne de nombreux sans-abri à Bruxelles. C’est avoir faim, c’est avoir froid et s’exposer à toutes sortes de risques et de maladies ; c’est ne pas pouvoir se laver et ne pas avoir accès à un lit où se reposer ; c’est se voir refuser la santé et, bien souvent, la connaissance. »

Être une femme sans-abri, c’est tout cela et plus encore. C’est se présenter à une soupe populaire où l’espace est quantitativement dominé par les hommes ; c’est être éloignée de ses enfants, voire être l’objet de leur mépris ; c’est donner des services sexuels pour pouvoir manger ou ne pas dormir au froid dans un parc public lorsque tous les refuges de la ville sont complets ; c’est aussi être exposée aux risques d’agression sexuelle. Être une femme sans-abri, c’est encore courir le risque de grossesses indésirables pour lesquelles une interruption de grossesse n’est pas toujours possible.

Sylvie De Clerck, étudiante à la VUB, a consacré son mémoire de fin d’études3 à ces nouvelles et plus anciennes « clochardes ». Parmi les caractéristiques récurrentes : « la plupart ont, ou ont été, mariées et ont des enfants, souvent placés. Elles ont dans la rue entre elles leur propre code, la meilleure place pour mendier va par exemple à la plus ancienne. Elles développent aussi leur propre stratégie pour s’assurer un minimum d’hygiène. » Les SDF le dénoncent régulièrement, Bruxelles manque en effet de toilettes publiques et quand elles existent, elles sont pour la plupart payantes.Stratégie de la débrouille, les femmes empruntent alors les toilettes de la ligne de train Nord-Midi pour s’y soulager et y faire un brin de toilette.

Si elles développent pour la plupart de bonnes relations avec le personnel de sécurité ou la police, elles sont aussi des proies faciles pour les agressions en tout genre,pour les sectes et nombreuses souffrent de problèmes plus ou moins lourds de santé mentale et dépendent de médicaments. Beaucoup ont exprimé le fait que la vie n’avait pour elle aucun sens, la prise de drogue et d’alcool devient alors une forme lente de suicide.

Portrait impressionniste

Annette Perdaens, directrice administrative de l’Observatoire de la santé et du social à Bruxelles4, s’appuie sur une étude5 publiée en France en 2005 et esquisse quelques caractéristiques des femmes seules à la rue : « L’errance est vécue différemment par les femmes, il s’agit d’une survie identitaire, elles doivent faire face à une désapprobation sociale : « comment une femme peut-elle aboutir à la rue ? », et celle-ci est d’autant plus grande que leur comportement – alcoolisme, vulgarité, violence, enfants placés… – dérange. L’errance est un parcours, elle est jalonnée de moments avec ou sans abri, ou dans des abris divers : voiture, squat… dans une vie de couple et ponctuée de grossesses pour les plus jeunes,… La vie à la rue use le corps, il est anesthésié par des produits, pour éviter les situations trop douloureuses, mais aussi pour fuir le regard de reproche des autres, la honte face à l’échec d’avoir raté son rôle de femme « honorable ». Les femmes se vivent moins comme victimes que comme coupables, et elles expriment plus la honte que les hommes. »

La rupture avec la famille est plus nette aussi et plus définitive chez les femmes que chez les hommes, semble-t-il. C’est la rupture avec la famille qui est le point de départ de l’errance, qui est amplifiée par les difficultés matérielles et psychologiques, mais elle a des racines plus profondes dans l’histoire de chacune.

« Les femmes mettent en œuvre toute une série de stratégies de dissimulation de leur situation de femme à la rue : invisibilité géographique et invisibilité personnelle, explique Annette Perdaens. Certaines ne veulent pas se mettre en danger en exposant leur précarité et cela renvoie à la notion d’invisibilité : elles développent une grande ingéniosité pour soigner leur apparence, leur propreté, leur habillement pour passer inaperçues.D’autres, également pour passer inaperçues, prennent des allures masculines, dans les vêtements comme dans les attitudes. Elles peuvent utiliser d’autres stratagèmes comme « repoussoir » : être sale et sentir mauvais pour éviter les agressions et les viols. Ainsi, progressivement, les femmes en errance perdent les repères de leur identité : elles n’habitent plus dans un logement, elles n’habitent plus leur corps, elles n’habitent plus le langage, elles sont souvent connues dans la rue par leur seul prénom ou par un surnom. »

L’une des autres caractéristiques de l’errance est la reproduction répétitive de situations à l’infini : ne pas supporter que cela aille mieux,multiplier les grossesses. Les démarches auprès des services sociaux font aussi partie des scénarios à répétition. « Elles consomment les services :elles viennent dans l’urgence, disparaissent, réapparaissent, brouillent les pistes, avec d’autres récits, d’autres demandes. Elles donnent l’impression de vivre le temps autrement. En s’échappant, elles se rendent inatteignables, inaccessibles, insaisissables. Les femmes ne sont repérées que lorsqu’elles passent par le réseau institutionnel et associatif. »

Pas de véritable politique publique

Bernard Francq, sociologue et professeur à l’Unité d’anthropologie et de sociologie de l’UCL, dénonce quant à lui le manque de véritable politique publique en ce qui concerne le sans-abrisme, comme cela existe au Canada, par exemple. Il pointe ainsi le fait que sur les 168 projets subsidiés par la Politique des grandes villes, un seul, celui duCasu6, concerne les sans-abri. « On préfère donner plus de moyens pour sécuriser… » Il tient également à se démarquer de certaines velléités à vouloir colloquer les sans-abri souffrant de troubles mentaux. « J’ai connu la révolution de la psychiatrie ouverte, ce n’est pas pour qu’on fasse marche arrière. Maintenant, dire qu’il n’y a pas assez d’accompagnement sur le terrain, ça, c’est autre chose. »

Après le diagnostic, les recommandations. Elles sont nombreuses mais touchent, pour la plupart, la population sans-abri dans son ensemble, nous y reviendrons donc lorsque sera présenté le Rapport pauvreté bruxellois au Parlement. L’une de ces recommandations touchait toutefois plus spécifiquement les femmes sans-abri : créer pour les femmes, des lieux de réappropriation du corps, des lieux sans hommes pour retrouver progressivement des rituels et retrouver leur identité en référence à des différences culturelles.

Invisibilité statistique

Une chose sur laquelle tout le monde s’est accordé lors de la journée : on manque de données pour cerner le sans-abrisme. À Bruxelles, aussi. On se souviendra quedéjà en 2000, Andréa Rea directeur du Germe (ULB) démontrait dans son étude le manque de chiffres et de recherches sur le profil des sans-abri en Régionbruxelloise et proposait la création d’un centre de référence et de coordination des politiques d’accueil. Sept ans plus tard, c’est-à-dire en 2007, on vientseulement de créer ce centre baptisé Centre d’appui à la politique des sans-abri, La Strada (cf. à ce sujet l’Alter Échos n° 232 Plan global pour lessans-abri à Bruxelles : six ans d’accouchement). Une lenteur et une complexité institutionnelle dénoncée, notamment, par le ministre bruxellois Pascal Smetlors de son intervention à la journée d’études.

Pour 2009, les deux ministres bruxellois en charge de l’aide aux personnes ont toutefois promis de mettre en place un système d’enregistrement de données compatible pourtous les services. L’approche utilisée pour quantifier le phénomène prendra comme point de départ les services d’aide bruxellois. Reste às’entendre sur le type de données enregistrées et sur leur utilisation. Nous y reviendrons en temps opportun. Le récent plan de lutte contre la pauvretéprévoit également la commande d’une étude statistique du sans-abrisme en Belgique.

1. Réseau belge de lutte contre la pauvreté :
– adresse : bâtiment Aroma, rue du Progrès, 323 bte 6 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 204 06.50
– courriel : ludo.horemans@antwerpen.be
2. Asbl Chez nous/Bij ons :
– adresse : rue des Chartreux, 60 à 1000 Bruxelles
– tél./fax : 02 513 35 96
– courriel : bijons_cheznous@mobistarmail.be
– site :
http://users.skynet.be/cheznous.bijons/

3. Sylvie De Clerck, Le sans-abrisme dans la Région de Bruxelles-capitale, une recherche qualitative sur l’univers propre des femmes sans-abri, VUB, 2008.
4. Observatoire de la santé et du social en Région de Bruxelles-Capitale :
– tél. : 02 552 01 50
– courriel : aperdaens@ccc.irisnet.be
– site : http://www.observatbru.be
5. Marie-Claire Vaneuville, Femmes en errance, de la survie à l’existence, 2005.
6. Casu : Centre d’action sociale d’urgence à Bruxelles.

catherinem

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)