Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

MENA

Des traumas d’adultes dans des vies d’enfants

Reportage à L’Étape-Mena, centre Fédasil d’accueil de mineurs étrangers non accompagnés.

Copyright : Léo Potier

En 2017, 735 mineurs ont sollicité une demande d’asile dans le Royaume. Ces mineurs étrangers non accompagnés (MENA) ont tous le point commun de n’avoir personne pour veiller sur eux lors de leur arrivée en Belgique. Après une période d’observation par l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fédasil), ils sont répartis dans des centres d’accueil où ils peuvent se stabiliser, laisser derrière eux le traumatisme de l’exil et se permettre de penser à un avenir. Des centres en Fédération Wallonie-Bruxelles subsidiés par le fédéral. Reportage à Couvin, au centre L’Étape-MENA.

C’est dans la vallée en direction de Couvin que file une camionnette. «La poubelle ambulante», comme la surnomme avec humour Gauthier Declercq. Grand nounours bien bâti, l’éducateur du centre L’Étape-MENA part chercher ses protégés. En temps normal, les jeunes font la distance à pied: 20 minutes en courant, 25 minutes si l’on marche. «Mais là, il pleut», explique notre chauffeur. Direction donc la gare de Couvin. À la mi-chemin, on croise un petit groupe de jeunes qui font de grands signes. Arrêt rapide sur le côté et la troupe s’engouffre dans un joyeux vacarme en se serrant sur les sièges. «Comment c’était l’école?», tente-t-on de demander. S’ensuit une série de réponses aussi incompréhensibles que bruyantes. «Voilà, c’est ça, le retour des classes chez nous: ça cause dans toutes les langues. Personnellement, ça me rappelle quand j’étais petit», sourit Gauthier. Gilet jaune trônant sur le tableau de bord, la camionnette repart dans le sens opposé à la sortie de la ville pour grimper la rue du Pied de la Montagne. Une route sinueuse qui se perd plus haut dans une étrange forêt brumeuse. Gauthier prend directement à gauche et se gare devant le centre d’accueil. Un ancien hôtel, un temps devenu le siège d’une communauté de Frères Maristes. Des lieux qui accueillent depuis avril 2016 ces jeunes mineurs envoyés par Fedasil. Cette bâtisse aux murs blancs et haute d’un étage fait vivre actuellement 19 MENA, dont trois filles. La porte de la camionnette coulisse et les jeunes sortent en courant vers le goûter. La maison reprend vite vie dans toutes ses pièces. À l’étage, la musique des GSM perce les portes des chambres. Au rez-de-chaussée, la cuisine est assiégée, car c’est là où l’on trouve les gaufres. Il y a aussi le martèlement du tapis de course dans la salle d’activité. Et puis, le petit canapé à côté du bureau des éducateurs s’est rempli. Il n’est pas loin de la borne wi-fi.

«Je suis bien»

Des éclats de voix partent d’une autre pièce: le salon. Un endroit bien chauffé parcouru de longs canapés. Un écran blanc sur le mur pour le rétroprojecteur. Le clou de l’endroit, c’est bien sûr le baby-foot. Amine vient de remporter son match. Les bras en croix sur le canapé, il savoure la victoire à la manière des grands du ballon rond. Casquette sur la tête, manteau-capuche fourrure, il a 15 ans et vient du Maroc. Dans un français convenable, Amine raconte son histoire: «Ma mère est morte quand j’avais un an, mon père en 2016. Au Maroc, toute la famille ne nous aimait pas. Je suis parti pour faire un bon avenir ici en Belgique.» Grand sourire: «Pour nous, les Marocains, l’endroit où l’on veut aller, c’est la Belgique.» Plus de famille pour l’aider? «J’ai un frère en France chez qui j’ai passé quelques mois. Mais sa femme ne voulait pas que je reste.» Amine raconte avoir vécu dans un foyer dans l’Hexagone. Un lieu qu’il décrit comme violent où drogues et bagarres sont quotidiennes. «Je suis parti. Je suis arrivé en Belgique et je suis bien», dit-il avant de nous demander de relayer ses comptes Instagram et Snapchat.

80 euros par jour par MENA

Petit tour dans les chambres. À l’étage, Gauthier, l’éducateur-chauffeur, s’improvise maintenant déménageur. Il traîne un matelas, accompagné de Yaya. Le petit Guinéen ne fait pas ses 12 ans avec sa petite taille et sa voix enfantine. «Le matelas, c’est pour Abdoulaye. Il arrive lundi et lui aussi est Guinéen», explique Gauthier. Yaya a tout de suite proposé de l’accueillir chez lui. Sa chambre est rangée, le lit est fait et les peluches cohabitent avec le GSM sur l’étagère. Dans un français hésitant, Yaya se souvient d’avoir longtemps marché puis pris l’avion pour arriver jusqu’en Belgique. Pourquoi partir? La violence familiale, les «disputes», les «bagarres». Yaya en parle comme s’il avait déjà dû le raconter auparavant. Et c’est le cas. «On attend de ces jeunes qu’ils maîtrisent beaucoup de réalités et notamment des réalités d’adultes», note Christophe Deflem. Barbichette poivre-sel, une voix douce, le directeur de L’Étape-MENA fait le décompte: «On estime qu’il y a trois types de traumatisme. Premièrement, vivre dans un pays en guerre ou une situation familiale difficile. Deuxièmement, supporter l’exil car je n’ai jamais entendu un jeune me dire que s’exiler, c’était chouette. Et puis, troisièmement, amortir le choc de l’arrivée en Belgique où le décalage culturel est grand.»

Et c’est justement pour y faire face que l’équipe de L’Étape-MENA est grande. Douze éducateurs, une assistante sociale à temps plein, la comptable, deux personnes pour la gestion alimentaire sans compter un ouvrier de maintenance pour les petits travaux. «Et moi», complète Christophe. Le financement, en provenance de Fedasil et de l’Aide à la jeunesse, est pérennisé par une convention à durée indéterminée depuis juin dernier. À raison d’un peu plus de 80 euros par jour par jeune, le budget compte 1 million d’euros chaque année. «Cela semble beaucoup mais 78% de nos dépenses, c’est de la masse salariale. Avec une partie qui repart à l’État en cotisations sociales ou charges patronales. Le vrai coût est moindre», relativise Christophe Deflem.

La soirée commence doucement au centre. Les repas commencent à 18 h 30 et deux jeunes Afghans commencent à faire la cuisine dans une petite kitchenette mise à leur disposition. Il y aura peut-être une projection de film ou un match de foot à regarder ce soir. Dans la cuisine, Zohal, jeune Afghane de 13 ans, nous fait signe. Coupe au carré avec frange, pantalon rayé assorti à son haut, son sourire est éclatant et sa présentation est impeccable. Il y a chez elle une réelle envie de parler en français malgré ses difficultés: elle est arrivée ici il n’y a que quatre mois. Impossible d’en savoir plus sur elle car l’Afghanistan amène dans le regard de l’adolescente une tristesse encore vive. De toute façon, la conversation ne s’éternise pas car Zohal a cours de karaté ce soir. «Je suis parfois un peu en colère face à des citoyens qui pensent que ces jeunes viennent profiter d’un système et que finalement ils ont la belle vie. C’est complètement faux», s’insurge Christophe Deflem. En haut, le petit Yaya, sur son matelas, marmonne d’un air sérieux: «Si je n’avais pas de problèmes, je ne serai pas venu en Belgique. Parce que ce serait bien s’il n’y avait pas de problèmes.»

MENA victimes de la traite: double fardeau

Dans les environs de L’Étape-MENA existe un autre centre. Une association sœur qui s’appelle Espéranto. Son adresse exacte est gardée confidentielle car l’asbl accueille des MENA victimes de la traite. Gauthier croise les bras. «J’ai travaillé à Espéranto. C’est compliqué. Ces jeunes ont d’abord besoin de se reconstruire psychologiquement. Ce sont quand même des enfants qui ont dû vivre des choses pas très marrantes: on parle de viol, de prostitution», lâche-t-il l’œil noir. À la fin de l’année 2018, Myria, le Centre fédéral Migration, a poussé un cri d’alarme concernant de jeunes Nigérianes, mineures d’âge, victimes de la prostitution en Belgique. «L’une des facettes les plus frappantes de ce phénomène est de constater combien ces victimes se sentent liées par une dette contractée au pays sous l’égide de rites vaudous, qui les enferme financièrement mais surtout psychologiquement», écrit François de Smet, le directeur de Myria. Christophe Deflem opine du chef. Avant de prendre la direction du centre L’Étape-MENA, il a dirigé Espéranto. «Il s’agit de jeunes filles inscrites dans des réseaux occultes, cachés. On parle vraiment de prostitution parallèle», affirme-t-il, confiant avoir perdu une forme de «naïveté» après avoir travaillé auprès de jeunes MENA victimes de la traite. Gauthier conclut: «Les jeunes qui sont ici, à l’Étape, n’ont pas vécu tout ça. Et heureusement pour eux, car ils vivent déjà avec le fardeau d’être partis sans leurs parents et de vivre loin d’eux quand ils sont encore au pays.» Un double poids à porter: difficile de cumuler le déracinement lié à l’exil avec le traumatisme de la traite.

 

Léo Potier

Léo Potier

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