Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Des demandeurs d’asile logés à l’hôtel : la crise de l’accueil n’en finit pas

Des hôtels accueillent des demandeurs d’asile depuis des mois, souvent sans aucun accompagnement.

27-10-2009 Alter Échos n° 283

Des hôtels accueillent des demandeurs d’asile depuis des mois, souvent sans aucun accompagnement. Des crédits ont été alloués à l’ouverture deplaces, mais l’issue de la crise ne semble pas se profiler.

C’est l’heure du petit-déjeuner dans un hôtel du quartier botanique. Dans la salle commune, un public bigarré s’affaire autour des thés et des cafés. Ce groupe enprovenance de plusieurs régions du monde n’est pas composé de touristes mais de demandeurs d’asile, dont certains sont fraîchement arrivés, fuyant persécutionset violences généralisées. Arden est originaire du Kosovo, elle est un peu désorientée. Elle a fui la région avec ses trois enfants et attend depuis troismois, dans cet hôtel, qu’une place se libère dans le réseau d’accueil de Fédasil. Un jour, elle a reçu la visite de la Croix-Rouge, aujourd’hui de Médecins dumonde (MDM)1, mais jamais personne d’autre n’est venu les voir. Autre curiosité, les enfants d’Arden semblent avoir été soustraits au principe de l’obligationscolaire, ils n’iront pas en classe tant qu’ils ne bénéficieront pas d’une place dans le réseau d’accueil.

Leur accueil « d’urgence », en hôtel, est censé durer 10 jours – délai prévu par la loi – et pourtant il s’éternise depuis 3 mois.Médecins du monde, dernière association à se rendre dans les hôtels, a entamé sa dernière tournée le 15 octobre. En trois mois, l’ONG arencontré plus de 200 personnes pour environ 340 consultations. Élisabeth et Anne, toutes deux infirmières bénévoles pour MDM évoquent la « tristesse» qui les habite à l’idée que le projet s’arrête alors que « rien ne change pour les demandeurs d’asile ».

Une crise perpétuelle

La saturation du réseau d’accueil des demandeurs d’asile est devenue une constante dont l’équation est simple : il y a plus de personnes pouvant se prévaloir d’un droità l’accueil que de places disponibles dans les centres ouverts ou les ILA (Initiatives locales d’accueil) et les atermoiements du gouvernement autour de la régularisation n’ont faitqu’augmenter la pression. Depuis près de deux ans, les problèmes sont connus et n’ont cessé de croître. Malgré les nombreuses tentatives de trouver des placesd’urgence au sein du réseau d’accueil (tentes, lits supplémentaires), des demandeurs d’asile ont été contraints de dormir à la rue. Il n’est pluspossible pour l’administration de les laisser sans abri depuis que le tribunal du travail a ordonné à l’État belge, en juillet dernier, d’offrir un hébergement àchacun d’eux, sous peine d’astreintes. Cette solution « temporaire » a concerné 500 demandeurs d’asile en juillet. Depuis quelques semaines, ils sont en permanence entre 1000et 1100 à être hébergés dans des hôtels de la Région bruxelloise. Le 15 octobre, ils étaient 1104. Certes, ils ont un toit, mais certains droits debase, comme le droit à l’éducation ou le droit à la santé ne sont pas vraiment respectés alors même que la promiscuité avec des inconnus est souventmal vécue au quotidien.

Témoignage d’un réceptionniste d’un hôtel bruxellois

Il est clair que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans nos hôtels ne sont pas bonnes, surtout pour les familles. Prenons l’exemple des soins. La plupart sesentent mal, et la procédure administrative pour obtenir des médicaments peut prendre cinq jours, c’est extrêmement long, et c’est à nous de faire le lien entreles réfugiés et les administrations car la plupart viennent d’arriver en Belgique et ne parlent pas le français. Du coup, je deviens à la fois réceptionniste,baby-sitter, assistant social et presque conseiller juridique, ce qui, évidemment, n’est pas ma formation. Mais si on ne les aide pas, personne ne les aide, les associations ne viennentplus, même la Croix-Rouge ne vient plus. Elle distribuait des colis avec du lait pour bébé, des couches, des rasoirs, des jetons pour laver les vêtements, tout çaleur manque et ils doivent se le payer avec les six euros par jour par personne en chèques-repas que distribue Fédasil. Mais le plus dur reste la détresse des gens lorsque ladécision négative sur l’asile tombe et qu’on doit les aider à affronter ça et surtout lorsqu’on doit leur dire qu’ils ne peuvent plus êtreaccueillis dans l’hôtel.

Les associations ont quitté les hôtels

Lorsque l’accueil en hôtel a été mis en place, plusieurs associations avaient décidé d’aller à la rencontre des demandeurs d’asile afin de palliertemporairement l’absence des services sociaux et juridiques que l’État est censé pourvoir. Selon Pascale Mertens, de Vluchtelingenwerk Vlaanderen2, « il y a une absencetotale d’accompagnement dans ces hôtels, pas de suivi juridique, ni psychologique ni médical, certains ne reçoivent pas d’explication sur leur situation pendant plusieurs jours,il y a certainement des erreurs, des rendez-vous non respectés dus à cette absence d’accompagnement, il y a même un hôtel où les gens ne sortaient jamais car ilspensaient qu’ils n’en avaient pas le droit. » La Croix-Rouge, le Ciré, le CBAR ou encore Médecins du monde, sous la houlette de Vluchtelingenwerk Vlaanderen, avaientprévenu : ces tournées dans les hôtels ne dureraient pas. Le 15 octobre, il y serait mis un terme, ensuite ce serait au gouvernement de mettre en place des mesuresadéquates pour que l’accueil en hôtel ne soit que passager. Le 15 octobre est arrivé, et les mesures adéquates se font attendre.

Si 9,5 millions d’euros ont été débloqués en septembre dans le but d’ouvrir au moins 800 nouvelles places, celles-ci semblent plus difficiles à trouver queprévu. Autre espoir, le dernier conclave budgétaire a été favorable à Philippe Courard, secrétaire d’État à l’Intégration sociale età la Lutte contre la pauvreté (PS), qui a obtenu le budget nécessaire à l’ouverture de 5 000 nouvelles places à l’horizon 2010. Là encore, elles nes’ouvrent pas d’un claquement de doigts et, dans l’attente de la future extension du réseau d’accueil, il faudra bien loger les gens car, malgré les hôtels, des demandeursd’asile dorment toujours à la rue.

Le gouvernement pressé de mettre fin à la crise de l’accueil

Pour pallier le problème de fond, la création de places est une évidence. À l’autre bout de la chaîne, le souci des autorités est aussi de «vider » le réseau de certaines catégories d’étrangers ayant, pour l’instant, droit à l’accueil, il en a été ainsi des Roms. Certainesmesures ont été adoptées, et elles ne fon
t pas toutes l’unanimité. Ainsi, les demandeurs d’asile multiples, -c’est-à-dire ceux qui ont, à plusieurs reprises,déposé une demande d’asile -, n’auront bientôt plus droit à l’accueil. Une mesure qui fait bondir les associations car, selon elles, il arrive souvent que des demandeursd’asile au cours d’une nouvelle procédure aient des éléments à faire valoir et obtiennent le statut de réfugiés. Quant aux familles enséjour irrégulier, elles sont aussi des cibles avouées. Ces familles ont un droit à être accueillies au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant,elles font actuellement les frais de ces tentatives effrénées de trouver de nouvelles places et finissent parfois dehors, ce que n’a pas manqué de dénoncer lemédiateur fédéral3 en évoquant des pratiques proches de « l’excès de pouvoir ».

Les concernant, le cabinet de Philippe Courard a « conscience que ce problème est regrettable, nous cherchons des solutions et avons mandaté l’administration pour trouverun protocole d’accord entre l’Office des étrangers et Fédasil ». Un protocole qui visera à faire sortir ces familles encombrantes par le biais derégularisations, de retours volontaires et… de retours forcés. Pour les autres catégories d’ayant droit à l’accueil, l’objectif duministère est de « mettre tout en œuvre pour ouvrir les sites prévus », afin d’en finir avec l’accueil en hôtel.

Ce sont bien les demandeurs d’asile qui font les frais des tergiversations actuelles, en navigant à vue à Bruxelles et dans leur procédure. Des places seront ouvertes,un jour, lorsque les blocages entre administrations, communes, CPAS, cabinets, associations seront dépassés, car les fonds sont promis. Mais que faire en attendant ? Des associations,le Ciré et Vluchtelingenwerk Vlaanderen, proposent cette idée surprenante : l’accueil d’urgence dans des containers aménagés ou dans des tentes. Legouvernement devrait ainsi commander 700 containers livrés au plus tôt en juillet 2010 et les installés sur les entre Fedasil existants. Cet accueil, qui, à premièrevue peut sembler assez précaire, serait le gage d’un meilleur accompagnement des demandeurs d’asile tant au niveau juridique que psycho-social. Les deux associations menacentà nouveau d’attaquer en justice l’État belge pour en finir avec l’accueil dans les hôtels et surtout avec les renvois à la rue de demandeursd’asile. En attendant le bout du tunnel, les hôteliers bruxellois peuvent se frotter les mains, le taux d’occupation de leurs établissements est garanti pour les prochainsmois.

1. Médecins du monde,
– adresse : rue de l’éclipse, 6 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 648 99 69
– courriel : info@medecinsdumonde.be
– site : wwww.medecinsdumonde.be
2. Vluchtelingenwerk Vlaanderen :
– adresse : rue Gaucheret, 164 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 274 00 20
– courriel : info@vluchtelingenwerk.be
– site : www.vluchtelingenwerk.be
3. Refus d’accueil des enfants en séjour illégal, Rapport du médiateur fédéral.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)