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Regard critique · Justice sociale
Capture d'écran change.org

La pétition en ligne «Pas de 5G» adressée au gouvernement belge a été supprimée par le site hébergeur Change.org.

Le 31 mars, en plein confinement, Proximus crée la surprise. L’opérateur de télécommunication, dont l’État belge est le principal actionnaire, annonce le déploiement d’une 5G light sur des fréquences inutilisées de la 3G, dans 30 communes belges. Alors que les enchères pour la 5G n’ont pas encore été ouvertes en Belgique, que les normes diffèrent selon les Régions, et que le débat sur les conséquences de la 5G en termes de santé publique est loin d’être fini, les réactions ne tardent pas. Dans le monde politique ou parmi la population, beaucoup s’émeuvent d’être ainsi mis devant le fait accompli, d’autant que le timing est particulièrement interpellant.

Immédiatement, Marie-Laure Béraud, une internaute bruxelloise choquée par cette annonce, lance une pétition en ligne qu’elle adresse au gouvernement belge et intitule «Pas de 5G». Le texte, écrit à chaud, rappelle les dangers de la 5G pour la nature et la santé humaine, et se termine en dénonçant la méthode utilisée par Proximus: «À l’heure où nous voyons à quel point nous sommes faibles au regard de cette pandémie il est inadmissible de profiter de ce temps de confinement pour nous imposer cette folie.» Aussitôt, ce texte écrit sous forme d’un coup de gueule recueille l’adhésion, et la pétition s’envole: le soir même, 30.000 personnes l’ont signée. Dix jours plus tard, 105.000 signatures sont recueillies. C’est sans doute la première fois que l’opposition à la 5G s’exprime aussi massivement en Belgique.

Mais le 10 avril au matin, la page de la pétition n’affiche plus qu’un point d’interrogation suivi d’une phrase énigmatique: «Well this is embarrassing… We couldn’t find the page you were looking for.» En français: C’est embarrassant… Nous n’avons pas trouvé la page que vous cherchiez.

En réalité, la pétition a été supprimée, comme l’a appris Marie-Laure Béraud en recevant un courriel du bureau américain de la plateforme Change.org sur laquelle elle avait posté la pétition. Un message type l’informant, sans plus de précision, que cette décision a été motivée par le fait «qu’une partie du contenu de votre pétition enfreint le règlement de la communauté».

À la lecture du règlement et des conditions d’utilisation invoqués par Change.org, la plateforme est en effet habilitée à supprimer des pétitions à sa guise, si elles enfreignent la loi, diffusent des discours de haine, incitent à la violence, promeuvent la pornographie enfantine ou l’exploitation sexuelle, violent la vie privée d’autrui ou utilisent toute forme d’intimidation. Bien que ces règles puissent être largement sujettes à interprétation, on voit mal en quoi le texte en question y contreviendrait (ce texte est encore accessible ici via le cache de Google). Quand bien même un passage poserait problème, comment justifier de supprimer sans sommation une pétition après qu’elle eut recueilli autant de signatures, plutôt que de la suspendre momentanément et demander à son auteure de modifier l’éventuelle phrase litigieuse?

L’e-mail reçu par Marie-Laure Béraud se concluant par une ouverture potentielle à la discussion («Merci d’utiliser Change.org, nous nous tenons à votre disposition pour toute question»), celle-ci a directement écrit à la plateforme pour contester sa décision unilatérale. Nous avons pour notre part contacté le service presse de Change.org en Europe, en leur demandant les raisons de cette suppression, si cette pratique était courante dans le chef de leur société, et si en l’occurrence la décision a été prise de leur propre initiative ou à la suite de plaintes issues «de la communauté», voire des destinataires de la pétition. Aucune réponse ne nous est parvenue à l’heure de publier cet article.

En tout cas, cet épisode met une nouvelle fois en lumière la fragilité des initiatives citoyennes face aux grandes plateformes Internet – à l’image de Change qui, malgré son nom de domaine .org et sa mission de «donner à toute personne le pouvoir de créer le changement qu’elle souhaite voir», est avant tout une entreprise commerciale. Surnommée «l’Amazon des pétitions en ligne», la plateforme californienne revendique à ce jour 359.920.771 utilisateurs dans 196 pays, et une équipe de 249 employés. Son modèle économique repose sur les donations, les levées de fonds, le marketing et l’exploitation des données personnelles.

En 2016, une enquête de l’hebdomadaire italien L’Espresso confirmait la revente par Change.org des adresses mail des signataires de pétitions (soit aux organisations ayant lancé une pétition, soit par exemple à d’autres ONG ou à des partis politiques) et leur profilage en fonction de leurs opinions politiques. Certaines ONG comme Oxfam avaient alors reconnu acheter de telles données à Change.org, tandis d’autres préféraient répondre de manière évasive. Les tarifs pratiqués à l’époque allaient de 1,5 € par adresse électronique (pour un achat en dessous de dix mille adresses) à 85 centimes (pour un nombre supérieur à 500.000). C’était avant l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, et on ignore quelles sont les pratiques de Change.org depuis lors. Mais une chose est claire: les pratiques de telles plateformes ne sont pas dictées en premier lieu par la vocation «de créer le changement». Et si la pétition contre la 5G a disparu en même temps que sa portée politique, la liste des signataires reste, elle, potentiellement monnayable.

 

En savoir plus

Entre pétitions supprimées et consultation publique biaisée : pendant le confinement, le déploiement de la 5G s’accélère… Lire la suite de cette enquête. 

 

Gwenael Brees

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