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Asile : Campagne « Vonda na Mboka », la controverse continue

La controverse ne faiblit pas face à la campagne que le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael (VLD)1, a lancée en collaboration avec les autorités deKinshasa, campagne dont l’objectif est de dissuader les Congolais de venir demander l’asile en Belgique.

19-05-2006 Alter Échos n° 208

La controverse ne faiblit pas face à la campagne que le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael (VLD)1, a lancée en collaboration avec les autorités deKinshasa, campagne dont l’objectif est de dissuader les Congolais de venir demander l’asile en Belgique.

« Vonda na Mboka », littéralement  » Assieds-toi au village  » en lingala, comporte plusieurs volets : une pièce de théâtre, une bande dessinée et une série de12 émissions de télévision présentant des expériences pénibles vécues par des Congolais en fin de droits qui ont accepté de raconter leurséjour dans des centres fermés. C’est ce dernier point qui a principalement soulevé la critique du côté belge. Ainsi Cédric Vallet, du Ciré(Coordination et initiatives pour et avec les réfugiés et étrangers)2 dans une interview radio à la RTBF dénonçait les conditions dans lesquellesdes interviews de demandeurs d’asile qui étaient encore en cours de procédure auraient été réalisées dans les centres fermés de Vottem et au 127bis.
Ces interviews auraient été organisées par l’Office des Étrangers3 et réalisées par un journaliste congolais qui travaille en Belgique et auCongo, Zacharie Bababaswe. Celui-ci, extrêmement populaire en RDC, réalisait jusque septembre dernier une émission hebdomadaire sur Télé Bruxelles appelée « Mputuville « . Et le représentant du Ciré de rappeler que cinq personnes auraient entamé une grève de la faim après avoir appris que leurs interviews seraientdiffusées à Kinshasa,  » détail  » qui ne leur aurait pas été communiqué avant l’entretien. Ces personnes craignent désormais d’êtreinquiétées lors de leur rapatriement prochain. Cédric Vallet pense que « la confusion la plus grande règne » sur ce point.

L’Office maintient de son côté qu’aucune image n’a encore été diffusée alos que des sources associatives nous affirment le contraire. De plus,il n’est pas rare que les Congolais expulsés soient inquiétés à leur retour au pays. On les détiendrait quelques jours, souvent pour leur extorquer del’argent. En tout cas, le Ciré s’inquiète de voir « que l’on puisse ainsi exposer des personnes à la curiosité publique » et que « la Belgique ne respectepas l’esprit de la Convention de Genève en permettant aux autorités d’identifier des personnes qui ont cherché à fuir leur pays. « 

Procès d’intention ?

Contactée à Kinshasa où elle se trouve actuellement en mission avec le journaliste congolais, Katerina Smits de l’Office des Etrangers, promotrice de la campagne,s’offusque des « procès d’intention » que l’on semble adresser à cette campagne. Quand nous l’informons que des grèves de la faim auraient étéentamées par cinq des personnes filmées, sa réponse est claire :  » J’ai assisté aux interviews et les Congolais filmés étaient enthousiastes ettrès volubiles. Si certaines personnes se plaignent à présent, c’est parce qu’elles espèrent ainsi ne pas être expulsées. On sait très bienque les Congolais adaptent leur discours en fonction de leur interlocuteur. Et il y a toujours des ONG et des avocats en Belgique prêts à tomber dans le panneau. « 

Et Katerina Smits de poursuivre :  » Notre campagne part d’un bon sentiment. Cela fait des années que je travaille sur cette question, et je peux vous assurer qu’aucun demandeurd’asile débouté n’a jamais été inquiété à son retour en RDC. Il reste tout au plus une quinzaine de minutes àl’aéroport avant de tranquillement rentrer chez lui. Nos intentions sont des plus sincères. Si vous pouviez voir les personnes qui sont rentrées avec un peu d’argentgrâce au programme de retour volontaire de l’OIM ndlr : l’organisation internationale des migrations), vous les verriez heureuses aujourd’hui et constateriez qu’elles ont puouvrir une petite boutique. « 

Contacté, Geert Devulder, attaché à la direction générale de l’Office des étrangers, nous informe que le budget total de la campagne  » Vonda naMboka  » s’élève à 100.000 euros. En ligne directe avec Mme Smits à Kinshasa, celle-ci affirme que le budget est en réalité de 50.000 euros. Impossibled’obtenir une réponse quant au budget alloué au volet audiovisuel du film. Seule confirmation de Mme Smits : il s’agira d’une série de 12 émissions,encore en tournage, et de quelques spots d’information.

Et quant à la diffusion ?  » Les chaînes de télévision ne manquent pas ici, répond Mme Smits. Certainement à la RTNC, la télévision publiquecongolaise et sans doute sur quelques-unes des nombreuses chaînes privées qui fleurissent en RDC. « 

« Mais où est le problème ? »

Dans un précédent échange par courriel avec le réalisateur congolais, celui-ci nous affirmait que le reportage serait diffusé à la RTBF au courant du moisde juin. Vérifications faites auprès d’Emmanuel Tourpe, responsable des études de programmation et de prospective stratégique à la RTBF : aucune trace decette diffusion dans les grilles de la RTBF. Et Emmanuel Tourpe de nous expliquer que  » ce genre de reportage ne pourrait pas être diffusé à la RTBF en raison de laméthodologie utilisée. Nous ne pouvons d’un point de vue déontologique diffuser les interviews de personnes qui n’ont pas marqué clairement leur accord. « 

À noter également qu’aucun journaliste n’est autorisé à pénétrer dans un centre fermé pour y réaliser un reportage. Le cas deZacharie Bababaswe est donc une première.  » Nous ne comprenons vraiment pas cette polémique, s’offusque Katerina Smits, il n’y aura aucun moyen d’identifier lespersonnes filmées. Les visages seront floutés (technique utilisée pour effacer le visage) et les noms n’apparaîtront pas. Tout cela nous semble disproportionnéet dérisoire par rapport aux réels problèmes des Congolais qui, au lieu de demander l’exil en Belgique, pourraient s’investir dans leur pays où il y a tantà faire. « 

Au total, six personnes auraient été filmées. Une d’entre elles, une femme, aurait été rapatriée. Me Hugues Dotreppe, qui défendles cinq autres personnes concernées, déclare avoir faxé à l’Office des Étrangers les deux articles de journaux qui ont été publiésà Kinshasa et qui mentionnaient bien les noms des six personnes. « Les versions de mes clients concordent à la virgule près, affirme Me Dotreppe. Et l’und’entre eux, qui était détenu à Vottem avant d’être déplacé au 127 bis avec les autres Congolais filmés, dit la même chose, àsavoir qu’ils ont été emmenés par les gardiens du centre fermé dans une pièce pour y être filmés par trois personnes : le journaliste congolais,Zacharie Bababswe, une autre personne qui s’est également présentée comme journaliste et qui s’est avérée être madame Smits, de l’Office desétrangers, et une assistante sociale du Centre. Leur consentement n’a jamais été demandé. Le plus grave dans cette affaire c’est que mes clients sont engrève de la faim depuis le 1er mai et que plus personne ne semble s’intéresser à leur cas. Ils sont isolés du reste du monde et leur situation estdifficile. »

Me Dotreppe nous a affirmé envisager sérieusement de déposer plainte contre l’Office et contre le journaliste congolais, mais il doit encore analyserl’angle légal. Dossier à suivre…

1. Cabinet Dewael, rue de la Loi, 2 1000 Bruxelles – tél. : 02 504 85 13.

2. Ciré, rue du Vivier, 80/82 à 1050 Bruxelles – tél.: 02 629 77 10 – cire@cire.irisnet.be
3. Office des étrangers, World Trade Center, tour II, chaussée d’Anvers 59B à 1000 Bruxelles – tél. :02 206 15 99

nathalieD

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