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Regard critique · Justice sociale

Santé

Annick Hautem, travailleuse sociale hospitalière

Travailleuse sociale au CHU Saint-Pierre, Annick Hautem accompagne et conseille les patients dans leurs démarches d’accès aux soins, avant, pendant et après leur hospitalisation. Alter Échos lui a emboîté le pas, le temps d’une journée, au cœur de l’unité 406.

© Céline Teret

7 h 45. CHU Saint-Pierre, quartier des Marolles à Bruxelles. Dans les bureaux du service social de l’hôpital, Annick Hautem entame son rituel du matin. Postée devant son écran d’ordinateur, la travailleuse sociale passe en revue la liste de ses patients du jour. Elle en compte 24, dont un tiers de nouveaux, les entrants. À l’aide du système informatique de l’hôpital, elle s’adonne à une minutieuse collecte des données, reportant sur son tableau noms, prénoms, adresses, contacts (famille, médecin traitant…) et autres infos administratives et médicales utiles. Annick identifie les patients aux données incomplètes. Tout à l’heure, elle ira glaner les infos manquantes lors de ses visites. Il se peut que, malgré tout, certaines cases restent vides… Pas d’adresse, pas d’entourage, pas d’aide sociale ou médicale. «À Saint-Pierre, on est souvent face à des personnes en grande précarité, qui cumulent beaucoup de fragilités. Des sans-abri, des sans-papiers… Des cas d’assuétude, des troubles psychiatriques… Ce n’est pas un univers facile, raconte Annick. Mais il y a quelque chose de profondément humain ici qui permet de ne pas laisser les personnes les plus vulnérables dans l’indifférence.»

Réunion en 406

Annick glisse le téléphone dans sa blouse blanche et deux bouteilles d’eau dans son sac de documents. Elle badge, pousse une porte, prend l’ascenseur, traverse le dédale de couloirs, lance des bonjours enjoués aux têtes connues et finit sa course au cœur de l’unité 406 de médecine interne, oncologie et hématologie.

«À Saint-Pierre, on est souvent face à des personnes en grande précarité, qui cumulent beaucoup de fragilités. Des sans-abri, des sans-papiers…»

Son second rituel démarre à 8 h 30: une réunion avec le personnel soignant pour faire le point sur les patients, leur état de santé, leurs besoins… «Les mercredis, la réunion est multidisciplinaire, explique Annick en chuchotant. Là, à la table centrale, il y a les médecins et l’infirmière en chef. Et autour, la diététicienne, la kiné, la psychologue, la pharmacienne…» Au cours des échanges, la travailleuse sociale amasse les infos, répond aux questions, en pose à son tour, partage son avis et note les sollicitations: contacter le service de revalidation pour s’assurer qu’une place sera bien libre pour telle patiente, activer le réseau de soins à domicile pour une dame qui sort aujourd’hui…

Activer des relais

9 heures et des poussières, Annick entame ses visites auprès des patients. De chambre en chambre, elle toque, entre, salue, se présente, prend des nouvelles. Avec les entrants, la travailleuse sociale énumère nom, prénom, adresse… «Dites-moi si ces données sont correctes.» Elle interroge: «Vous êtes toujours en ordre de mutuelle?» Statut VIPO, carte médicale ou aide médicale urgente via un CPAS, Annick passe au crible toutes les aides envisageables afin de garantir aux patients un accès aux soins. 

Au besoin, elle enclenche des démarches pour activer l’une ou l’autre aide identifiée.

Les relais extérieurs sont aussi examinés à la loupe. Chambre 02, un homme s’épanche. Au sortir d’une bagarre, il s’est fait voler tous ses papiers. «Vous avez fait bloquer vos cartes?», demande Annick. Ça a déjà été fait. Bien. Mais l’homme est à la rue. Sa famille a coupé les ponts. Son seul appui occasionnel est une association d’aide aux toxicomanes. Annick propose de prendre contact avec l’association en question. L’homme donne le nom d’une assistante sociale qui le suit là-bas. Annick l’appelle, se présente, explique et tend le téléphone au monsieur. Le lien est réactivé. À la demande du patient, Annick prendra également contact avec la Liaison-Addiction, un service interne à l’hôpital.

Annick confie ensuite: «L’hôpital est un lieu de passage. Je ne dois pas tout savoir de la vie du patient avant son arrivée ici, ni de ses choix après. Je veux juste m’assurer qu’il aura bien un relais à sa sortie et que la trace qu’il gardera de son passage ici soit la plus positive possible pour lui… Mon travail, c’est d’activer des relais et d’articuler cela avec l’extérieur et l’intérieur. Quand c’est possible, j’essaie aussi d’aller chercher les ressources là où elles se trouvent, auprès des patients, de les mobiliser.» Annick joint ses deux paumes et les fait pivoter doucement: «Je suis une plaque tournante. Il faut que la plaque soit bien huilée. Mais, parfois, malgré les bonnes intentions, ça cale…» 

Trouver les mots

Annick pousse la porte de la chambre 16. La dame alitée fait d’emblée comprendre qu’elle ne parle pas le français. Joignant les gestes à une parole douce et articulée, la travailleuse sociale parvient pourtant à installer communication et confiance. La patiente se détend. Elle parle de ses enfants et de son mari, qui l’aident à la maison «… un peu». Annick lui suggère de recourir à l’aide à domicile. «Peut-être…», répond la femme en haussant les épaules.

Dans le couloir, une dame se tient fébrilement debout devant sa chambre. Apercevant Annick, elle l’agrippe et dépose sa main sur son cœur. «Merci pour tout ce que vous avez fait. Je vais rentrer à la maison maintenant», murmure la dame, affaiblie mais souriante. Annick lui rend son sourire, partage quelques mots et la salue, puis dégaine son téléphone pour s’assurer que les ambulanciers ne tarderont plus à venir la chercher.

«On a beaucoup moins de temps qu’avant pour faire un travail de réorientation de qualité. Il y a quelque chose de l’ordre de l’urgence, bien plus qu’avant, et le Covid a révélé cela davantage encore.»

Jonglant avec les procédures et la paperasse, avec les mails et les coups de fil, Annick poursuit ainsi sa journée de patient en patient, conversant au passage avec des membres de l’équipe soignante et administrative de son unité.

De l’humain, toujours

Depuis son arrivée au CHU Saint-Pierre, il y a onze ans d’ici, Annick est passée par plusieurs unités. «Chaque unité a ses spécificités et chaque travailleur social travaille à sa façon.» Le service social de l’hôpital compte 37 travailleuses (le féminin l’emporte largement), infirmières ou assistantes sociales de formation. Annick, elle, est infirmière spécialisée en santé communautaire, une formation qui invite à «développer une vision globale des soins et des patients». Elle qui a commencé sa carrière «sur le tard, à 38 ans» sera pensionnée d’ici deux ans.

Posant son regard sur les évolutions de son métier, elle pointe la place grandissante des outils numériques («Pas mon fort, mais utile…»), les démarches administratives de plus en plus lourdes et un temps sans cesse étriqué, surtout depuis les récentes mesures visant à réduire la durée des séjours hospitaliers. «On a beaucoup moins de temps qu’avant pour faire un travail de réorientation de qualité, pour faire du relais positif. On renvoie parfois la patate chaude aux réseaux extérieurs… Il y a quelque chose de l’ordre de l’urgence, bien plus qu’avant, et le Covid a révélé cela davantage encore.»

Le Covid, Annick l’a vécu de loin. La sexagénaire a été écartée des situations à risques. Mais elle a vu les dégâts laissés au passage sur ses collègues: «Les jeunes ont dû gérer des situations très violentes… Comment se construit-on avec ça? Exercer un métier lié aux soins est souvent motivé par cette idée de ‘réparation’, de vouloir ‘sauver’ l’autre… Mais ce n’est pas toujours possible. Avec le temps, on apprend à diminuer nos exigences et à se dire qu’on fait ce qu’on peut. Face aux situations de très grande vulnérabilité, on apprend à mettre ses limites, sans oublier pour autant l’humain. Ça n’a aucun sens de faire des prestations sociales sans vie. Il doit y avoir de l’humain, toujours.»

En savoir plus

«Hôpitaux: vers une privatisation des soins?», Alter Échos n° 463, avril 2018, Marinette Mormont.

«Hôpitaux: nouveau paysage ou démembrement?», Alter Échos web, 15 mars 2018, Céline Teret.

«Des hôpitaux sous pression face à la précarité», Alter Échos n° 392, novembre 2014, Marinette Mormont.

Céline Teret

Céline Teret

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