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Regard critique · Justice sociale

Accueil des Mena : cherche accord désespérément

Les différents intervenants dans l’accueil des Mena tentent de trouver un accord de coopération.

14-03-2010 Alter Échos n° 291

Dans le hors-série d’Alter Échos consacré aux Mena (nº 285-286)1, nous découvrions les graves lacunes en matière d’accueil dontpâtissent les mineurs, souvent laissés à eux-mêmes. Autour des Mena gravitent de nombreux acteurs, dont les compétences s’enchevêtrent en un étrangenœud de vipères. Ils ont décidé de se rencontrer et de chercher un accord de coopération. Pendant ce temps, deux structures qui accompagnent des Mena font faceà de graves difficultés financières.

Entre Fédasil, la Communauté française, les CPAS, le service des tutelles, la Région wallonne et l’Office des étrangers, le match n’est pas toujours trèspropre, mais il a bel et bien commencé. Un objectif est partagé : il faut en finir avec la situation actuelle, qui laisse des centaines de Mena à la rue, il faut trouver unaccord pour clarifier les compétences de chacun et offrir un accueil digne à tous les mineurs étrangers non accompagnés, quel que soit leur statut.

Pour ce faire, ce petit monde se réunit chaque mois depuis octobre, avec l’espoir chevillé au corps de trouver « dans-les-plus-brefs-délais » un accord decoopération. L’accord, pour l’instant, est dissonant, chacun s’ébroue dans son coin pour affirmer sa position et renvoyer la balle à l’autre. On désire trouver un accordmais sans implication financière. Des associations dénoncent ce « ping-pong » politique insupportable. C’est le cas de Benoît Van Keirsbilck2, directeur dela plate-forme Mineurs en exil, qui estime « qu’il est impensable que des enfants soient à la rue à cause de ce jeu politique. Des mineurs passent d’un centre d’urgence àl’autre et n’ont aucun suivi sérieux ». Selon Bernard Georis, directeur du service des tutelles3, on compte 900 à 1200 Mena qui ne bénéficient d’aucunaccueil.

Hébergement des Mena

Le réseau d’accueil des Mena de Fédasil compte 421 places ainsi que 100 places en COO. Une centaine de places supplémentaires devraient être ouvertes dans les prochainsmois, d’autres Mena sont hébergés dans des centres pour adultes. Du côté de l’Aide à la jeunesse, il existe deux centres pour Mena particulièrementvulnérables. Il s’agit du centre Esperanto (Beaumont) et El paso (Gembloux) qui offrent respectivement 15 et 38 places (dont 15 en ILA). Un tiers des mineurs demandeurs d’asile du centred’Assesse sont suivis par le conseiller de l’Aide à la jeunesse et environ 100 Mena sont hébergés dans d’autres structures de l’Aide à la jeunesse. Enfin, des mineurs sontaussi hébergés dans des initiatives locales d’accueil (ILA), gérées par les CPAS et financées par le fédéral.

Un flou juridique

Le flou est artistique, certes, mais il est surtout juridique, et chaque partie prenante à la discussion tente de s’immiscer dans les failles légales. En créant la loi sur latutelle des Mena, la Belgique s’est engagée à leur fournir un accueil. Mais depuis que le réseau d’accueil des demandeurs d’asile est saturé, cet accueil n’est quepartiellement assuré, les Mena non demandeurs d’asile font bien souvent les frais du manque de places.

Selon les textes, et notamment l’arrêté royal sur les centres d’orientation et d’observation pour Mena (COO) et la loi sur l’accueil, Fédasil est responsable de l’accueil detous les mineurs non accompagnés, qu’ils soient demandeurs d’asile ou non, lors d’une première phase « d’orientation » (censée durer un mois). Ensuite, un accueil« spécifique et adapté » doit être trouvé, un terme qui autorise de multiples interprétations. Certains estiment que le fédéral (dontFédasil) doit accueillir tous les Mena, d’autres pensent que les communautés doivent faire plus d’efforts pour accueillir les mineurs « en danger ».

La situation des Mena demandeurs d’asile est claire, c’est Fédasil qui doit prendre en charge leur accueil. Pour les non-demandeurs d’asile, après la phase d’orientation, la loi estmoins précise. Aux yeux de Benoît Van Keirsbilck, « ce flou des textes légaux est utilisé par Fédasil pour demander à la Communautéfrançaise de faire plus d’efforts pour les mineurs en danger non demandeurs d’asile ». Ainsi, depuis que le réseau d’accueil des demandeurs d’asile est saturé,Fédasil n’accepte plus d’héberger tous les Mena non demandeurs d’asile, même si certains le sont encore en COO pour des durées parfois très longues, en attendant uneréponse des services d’Aide à la jeunesse.

Projet Menamo : le chant du cygne pour Aïcha

L’asbl Aïcha4 a disparu. Ou, plus exactement, elle n’est plus qu’une coquille vide. Alter Échos avait détaillé les difficultés d’Aïcha en octobredernier (AEchos n°282, L’aide à lajeunesse ouvrira-t-elle le parachute pour Aïcha ?). Cette association, spécialisée dans l’accompagnement des Mena non demandeurs d’asile, était menacée defermeture, faute de subsides suffisants.

À l’époque, Anne Graindorge, fondatrice de l’asbl – en quête d’un agrément permanent –, estimait que les discussions avec le cabinet d’ÉvelyneHuytebroeck permettaient d’envisager l’avenir avec optimisme. Un trimestre plus tard, les faits lui ont donné tort, l’agrément n’a pas été obtenu et l’asbl Aïchan’existe plus que sur le papier, les six employés ayant été licenciés. « Nous avons été victimes d’un bras de fer politique qui dure depuis dix ans», estime Anne Graindorge. Du côté du cabinet d’Évelyne Huytebroeck5, on tient à préciser que la condition posée pour le financementd’Aïcha était que ses dirigeants partent en quête d’autres sources de financement, avec le ministère de l’Intégration sociale par exemple, ce qui n’aurait pasété obtenu.

Si Aïcha n’a pas mis la clé sous le paillasson, c’est qu’elle a lancé un nouveau projet intitulé « Menamo », dont l’objectif est d’accompagner la fin de viede l’asbl. « Pour Menamo, nous avons reçu des subsides de l’Aide à la jeunesse et nous embauchons un mi-temps, dit Anne Graindorge. L’idée de ce projet est de fermer aumieux Aïcha, d’assurer la transition et de transmettre les savoirs accumulés pendant cinq ans. Il s’agit d’un projet de formation et de supervision du personnel des services d’aide enmilieux ouverts (AMO) que nous aidons à s’outiller sur les problématiques propres aux Mena. L’objectif de Menamo est d’aiguiller les Mena vers les AMO et, surtout, de développerdes compétences spécifiques au sein des AMO, pour orienter les jeunes et les accompagne
r. »

Clarifier les compétences

Au ministère de l’Aide à la jeunesse de la Communauté française, la position est affirmée sans ambages. Selon Julie Papazoglou, conseillère d’ÉvelyneHuytebroeck, « l’Aide à la jeunesse a bien sûr un rôle à jouer lorsque ces jeunes sont « en danger », qu’ils soient demandeurs d’asile ou non. Mais lorsqu’il estquestion du gîte et du couvert des Mena, c’est au fédéral et aux CPAS de prendre leurs responsabilités. L’Aide à la jeunesse peut accompagner un mineur en danger, enoffrant une thérapie voire un hébergement temporaire et exceptionnel dans nos structures ou en familles d’accueil, mais faire plus nous ferait sortir du cadre du décret relatifà l’Aide à la jeunesse : l’aide que nous fournissons doit être « complémentaire et supplétive ». Il y a d’autres services qui peuvent être activés pources jeunes, les centres psycho-médico-sociaux, les pouponnières, l’internat scolaire ou les CPAS. » Lorsqu’on évoque le sort des mineurs non demandeurs d’asile qui seretrouvent à la rue et que l’on pourrait dès lors qualifier de « mineurs en danger », la réponse de Julie Papazouglou se fait cinglante : « l’Aide à lajeunesse n’a pas pour vocation de prendre en charge une situation de danger créée par d’autres acteurs, ces mineurs doivent être accueillis par Fédasil ou les CPAS. Cetaccord est nécessaire pour clarifier les compétences de chacun, l’objectif est d’y parvenir avant la fin de l’année. »

L’importance de clarifier les compétences est aussi soulignée chez Philippe Courard, secrétaire d’État à l’Intégration sociale6. MarieHuberlant, conseillère du secrétaire d’État insiste sur l’urgence de trouver un accord et évoque « la fin de la législature » comme horizon possible.Selon elle, « la loi n’est pas claire quant aux compétences de chacun, en particulier en ce qui concerne l’accueil des non-demandeurs d’asile. L’enjeu sous-jacent est aussi dedéterminer si un Mena est avant tout un « étranger » ou s’il est surtout « mineur », ce qui l’orienterait vers les services de l’Aide à la jeunesse. Ces services se basent sur lecaractère supplétif de l’aide, qui suppose que le jeune soit reconnu comme étant en danger. On peut se demander si un enfant de quinze ans, seul sur le territoire,n’est pas de facto en danger. Quoi qu’il en soit, notre position de principe est que tous les Mena doivent être accueillis sans discrimination. Nous allons donc ouvrir encore de nouvellesplaces pour atteindre ce but. Mais les communautés doivent aussi faire plus d’efforts financiers et prendre en charge les mineurs vulnérables, en particulier ceux qui ont moins detreize ans. Il y a des jeunes de dix ans qui sont coincés en COO et attendent pendant des mois une solution du côté de l’Aide à la jeunesse. On pourrait aussi envisager uneplus grosse implication des CPAS. » Du côté de la plate-forme Mineurs en exil, on estime que c’est bien à Fedasil et aux CPAS d’accueillir les Mena « mais la positionde l’Aide à la jeunesse n’est pas cohérente non plus : ils devraient accueillir immédiatement ces jeunes qui ne trouvent pas de place, et les aider à introduire desrecours contre Fédasil ou les CPAS. »

Mais qui sauvera le centre d’Assesse ?

Le centre pour Mena d’Assesse a fait couler beaucoup d’encre, notamment dans Alter Échos (nº 285), il faut dire que la situation est révélatrice du dialogue de sourds auquel on assiste dans ce dossier. Cette Initiative locale d’accueil(ILA) du CPAS, qui permet d’héberger vingt-huit Mena demandeurs d’asile est menacée de fermeture à la suite de la décision de la ministre wallonne de l’Action sociale,Éliane Tillieux7, de retirer un subside du Fonds spécial de l’aide sociale qui représente 16 % du financement du centre. Autant dire qu’entre la ministre Tillieux etles responsables du centre pour Mena, l’ambiance était à couteaux tirés. Pour détendre l’atmosphère, Philippe Courard, ministre de l’Intégration sociale aproposé à Éliane Tillieux une petite virée dans le Namurois afin de visiter le centre d’Assesse. Une rencontre qualifiée de « positive » par tous lesprotagonistes, mais qui ne semble pas changer grand-chose sur le fond. Certes, la ministre participera désormais aux réunions en inter-cabinets visant à trouver un accord decoopération et cherchera activement une solution, mais à y regarder de plus près, la position n’a pas changé. Selon David Grasso, attaché de presse de la ministrewallonne de l’Action sociale, « le centre d’Assesse était le seul centre pour Mena qui bénéficiait d’un financement de la Région, le précédentgouvernement a revu les critères d’attribution du Fonds spécial et il est clair que ce financement ne faisait pas partie des attributions de la Région. Les centres pour Mena fontappel à d’autres subsides, il faut étudier un système de financement identique pour tous les centres. »

Rien de bien nouveau donc… à l’exception d’une certitude : le destin du centre d’Assesse est désormais lié à l’accord de coopération global relatif aux Mena.Isabelle Detal, chargée de l’ILA au CPAS d’Assesse, se veut optimiste. Elle espère qu’en juin, Éliane Tilieux reviendra avec une piste de financement alternatif : « Parmiles portes de sortie, nous estimons qu’une reconnaissance de la Communauté française serait une bonne piste. Davantage de financement par le fédéral ou l’octroi de fondsMaribel nous aiderait à sortir la tête de l’eau. Dans l’état actuel des choses, nous devrons distribuer des préavis à tous nos employés dès le mois dedécembre. »

La question des CPAS est aussi d’importance. Ces derniers contribuent à l’accueil de certains Mena, via les ILA, financées par le fédéral. Selon Benoît VanKeirsbilck, « les CPAS sont aussi compétents pour offrir une aide sociale aux Mena, mais ces derniers renvoient généralement la balle à Fédasil ou auxcommunautés. Il faut tout de même rappeler que la mission des CPAS est d’octroyer une aide à « toute personne ». La seule exception concerne les adultes en séjourirrégulier. Face à un refus d’aide du CPAS, il est possible d’introduire un recours devant le tribunal du travail, c’est ce que devraient faire les tuteurs. » Isabelle Detal, duCPAS d’Assesse, affirme que les CPAS organisent l’accueil en ILA par solidarité : « C’est une compétence du fédéral, un tel accueil ne doit pas coûter un souaux communes, donc s’appuyer plus sur les CPAS peut être une option, à condition que des transferts de fonds soient assurés. » Le service des tutelles est lui aussiconcerné au premier chef dans cet imbroglio institutionnel. Bernard Georgis, son directeur, estime qu’attaquer un CPAS est « une démarche assez lourde et
complexe, de plus letuteur ne représente pas une organisation militante, il est là pour trouver une solution durable pour le mineur. »

Dans cet échiquier, d’autres « pions » entrent en jeu, comme l’Office des étrangers, dont les procédures d’identification se multiplient et qui délivre destitres de séjour précaire, ce qui renforce l’engorgement dans les COO. La Région, aussi, a un rôle à jouer, ne serait-ce qu’en matière d’intégration oude psychiatrie pour certains Mena malades.

Gageons que les nombreux interlocuteurs sauront dépasser ces quelques divergences, au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

1. Voir le dossier spécial Entretraumatismes individuels, droits de l’enfant et recherche de solutions, Alter Échos n°285-286.

2. Plate-forme Mineurs en exil :
– adresse : rue du Marché-aux-Poulets, 30 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 210 94 91
– site : www.mineursenexil.be
3. Service des tutelles, SPF Justice :
– adresse : place de Louvain, 4 à 1000 Bruxelles
– tél. : 078 15 43 24 ou 02 542 70 80
– courriel : tutelles@just.fgov.be
4. Asbl Aïcha :
– adresse : rue Jean Volders, 11 à 1060 Saint-Gilles
– tél. : 02 738 09 30
– courriel : aisha_asbl@yahoo.fr
5. Cabinet d’Évelyne Huytebroeck :
– adresse : place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 801 75 11
– site : http://evelyne.huytebroeck.be/
6. Cabinet de Philippe Courard, secrétaire d’État à l’Intégration sociale et à la Lutte contre la pauvreté :
– adresse : rue Ernest Blérot, 1 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 238 28 11
– courriel : courard@minsoc.fed.be
– site : www.courard.be
7. Cabinet d’Éliane Tilieux, ministre wallonne de l’Action sociale et de l’Égalité des chances :
– adresse : rue des Brigades d’Irlande, 4 à 5100 Jambes
– tél. : 083 234 11
– courriel : eliane.tillieux@gov.wallonie.be
– site : http://www.tillieux.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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