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Regard critique · Justice sociale

Le chiffre

Le déclin démographique rattrape l’école

Le nombre de naissances est en chute en Belgique depuis quinze ans. Parmi les conséquences de cette dénatalité: des classes d’écoles maternelles et primaires de moins en moins remplies, et des écoles qui ferment, surtout en milieu rural.

(c) Par UCL Photos from Partout, France, Belgique — Départ de la marche des sans-papiers, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=98713118

C’est le nombre d’élèves qu’a perdu l’enseignement fondamental – maternel et primaire – en Fédération Wallonie-Bruxelles, ces sept dernières années. Il ne s’agit pas d’élèves ayant jeté leur dévolu sur l’enseignement flamand ou partis vivre à l’étranger, pas non plus d’élèves déscolarisés ou dont les parents ont décidé de faire l’école à la maison. En fait, ces élèves n’existent pas; ils ne sont tout simplement pas nés et ne sont donc pas venus gonfler les rangs d’élèves dans les cours d’école.

En cause? La baisse de natalité que connaît la Belgique depuis quinze ans, au même titre que la plupart des pays européens. En 2010, l’indice de fécondité était de 1,85 enfant par femme en Belgique, il n’était plus que de 1,47 enfant en 2023. L’année suivante, avec 108.150 naissances enregistrées, la Belgique enregistrait son niveau le plus bas depuis 1942. Toujours en 2024, le nombre de naissances en Fédération Wallonie-Bruxelles était de 20,63% inférieur à celui de 2010 (l’année «pic», à partir de laquelle la baisse des naissances s’est enclenchée).

Assez rapidement, cette dénatalité s’est répercutée sur le nombre d’inscriptions dans les écoles maternelles, puis primaires (en secondaire, le recul des inscriptions ne s’observe pas encore).

Entre l’année scolaire 2018-2019 et l’année dernière (2024-2025), l’enseignement maternel a ainsi perdu 12.117 élèves, dont 6.180 à Bruxelles et 5.937 en Wallonie. En primaire, ce sont 17.920 élèves qui ont «disparu» des classes – 5.013 à Bruxelles et 12.907 en Wallonie, selon les chiffres communiqués par l’Administration générale de l’enseignement (AGE). Ramenée au nombre total d’élèves, la baisse est donc largement plus marquée dans le maternel.

Précarité de l’emploi et baisse de recettes

Pour les institutrices maternelles, déjà soumises au principe d’ouverture des classes (les classes d’accueil ne sont pas complètes en début d’année scolaire, seule une partie des élèves ayant 2,5 ans fait sa rentrée en septembre; dès lors, le nombre d’institutrices engagées augmente progressivement au cours de l’année scolaire), le manque d’élèves accentue l’imprévisibilité. Les moyens alloués à une école étant calculés en fonction de son nombre d’élèves – via le fameux outil «NTPP» pour «nombre total de périodes professeurs» –, moins d’élèves signifie donc moins de professeurs engagés.

«Ce sont essentiellement les temporaires (travailleuses non nommées, NDLR) qui sont touchées. Pour elles, les périodes de chômage entre les intérims sont souvent plus longues, explique Luc Toussaint, président de la CGSP Enseignement. Depuis quinze ans, on voit aussi qu’il y a de plus en plus de navetteuses, contraintes de faire de longs trajets souvent de la Wallonie vers Bruxelles, où la pénurie d’enseignants est plus sévère au niveau maternel.»

La Fédération Wallonie-Bruxelles, elle aussi, subit les conséquences de cette dénatalité. Son financement repose en effet essentiellement sur la dotation fédérale (via la loi spéciale de financement, dite «LSF»), qui prévoit que la TVA soit répartie entre les différentes communautés en fonction de leur population en âge d’obligation scolaire. «Par conséquent, la baisse de la natalité et du nombre d’enfants scolarisés étant plus marquée en Communauté française (qu’en Communauté flamande), cela se traduit par une diminution progressive de la part relative de dotation fédérale perçue», indique le service communication de l’AGE, contacté par Alter Échos.

En 2024, la Communauté française a perçu près de 9 milliards d’euros, sur la base des 656.819 élèves de 6 à 17 ans recensés par la Cour des comptes. Mais selon les dernières prévisions fédérales (LSF), «la Fédération Wallonie-Bruxelles pourrait voir ses recettes reculer d’environ 29,4 millions d’euros en 2025, en raison de la diminution du nombre d’élèves âgés de 6 à 17 ans – une diminution de 3.591 élèves cette année-là. Et la tendance devrait se poursuivre: les projections démographiques annoncent une perte de recettes d’environ 68,5 millions d’euros en 2026, 135,4 millions en 2027 et 202,2 millions en 2028, toujours en lien avec la baisse de la population en âge d’obligation scolaire», détaille encore l’administration.

Dans les cas les plus extrêmes, la chute du nombre d’élèves peut même mener à la fermeture d’écoles. Le phénomène frappe particulièrement durement les écoles maternelles des zones rurales. À Suxy, Annevoie, Haut-le-Wastia, Hockai, Béclers… des établissements sont menacés de fermeture, car ils manquent d’élèves pour atteindre les normes minimales d’inscriptions. Entre l’année 2018-2019 et l’année dernière, on dénombre 35 fermetures d’écoles fondamentales, dont 10 dites «réelles» (les autres fermetures résultant de fusions entre établissements scolaires).

Dans les plus extrêmes des cas, la chute du nombre d’élèves peut même mener à la fermeture d’écoles. Le phénomène frappe particulièrement durement les écoles maternelles des zones rurales. A Suxy, Annevoie, Haut-le-Wastia, Hockai, Béclers… des établissements sont menacés de fermeture car ils manquent d’élèves pour atteindre les normes minimales d’inscriptions.

Toutes ces fermetures «sont imputables à la baisse du nombre d’élèves», précise le service communication de l’AGE. En septembre 2025, une proposition de décret visant à imposer un moratoire d’un an sur les fermetures d’écoles maternelles avait été déposée par huit députés socialistes, avant d’être rejetée.

Pénurie d’élèves vs pénurie de profs

Mais alors que la pénurie d’enseignants fait plus souvent les gros titres que celle des élèves, la baisse de la natalité pourrait-elle, en fin de compte, se révéler une opportunité qui verrait s’équilibrer l’offre et la demande en profs?

On l’a vu, si la population d’élèves diminue, les moyens NTPP seront revus à la baisse. «En théorie, une diminution du nombre de postes d’enseignants, liée à la baisse démographique des élèves, pourrait donc contribuer à réduire la pénurie dans le secteur de l’enseignement, reconnaît le porte-parole de l’AGE. Néanmoins, les fonctions et les zones géographiques touchées par la pénurie ne peuvent pas être anticipées, car les fonctions sont déclarées en pénurie a posteriori sur la base de divers critères. De plus, l’administration ne dispose pas d’informations relatives au nombre de fonctions vacantes.»

Et si la FWB dépense moins en frais de personnel enseignant, cela lui permettra-t-il, à terme, de participer aux économies qu’elle cherche désespérément à faire? Pas si vite… «D’une part, ces économies sont graduelles (elles se matérialisent au fur et à mesure des départs à la retraite, des suppressions de classes ou fermetures d’écoles), nuance l’AGE. D’autre part, certaines classes seront maintenues même si les effectifs d’élèves sont réduits. Les économies générées à charge du budget de la FWB consisteront principalement en diminutions du montant des allocations de fonctionnement allouées aux établissements scolaires en lien avec le nombre d’élèves.» De plus, leur impact fluctue fortement selon la répartition géographique: dans certaines zones rurales, on l’a dit, la baisse des effectifs met réellement en péril le maintien de petites écoles, tandis que dans les zones urbaines en croissance, l’effet reste limité.

Conclusion: si les effets négatifs de la dénatalité sont déjà concrets, ses potentielles répercussions positives, en termes financiers pour la FWB, restent pour l’instant assez limitées.

Clara Van Reeth

Clara Van Reeth

Journaliste et contact freelances, stagiaires et partenariats

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