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Santé

24 heures avec… Mobivax, vacciner les plus précaires

À Bruxelles, Mobivax – un consortium regroupant Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, le Samu social et la Croix-Rouge de Belgique – vaccine les plus vulnérables: les personnes sans abri, les personnes sans titre de séjour, les migrants en transit… L’équipe mobile part à la rencontre de celles et ceux que la société préfère souvent oublier, en se rendant dans les centres d’hébergement, les squats et les centres de jour.

© Marie Monsieur/MdM

Jeudi 10 juin 2021, 9 h 30, dans la rue des Vétérinaires à Anderlecht: une longue file de personnes se dessine jusqu’au coin de la rue Bara. Les gens patientent depuis des heures déjà devant la porte de Douche Flux. Ce matin, ce lieu d’accueil de jour n’offre pas à ses bénéficiaires ses services habituels (douche, lessive, permanence…), mais se transforme en centre de vaccination temporaire puisque, aujourd’hui, c’est ici que Mobivax a installé son matériel.

Les centres de vaccination n’étant accessibles que sous certaines conditions, depuis la mi-mai, chaque jour, une équipe mixte composée de médecins, d’infirmières, de médiateurs culturels, de pharmaciens et d’une coordinatrice se déplace pour vacciner les personnes vivant dans une grande précarité. «L’idée, c’est d’aller vers ces publics dans les endroits où on peut les trouver», explique Muriel Gonçalves, attachée de presse pour Médecins du Monde.

Si l’objectif est bel et bien d’aller rencontrer les publics cibles dans des endroits stratégiques, aujourd’hui, la surprise est totale: parmi les personnes qui attendent devant l’entrée, une grande majorité de Latinos, manifestement des travailleurs sans carte de séjour. «Ce n’est pas notre public habituel. Normalement, ce sont des sans-abri, des sans-chez-soi», explique Benjamin Brooke, codirecteur de Douche Flux.

«Nous avons un mandat de quatre mois pour vacciner une population cible de 5.000 personnes.» Lily Caldwell, coordinatrice de Mobivax

Quelqu’un parle portugais?

Sur le trottoir, la file s’allonge. Cent tickets ont été distribués aux premiers arrivés, les autres ont été prévenus qu’il n’était pas nécessaire d’attendre, qu’ils ne pourraient pas rentrer. «Les Brésiliens n’abandonnent jamais», s’amuse un homme qui n’a pas reçu de ticket et qui se trouve loin dans la queue. Celui-ci explique que c’est via la page Facebook «Foto Book Belgium» qu’ils sont tous arrivés. Ce média communautaire brésilien à la sauce belge a en effet fait la promotion de cette action de vaccination accessible aux personnes sans numéro de registre national.

À la porte, Pierre Kesseng gère l’accueil de Douche Flux et prend la température de chaque personne entrant dans le bâtiment: «Cette nuit, certains ont dormi devant pour être les premiers dans la file.» Aux personnes qui n’ont pas pu recevoir de ticket, un document est distribué avec les dates et les adresses où elles peuvent se faire vacciner. Le CHU Saint-Pierre, situé à quelques pas, reçoit toutes les personnes, inconditionnellement.

À l’intérieur, les gens arrivent dans la grande salle d’accueil du rez-de-chaussée. Une membre du personnel de MSF, qui par chance parle portugais, passe de table en table et explique les possibles effets secondaires, ainsi que les recommandations le cas échéant. Si des symptômes sont détectés, elle les invite à aller se reposer et ne pas se forcer à se rendre au travail.

Pendant ce temps, une employée de Douche Flux ajuste la signalétique des lieux en ajoutant le portugais aux langues des indications. À l’entrée, une femme sort des dizaines de bouteilles d’eau de sa voiture. Elle passait par là, elle a vu la file, senti la chaleur et a décidé de se rendre utile. Vraiment, la matinée est remplie de surprises.

S’adapter à chaque réalité

C’est le vaccin Johnson et Johnson qui est administré pendant la campagne Mobivax. «C’est un vaccin monodose: cet aspect est très important, parce que ce sont des publics avec qui il est difficile de convenir d’un deuxième rendez-vous. Par exemple, les migrants en transit ne seront peut-être plus là pour la deuxième dose», éclaire Muriel Gonçalves.

À la suite de la polémique autour de ce vaccin fin mai, les organisations ont décidé de continuer avec le Johnson et Johnson, suivant en ce sens les conclusions des autorités qui préconisent ce vaccin pour les groupes précaires. «Aujourd’hui, nous souhaitons que les populations concernées soient considérées de manière équitable et sans différence de traitement», avaient alors communiqué les associations.

Avant la vaccination, une phase de sensibilisation a été menée auprès de groupes cibles pour leur expliquer que la vaccination était gratuite, anonyme et volontaire.

«Nous avons un mandat de quatre mois pour vacciner une population cible de 5.000 personnes», explique Lily Caldwell, coordinatrice de Mobivax. Certains jours l’équipe ne distribue que quelques doses, d’autres, comme ce matin, la demande est énorme. «Tout dépend si on est dans une collectivité où on va vers les personnes, ou si on va dans un centre de jour où les gens viennent expressément pour se faire vacciner comme aujourd’hui.»

Une question demeure: si Mobivax est à destination des 5.000 personnes sans chez soi, quelles solutions pour les plus de 100.000 personnes sans papiers vivant en Belgique?

Passant de lieu en lieu, l’équipe mobile s’adapte à chaque réalité. «On a organisé des visites préparatoires pour se caler avec les activités des centres de jour. Dans les centres d’hébergement, nous sommes passés plusieurs fois pour sensibiliser les gens qui habitent là-bas, le personnel… On a regardé les lieux pour vérifier qu’il y avait des pièces qui soient assez propres et confidentielles», continue la coordinatrice qui court dans tous les sens en ce jour de grande affluence.

5.000 doses et après?

Depuis le haut de l’escalier, Lily Caldwell fait monter les gens petit à petit. À l’étage sont installés quatre boxes de vaccination et une salle d’observation où les personnes doivent attendre quinze minutes après s’être fait vacciner.

Une dame entre dans un box. «Si les gens ont peur, on leur donne toutes les explications», dit le médecin en enclenchant une application de traduction vocale sur son smartphone pour s’assurer du consentement de la patiente.

Il fait chaud ce matin, le va-et-vient est incessant, mais l’équipe gère «le flow». Les «vaccinés» repartent le sourire aux lèvres, ils semblent soulagés. Dehors, environ 1.000 personnes attendent encore, en vain.

Dans la rue, une camionnette débarque, c’est une livraison de caisses réfrigérées. Dans la file, tout le monde crie et applaudit. «Ils pensent que ce sont des vaccins, mais ce sont juste des sandwichs», soupire Pierre Kesseng qui gère la sécurité et l’accueil.

Il est plus de 11 heures, il ne reste plus que quelques doses à distribuer avant de tout remballer. Pour l’équipe de Mobivax, la journée est loin d’être terminée, après une matinée à Douche Flux, cette après-midi, direction le Hub humanitaire…

Une question demeure: si Mobivax est à destination des 5.000 personnes sans chez soi, quelles solutions pour les plus de 100.000 personnes sans papiers vivant en Belgique? «Cette expérience montre qu’il y a un vrai besoin», conclut Lily Caldwell.

En savoir plus

Relire «Vaccination: les effets secondaires bénéfiques de la participation», Alter Échos n° 490, janvier 2021, Cédric Vallet.

Jehanne Bergé

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