Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Economie

Eduardo Suplicy: «Le revenu de base permet de garantir la dignité»

L’économiste brésilien Eduardo Suplicy s’est vu remettre ce mercredi le titre docteur honoris causa de l’UCL, aux côtés d’autres «personnalités qui font la part belle aux utopies», thème de l’année académique 2015-2016 de l’UCL, Paola Vigano, urbaniste italienne et Jimmy Wales, cofondateur de Wikipedia. L’Université a voulu saluer l’engagement de cet homme dans la lutte contre la pauvreté, pour la justice sociale et pour l’instauration d’un revenu de base inconditionnel.

05-02-2016
©UCL

L’économiste brésilien Eduardo Suplicy s’est vu remettre ce mercredi le titre docteur honoris causa de l’UCL, aux côtés d’autres «personnalités qui font la part belle aux utopies» – thème de l’année académique 2015-2016 de l’UCL -, Paola Vigano, urbaniste italienne et Jimmy Wales, cofondateur de Wikipedia.

L’Université a voulu saluer l’engagement de cet homme dans la lutte contre la pauvreté, pour la justice sociale et pour l’instauration d’un revenu de  base inconditionnel. 

On ne l’appelle pas le «père du revenu de base» par hasard. Eduardo Suplicy, économiste et homme politique brésilien, défend cette idée depuis bientôt 30 ans. Il est l’un des fondateurs du Parti des Travailleurs en 1980 dont il devient le premier sénateur en 1991. C’est alors que commence sa bataille pour le «renda basica de cidadania», en français «revenu de base», ou «allocation universelle». Ce revenu consiste à distribuer une partie de la richesse d’un pays à tous les citoyens, riches comme pauvres, d’une manière directe et inconditionnelle. 

En 1991, il présente un premier projet de loi pour instituer ce revenu mininum garanti au Brésil. En 2004, le combat acharné d’Eduardo Suplicy paye: le président Luis Inácio Lula da Silva promulgue la loi sur le revenu de base des citoyens, qui promet à tous les Brésiliens, sans aucune distinction, et aux étrangers vivant dans le pays depuis plus de cinq ans, de recevoir de l’État une somme suffisante pour leurs dépenses essentielles, comme l’alimentation, l’éducation et la santé, sans condition. Seul bémol: elle n’a pas encore trouvé de place dans le cadre institutionnel brésilien. Aujourd’hui, Eduardo Suplicy attend toujours de rencontrer la présidente actuelle Dilma Rousseff afin qu’elle accepte d’en étudier sa mise en œuvre progressive…  

Du bon sens

Pour Eduardo Suplicy, il s’agit là d’une mesure clé pour lutter contre la pauvreté. «C’est du bon sens», assène-t-il. Et l’homme de puiser dans l’histoire pour le défendre.

«Le revenu de base est une idée défendue par les économistes et philosophes de tous bords. Et cela depuis bien longtemps. Revenons cinq siècles avant JC, Confucius disait: ‘L’incertitude est aussi grave que la pauvreté.’ Aristote prétendait aussi que la justice sociale devait être la première priorité de la société. Le revenu de base est également présent dans toutes les religions. On en trouve des traces dans la Bible, et particulièrement dans La Parabole des ouvriers de la onzième heure. Elle évoque un propriétaire terrien qui rémunère également ses différents employés peu importe l’heure où ils ont entamé leur journée. Cette parabole est une illustration de la justice distributive! Dans le Coran, le prophète demande  aux personnes qui ont une grosse fortune de la partager. Je peux aussi évoquer le Dalai Lama qui disait: ‘Si vous acceptez la consommation luxueuse, vous devez d’abord assurer la subsistance des plus pauvres…’»

Il cite aussi Thomas Paine, défenseur de l’idée de terre comme «bien commun».  Mais celui qui inspire le plus Eduardo Suplicy est le philosophe Thomas More. En particulier un extrait d’Utopia, que l’UCL célèbre à l’occasion de son 500ème anniversaire, ça tombe bien… Dans cet extrait, More imagine avoir rencontré à Anvers Raphaël Hythloday, voyageur-philosophe portugais. Celui-ci remet en question la loi punissant les voleurs de la peine de mort. Il démontre son caractère absurde puisqu’elle punit de la même façon le voleur et le criminel; et en dénonce son inutilité puisqu’elle ne parvient pas, in fine, à faire baisser la criminalité. Le voyageur défend qu’il est plus efficace de garantir la survie à tous les êtres humains. «Sur base de cette réflexion, un ami de Thomas More a écrit au maire de Bruges, ville dans laquelle il lui suggère de garantir un revenu minimum aux habitants de la ville. C’est une première dans l’histoire», raconte Eduardo Suplicy. 

Réduire les inégalités

500 ans plus tard, cette même utopie anime Eduardo Suplicy. Aujourd’hui secrétaire aux Droits humains pour la ville de Sao Paulo, il est à l’origine de plusieurs avancées sociales au Brésil. Il s’est notamment battu pour plus de transparence dans les campagnes électorales. Il a également inspiré le programme «Bolsa Familia»: sorte de revenu de base avec conditions, qui donne un revenu à des familles brésiliennes, en échange du fait que les enfants aillent à l’école. Aujourd’hui 50 millions de personnes, soit un quart du pays en bénéficie. «Le revenu de base, complémentaire à une éducation de qualité, est le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté. Mais plus que ça, c’est aussi un moyen de garantir la dignité et la liberté à toutes et tous. Grâce à un revenu de base, les jeunes, notamment ceux qui sont enrôlés dans le trafic de drogues, ont la possibilité de dire non, car ils ont un autre moyen de subvenir à leurs besoin», défend-il.

Il aime citer l’exemple de l’Alaska, «l’expérience mondiale la plus proche d’un revenu de base universel», pour défendre son idéal. L’État a mis sur pied en 1982 un revenu inconditionnel d’existence dont le capital est basé sur les revenus miniers et pétroliers de l’État. Son montant varie chaque année, avec un record en 2015, près de 2.100 dollars. Une politique qui porte ses fruits: «L’Alaska était l’un des États les pires des États-Unis en matière d’égalité des salaires. Aujourd’hui, il s’est hissé au sommet des États les plus égaux», souligne l’économiste.  

Il ne quittera pas Louvain-La-Neuve sans glisser quelques conseils à l’Europe. «Le revenu de base serait une bonne manière de ‘sauver l’euro’», explique-t-il, citant le défenseur belge du revenu de base Philippe Van Parijs. Et de confier son rêve pour son continent: «Un jour, le revenu de base sera appliqué de l’Alaska à la Patagonie. Nous n’aurons alors plus besoin de murs pour séparer le Mexique des USA. Voilà ce qu’il faut rétorquer à Donald Trump qui voudrait l’agrandir…»

 

 

 

Aller plus loin

Relire les interview face-à-face de Mateo Alaluf et Philippe Defeyt, respectivement contre et en faveur de l’allocation universelle.

L‘allocation universelle, une idée réaliste? 

L’allocation universelle : progrès ou régression sociale ?

Manon Legrand

Manon Legrand

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)