On trouve dans l’accord de gouvernement Arizona des mentions relatives à la question du surendettement et il est indiqué que de nouvelles initiatives législatives seront prises. Concernant les personnes qui sont endettées ou qui ont du mal à gérer leur budget, «(elles) sont et seront encouragées à améliorer leurs compétences financières. L’accompagnement budgétaire, voire la gestion budgétaire, devient un élément obligatoire du PIIS (Plan individuel d’intégration sociale)».
Autre mention, à la page suivante: «Il est important de sensibiliser les gens à la gestion de leur budget. Le CPAS peut utiliser le revenu d’intégration (équivalent) pour payer directement certaines dépenses, notamment dans le cas de personnes ayant eu des problèmes d’endettement dans le passé, ou pour effectuer des achats dans l’intérêt de l’enfant (factures et matériel scolaire, vêtements, etc.) lorsqu’il apparaît que ce n’est pas fait (ou pas correctement). Les besoins de base sont ainsi garantis et les fonds publics sont dépensés efficacement pour ce à quoi ils sont destinés.»
Pas de cadastre des besoins, des services, ni des pratiques
Ces mesures laissent entendre qu’il est forcément possible de trouver un service de guidance ou de gestion budgétaire qui pourra assumer un tel accompagnement. Or, comme le font remarquer Caroline Jeanmart et Sabine Thibaut, respectivement directrice et juriste auprès de l’Observatoire du crédit et de l’endettement et interrogées à ce propos, «en Région wallonne, les services de médiation de dettes ont l’obligation de proposer la guidance budgétaire. Cela figure dans les conditions d’agrément des SMD contenues dans le Code wallon de l’action sociale, mais ils ne sont pas obligés de fournir ce service eux-mêmes. Ils peuvent renvoyer vers un autre service. Certains SMD ne proposent rien, d’autres proposent la guidance et la gestion, d’autres encore l’un ou l’autre. Il n’y a en tout état de cause pas d’inventaire des services qui la pratiquent, cela ne fait pas partie des questionnaires du RASH (NDLR: rapport d’activités simplifié et harmonisé) que les SMD doivent remplir en Wallonie. Et comme il n’y a pas d’agrément et de subventionnement spécifique, il n’y a pas de services qui se spécialisent dans ce type d’accompagnement. Certains CPAS le font, c’est inclus dans le pack social. C’est le cas aussi de certaines asbl. Vu l’absence de moyens et de spécialisation de cette pratique, dans certains cas, c’est le ou la médiatrice de dettes qui pratique la guidance, en même temps qu’il ou elle gère le plan de paiement, avec l’ambiguïté d’une double casquette.»
Autre constat, posé par nos deux interlocutrices: le fait que cette guidance/gestion budgétaire est un service chronophage et qui est censé être temporaire puisqu’elle doit mener pour bien faire à une autonomisation de la personne. Or dans un certain nombre de cas, pour le confort des débiteurs et/ou des services de médiation de dettes, le temporaire se transforme en long terme, ce qui fait que les dossiers de guidance/gestion s’additionnent plus qu’ils ne se succèdent. «Il faut bien se rendre compte que les médiateurs et médiatrices ont du mal à lâcher les gens, quand ils savent que si la guidance/gestion n’est plus en place, c’est le dérapage assuré. Le fait qu’il n’existe rien entre ces pratiques et l’administration provisoire de biens constitue également une difficulté: les personnes ne sont peut-être pas forcément dans la situation d’une administration de biens, mais ne sont pas non plus capables de gérer, faute d’instruction, en raison d’un analphabétisme ou d’un décrochage sévère.»
Risque de contraction
En plus de l’information manquante sur les opérateurs qui pratiquent la guidance/gestion budgétaire, il faut également craindre le risque de contraction. Par contraction, il faut entendre la diminution de l’importance, de la quantité de quelque chose. Ici l’on craint notamment la contraction du nombre de services qui proposeront encore de la guidance/gestion budgétaire, après que les mesures relatives à la réforme des allocations de chômage auront pris effet.
Avec la réduction de la durée de ces allocations et la réorientation des personnes en fin de droit vers les CPAS, le risque est important de voir les services spécialisés comme les services de médiation de dettes, et encore plus ceux qui pratiquent la guidance/gestion budgétaire pour lesquels aucun subventionnement spécifique n’est prévu, passer à la trappe. Alors même que la pénurie et l’épuisement en termes de travailleurs sociaux dans de telles structures sont déjà criants, on ne peut que supputer que l’arrivée massive de personnes exclues du chômage va avoir un effet d’embouteillage devant les guichets des CPAS et le risque est de voir certains services assumés jusque-là ne plus être proposés. On a déjà vu certains CPAS fermer leur SMD et ce fut encore le cas en mars dernier au CPAS de Grâce-Hollogne qui a décidé d’arrêter d’inscrire de nouveaux dossiers de médiation de dettes et réorientant les nouvelles demandes vers les asbl qui pratiquent la médiation de dettes, la commune voulant réorienter les moyens du CPAS vers d’autres missions. Sans doute la mise à l’emploi devenue la solution à tous les problèmes.
On en revient dès lors au début de cet article, avec la volonté du gouvernement Arizona de voir chaque personne aidée par le CPAS et présentant des difficultés budgétaires suivie en guidance ou en gestion budgétaire. L’histoire du serpent qui se mord la queue…
Des influenceurs·euses budget au programme FSE
Il se peut que, faute d’encadrement de qualité, les personnes en difficulté financière et de gestion budgétaire se tournent vers une nouvelle pratique qui fleurit sur les réseaux sociaux: les influenceuses et les influenceurs budget. Coach en finances personnelles, finfluenceur (ou influenceur en finances) pour ceux qui disposent de plus de fonds, Money coach, autant de propositions et d’appellations qui fleurissent sur la Toile pour «t’aider à résoudre tes problèmes d’argent».
C’est le cas de Sandrine, ancienne commerciale, suivie par 300.000 abonnés sur TikTok et Instagram. Avec 150 millions de vues sur TikTok, elle a tout bêtement vulgarisé la méthode des enveloppes. Avec «le kit de Sandrine le plus complet du monde» pour «renforcer son money mindset», le kit papeterie comprenant un classeur avec quatre fiches-outils et lesdites enveloppes est à 69 euros et le coaching budget à 90 euros par heure d’appel. Pas folle la guêpe… Le principe est de retirer la totalité de son revenu en début de mois et de placer les billets dans des enveloppes dédicacées à des postes budgétaires précis, pour éviter tout dérapage. Les bonnes vieilles recettes dans de vieilles casseroles. Encore faudra-t-il trouver un distributeur de billets pour la mettre en œuvre. LOL…
À côté de La Petite Budgeteuse, @mon_budget_rikiki ou encore @mademoisellebudget qui ont au moins le mérite de rendre le sujet de l’argent un peu moins tabou, en France, on conseille plutôt de se tourner vers les Points conseils budget (PCB) qui dispensent des conseils gratuits et personnalisés de guidance budgétaire et qui sont au nombre de près de 500 sur le territoire français. Rien de tel en Belgique… Mais bien des professionnels qui font de l’excellent travail. Sans être exhaustif, il existe aussi des initiatives, comme cette formation du Créno à destination des travailleurs sociaux (voir page 20) ou encore l’opération du GAS «Une gestion budgétaire et financière maîtrisée pour une inclusion financière», financée par le Fonds social européen, qui a débuté en 2021 pour se clôturer fin 2025. Plusieurs publics sont ainsi visés: personnes en situation de vulnérabilité économique, jeune public adulte qui entre dans la vie active, mais aussi professionnels et accompagnants (pour plus d’infos: https://gaslux.be/operation-fse/). Des solutions sérieuses, mais qui restent encore trop clairsemées.
N.C.