Saint-Gilles. Asbl Les Compagnons Dépanneurs, une association de bricolage à destination des plus précaires. Ici, une cinquantaine de bénévoles se rendent disponibles pour déboucher des toilettes, accrocher des tentures, repeindre un bout de mur… Dans l’atelier de rénovation de meubles, Michel, Didier, Xavier et leurs camarades s’affairent. Leur point commun: être tous retraités. Michel, 80 ans, volontaire depuis huit ans, témoigne: «J’ai été ingénieur. Je viens ici pour aider. Par ailleurs, je commence à perdre la mémoire des noms, et donc être entouré me permet également d’entretenir ma mémoire et de maintenir un lien social.» Deux fois par semaine, les volontaires se rendent «sur chantier», au domicile des bénéficiaires. Xavier, 64 ans, souligne l’apprentissage constant que lui offre cet engagement: «On part à deux, ce qui nous donne la possibilité d’apprendre. Moi, c’était ma première motivation pour m’engager.» Dans les locaux, l’ambiance est chaleureuse: c’est ici que tout le monde se retrouve pour manger en revenant des dépannages vers 13 heures. «La vie communautaire est cruciale: on parle autant du dernier match de foot que des WC qu’on n’a pas réussi à réparer», raconte Didier, 76 ans.
Se sentir utile et maintenir des liens
En Belgique, selon les derniers chiffres (2019)[1], un volontaire sur trois aurait plus de 60 ans. Et si l’on retrouve toutes les catégories d’âge parmi les bénévoles, ce sont les pensionnés qui investissent le plus de temps dans leur volontariat. «Les bénévolats qui demandent une implication régulière et récurrente peuvent freiner les jeunes qui sont généralement plus attirés par des activités flexibles. Le niveau d’engagement dépend aussi des réalités socioéconomiques. Les personnes retraitées qui bénéficient d’une pension convenable ne doivent pas s’inquiéter de leurs rentrées, ce qui n’est pas le cas des personnes au chômage par exemple», commente Milèna Chantraine, secrétaire générale de la Plateforme francophone du Volontariat.
En Belgique, un volontaire sur trois aurait plus de 60 ans. Et si l’on retrouve toutes les catégories d’âge parmi les bénévoles, ce sont les pensionnés qui investissent le plus de temps dans leur volontariat.
Mais au fait, pourquoi les aînés décident-ils de donner de leur temps? «Pour moi, il y a deux catégories de volontaires pensionnés: les personnes qui, après leur retraite, cherchent une occupation porteuse de sens, et ceux qui ont toujours fait du bénévolat. Je fais partie de la deuxième catégorie. Cet engagement, c’est mon retour à la société. Dans mon volontariat, j’ai pu exister dans ma nature profonde et me sentir plus à ma place», témoigne Sylvie (prénom d’emprunt), 79 ans, qui aide de nombreuses associations au niveau administratif.
Des activités qui ont du sens
Albert, 71 ans, est bénévole dans plusieurs associations gedinnoises, notamment de soutien aux personnes défavorisées. «J’étais déjà bénévole quand je travaillais. Mais lorsque j’ai eu plus de temps, je me suis encore plus engagé. Ces activités me prennent un bon mi-temps. Il y a beaucoup de réunions, mais j’aime bien. Le contact social, ça me motive.» Joëlle, 65 ans, assure à Bruxelles la permanence d’un magasin Oxfam une fois par semaine. «J’étais prof de math. Ça fait un an que j’ai arrêté de travailler. J’ai toujours fait du bénévolat, il me semble normal d’investir dans la société. La gestion du magasin n’est assurée que par les bénévoles. Ici, nous sommes une trentaine à nous partager les tâches.» Le gros avantage des retraités pour le secteur associatif: leur régularité. Une condition parfois sine qua non pour permettre une relation de confiance avec le public bénéficiaire, ou tout simplement le bon déroulement de l’activité si elle nécessite une récurrence.
Le gros avantage des retraités pour le secteur associatif: leur régularité. Une condition parfois sine qua non pour permettre une relation de confiance avec le public bénéficiaire, ou tout simplement le bon déroulement de l’activité si elle nécessite une récurrence.
C’est le cas par exemple des consultations ONE. Chantal, 72 ans, est l’une des 3.800 volontaires de l’Office. Elle accueille une fois par semaine les familles qui viennent peser et mesurer leur bébé. «Ça me plaît beaucoup. Particulièrement le fait de rester au contact de la réalité. Je ne suis pas là pour passer le temps, car je ne m’ennuie jamais, mais plutôt pour être confrontée à de nouvelles personnes.»
L’épineuse question du renouvellement
Si on ne peut qu’admirer l’engagement des retraités, pour certaines structures qui reposent en grande partie sur leur implication, l’avenir pose question. «Ce qui remonte du terrain, c’est une volonté d’attirer davantage de jeunes par crainte notamment d’un essoufflement des équipes», pointe Milèna Chantraine. Le renouvellement est en effet un sujet récurrent parmi les préoccupations des associations. Par exemple, si, grâce au bouche-à-oreille, la section bruxelloise des Compagnons Dépanneurs ne connaît pas de problème de recrutement, pour d’autres sections en Wallonie, cela peut être plus compliqué. «L’âge de la pension recule, c’est aussi une génération prise entre-deux. Il faut souvent s’occuper des petits-enfants, mais également de ses propres parents qui vivent plus âgés», constate Cécile Nyssen-Baudewyns, directrice de l’asbl.
Le renouvellement est en effet un sujet récurrent parmi les préoccupations des associations. Par exemple, si, grâce au bouche-à-oreille, la section bruxelloise des Compagnons Dépanneurs ne connaît pas de problème de recrutement, pour d’autres sections en Wallonie, cela peut être plus compliqué.
Evelyne De Locht, chargée de volontariat à la Ligue des familles depuis plus de 20 ans, observe, elle aussi, une évolution: «Parmi nos volontaires, nous comptons une majorité de retraités. Les personnes plus jeunes sont débordées avec leur vie de famille. Il y a par ailleurs plus de familles monoparentales. Pour attirer de nouvelles personnes, le bouche-à-oreille est ce qui marche le mieux, mais c’est parfois compliqué d’assurer la relève et le Covid n’a rien arrangé!»
Accompagner au changement
Face aux difficultés, les organisations se montrent inventives: c’est le cas notamment de l’ONE. Sur les 3.800 volontaires, environ 2.600 sont âgés de plus de 65 ans. Pour garantir le renouvellement, l’Office a mis les bouchées doubles en créant des guides et kits de recrutement. Les volontaires accueillent les familles, mais gèrent aussi les consultations. Concernant cette seconde responsabilité, de nouvelles règles ont été émises pour faciliter le roulement. Désormais, les postes de trésorier, secrétaire et président ne peuvent être tenus par des personnes de plus de 75 ans. «Ça n’a pas été évident pour certains d’accepter ça, mais ça permet d’assurer une bonne gestion», explique Sylvie Anzalone, porte-parole de l’Office. Dans de nombreuses associations, la limite d’âge pour occuper des positions bénévoles à responsabilité peut en effet se révéler un enjeu majeur pour contrer le phénomène des personnes «ne voulant pas lâcher» malgré parfois une détérioration de leur état de santé. La notion d’acceptation au changement constitue par ailleurs un thème qui revient souvent dans le discours des associations tiraillées entre une volonté d’innovation et des habitudes bien ancrées.
Dans de nombreuses associations, la limite d’âge pour occuper des positions bénévoles à responsabilité peut en effet se révéler un enjeu majeur pour contrer le phénomène des personnes «ne voulant pas lâcher» malgré parfois une détérioration de leur état de santé. La notion d’acceptation au changement constitue par ailleurs un thème qui revient souvent dans le discours des associations tiraillées entre une volonté d’innovation et des habitudes bien ancrées.
Pour les Magasins du monde Oxfam par exemple, la nécessité de renouvellement entre parfois en tension avec la question de la fidélisation. «Dans notre dernière étude, nous comptions une majorité de femmes et la moyenne d’âge des bénévoles était de 62 ans, mais elle a certainement augmenté.» L’organisation s’adapte et accompagne notamment ses volontaires les moins à l’aise avec le numérique à la technologie, quitte parfois à bousculer un peu les habitudes. «Les bénévoles que nous recrutons actuellement – plutôt des jeunes retraitées – ont un usage du numérique plus aisé, car il a fait partie de leur vie professionnelle. L’enjeu est que les anciennes laissent de la place et que les nouvelles prennent leur place tout en respectant les habitudes des anciennes. C’est de l’humain! Et malgré les couacs parfois, c’est quand même incroyable de se dire que ce sont des équipes de 20 à 80 volontaires qui s’organisent pour faire tourner les magasins», sourit Anabelle Delonnette, employée d’Oxfam-Magasins du monde au sein de l’équipe qui gère les aspects de bénévolat.
Pallier les besoins auxquels l’État ne répond pas?
La plupart des volontaires interrogés ont tout à fait conscience du rôle essentiel qu’ils et elles jouent. «Sans les bénévoles, l’économie serait mise à mal. Les volontaires font tourner pas mal d’organisations», souligne Albert de Gedinne. «Il y a une tension sur la place que prennent les bénévoles pour pallier les besoins auxquels l’État ne répond pas. Leur implication a de multiples bienfaits, mais elle ne remplace pas l’emploi», insiste Milèna Chantraine. Et ce particulièrement dans un contexte de coupes budgétaires au sein du secteur associatif! Et demain? Entre le recul des pensions, les risques de malus en cas de départ anticipé, les soins aux proches, l’évolution du travail et des modèles familiaux… Pourra-t-on encore compter sur l’aide des aînés? La question reste entière. Mais la sonnette d’alarme ne retentit pas encore! Si selon le dernier Baromètre des associations[2], 23% des associations indiquent que le nombre de bénévoles est plus faible qu’avant le Covid, la plupart ne se disent, pour l’instant, pas vraiment inquiètes pour l’avenir. «Face à ces enjeux, la question fondamentale pour nous est de savoir ce qu’une association a à offrir comme possibilité d’accompagnement et d’implication», ajoute la secrétaire générale de la Plateforme francophone du volontariat. En attendant, dans l’ombre, Sylvie, Chantal, Joëlle, Albert et les autres continuent leur engagement à leur échelle.
[1] https://www.levolontariat.be/les-chiffres-du-volontariat-en-belgique
[2] https://media.kbs-frb.be/fr/media/12677/Barom%C3%A8tre%20des%20associations%202024