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Virages et revirements de la directive «Bolkestein»

Depuis bientôt deux ans, la directive dite « Bolkestein », visant à libéraliser les services dans l’Union européenne anime le débateuropéen. À l’initiative de l’ancien commissaire en charge du Marché intérieur, le Néerlandais Fritz Bolkestein, la Commission européenne aadopté la proposition en janvier 2004. Elle l’a soumise au vote des États membres. Le Parlement européen, qui « codécide » avec le Conseil des ministres,doit d’abord se prononcer. Dans l’intervalle, la proposition a été accusée d’inciter au « dumping social » et au démantèlement desservices publics. Elle devait être « remise à plat ». Ensuite, elle a été jugée en partie responsable du rejet de la Constitution européenne enFrance et aux Pays-Bas. Aujourd’hui, elle divise toujours les États, le Parlement européen et les directions générales de la Commission. Pourtant, sur fond de crisede l’Union, elle a été à peine modifiée par le vote-test du 22 novembre en commission Marché intérieur au Parlement. Prochaine échéance :janvier 2006, en session plénière à Strasbourg. Récit d’un texte-clé qui incarne à lui seul beaucoup des tensions que vivent les instanceseuropéennes ces derniers temps.

25-11-2005 Alter Échos n° 198

Depuis bientôt deux ans, la directive dite « Bolkestein », visant à libéraliser les services dans l’Union européenne anime le débateuropéen. À l’initiative de l’ancien commissaire en charge du Marché intérieur, le Néerlandais Fritz Bolkestein, la Commission européenne aadopté la proposition en janvier 2004. Elle l’a soumise au vote des États membres. Le Parlement européen, qui « codécide » avec le Conseil des ministres,doit d’abord se prononcer. Dans l’intervalle, la proposition a été accusée d’inciter au « dumping social » et au démantèlement desservices publics. Elle devait être « remise à plat ». Ensuite, elle a été jugée en partie responsable du rejet de la Constitution européenne enFrance et aux Pays-Bas. Aujourd’hui, elle divise toujours les États, le Parlement européen et les directions générales de la Commission. Pourtant, sur fond de crisede l’Union, elle a été à peine modifiée par le vote-test du 22 novembre en commission Marché intérieur au Parlement. Prochaine échéance :janvier 2006, en session plénière à Strasbourg. Récit d’un texte-clé qui incarne à lui seul beaucoup des tensions que vivent les instanceseuropéennes ces derniers temps.

Remise à plat avortée ?

Après une demande de « remise à plat » très officielle de la France au Conseil européen de mars 2005 à la veille de son référendum surla Constitution, Charlie McCreevy, commissaire en charge du Marché intérieur, a décidé d’attendre le verdict des eurodéputés pour réviser letexte.

Dans la première partie de son rapport, publiée en avril, l’eurodéputée sociale-démocrate allemande Evelyne Gebhardt (Parti socialiste européen), aproposé de remplacer le « principe du pays d’origine » (PPO), au cœur de la polémique, par la règle de la « reconnaissance mutuelle »,inscrite dans les traités. Elle a aussi prévu d’exclure du texte tous les services d’intérêt économique général (Sieg) – autrementdit les services publics pouvant être prestés par le secteur privé.

Présentée mi-mai à la commission Marché intérieur, compétente sur le fond, la version finale du rapport n’a pas convaincu la droite, majoritaire auParlement et attachée aussi bien au principe du pays d’origine qu’à l’inclusion des services d’intérêt économique général. LeParti populaire européen (Démocrates-Chrétiens) et les Libéraux de l’ADLE ont décidé de présenter des « modifications substantielles». Le vote a été repoussé une première fois avant de finalement se dérouler le 22 novembre dernier.

Dans l’intervalle, la commission Emploi et Affaires sociales – consultée pour avis – s’était prononcée en faveur de l’exclusion desréférenceS au droit du travail, en adoptant mi-juillet le rapport de l’eurodéputée belge, Anne Van Lancker (Parti socialiste européen). Celle-ci écarteégalement le principe du pays d’origine et les services d’intérêt économique général (Sieg). Les députés ont réclaméà la Commission une directive-cadre pour à la fois définir et protéger les Sieg. Très réticent, l’exécutif européen a toujoursinvoqué l’absence de base juridique dans les traités actuels. Une communication sur les services sociaux d’intérêt général et de santé(SSIG) doit toutefois être présentée d’ici la fin de l’année.

« Zone grise » et mécanisme flou

Certains services font partie d’une « zone grise ». Il ne s’agit ni de services commerciaux ni de services publics purement non marchands comme la justice, la police oul’éducation. L’Union les appelle les services économiques d’intérêt général (Sieg). Ils correspondent à une activitééconomique au sens de la jurisprudence de la Cour de justice et de l’article 49 du traité. En cela, ils sont soumis aux règles du marché intérieur au sens del’article 86§2 : « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractèred’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence… »

La proposition de directive sur les services s’appuie sur ces deux éléments – jurisprudence et article du traité – pour justifier leur libéralisation. Toutefois,la seconde partie de l’article 86§2 indique bien que les règles du marché intérieur s’appliquent aux Sieg « dans les limites où l’application de cesrègles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement deséchanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté ». Evelyne Gebhardt s’est justement appuyéesur cette partie de l’article pour justifier le retrait complet des Sieg.

Les partis de droite récusent cette interprétation. Ils privilégient, à l’inverse, un traitement sectoriel de la directive. Problème : « Chaqueservice est une sorte de mini-monde en soi » et « entrer dans les détails complique les choses », confie Philippe Pochet, directeur de l’Observatoire social européen(OSE). C’est pourquoi cette proposition de directive est volontairement floue, et qu’elle vise potentiellement tous les services, à l’exception des secteursdéjà couverts par des directives européennes, comme les services financiers, les réseaux de télécommunication et les services de transport.

État actuel du texte

Cette directive prévoit d’abord de simplifier la « liberté d’établissement » des prestataires. Pour cela, elle projette par exemple de mettre en placedes « guichets uniques », servant de relais d’information aux entreprises, via des voies notamment électroniques. Elle invite aussi les États membres àalléger leurs régimes d’autorisation en supprimant, entre autres, l’obligation de résidence du prestataire dans le pays d’accueil.
Elle cherche aussi à garantir la « libre circulation des services ». Dans ce sens, elle stipule un « droit des destinataires d’utiliser des services d’autresÉtats membres ». Elle pourra ainsi éliminer les mesures restrictives ou discriminatoires des autorités publiques ou des opérateurs privés. Autant demécanismes que dénoncent les défenseurs des services publics.

Légères modifications au Parlement

Emblématique, le débat a continué à opposer les partisans du libéralisme aux protecteurs des services publics. Et même si les États membres et lesprincipaux représentés au Parlement sont d’accord sur la nécessité de créer un marché des services – qui représentent près de 70 %du PIB européen – pour relancer la croissance, ils se déchirent sur les modalités d’ouverture de ces derniers à la concurrence. Les uns défendent lacompétitivité du marché dans un contexte de globalisation économique et de ralentissement de la croissance européenne, les autres invoquent le devoird’harmonisation des législations nationales pour éviter le « dumping social » et les abus de libéralisation des services publics.

Ces points d’achoppement concernent, d’une part, le principe du pays d’origine, selon lequel un prestataire de services, peu importe l’endroit où il exerce, restesoumis aux règles de son pays d’origine. Ils touchent, d’autre part, à l’inclusion des services d’intérêt économique généraldans le projet de loi. En dehors de ces deux éléments-clés, les membres de la commission marché intérieur sont parvenus à trouver un accord sur quelque 1.500amendements, soumis avant le vote à un compromis entre les principaux partis.

Résultat : même si le terme est désormais banni après le vote du 22 novembre, le principe du pays d’origine reste de mise. Le « principegénéral de libre circulation » assurera à terme au prestataire homologué dans un État membre la reconnaissance automatique de ses qualités, de sescompétences et de ses méthodes de travail dans un autre État membre, sans plus de formalités administratives. Les États membres pourront évoquer desexceptions au nom du respect de l’ordre public, de la protection de l’environnement et de la santé. En outre, les références au droit du travail sont, à lademande de la Commission Emploi et Affaires sociales, exclues de la directive. Elles sont concernées par la directive « détachement des travailleurs »

Des exceptions

Au grand dam des Socialistes et des Verts, les membres de la commission ont refusé de sortir les services économiques d’intérêt général du champ dela directive. Ainsi, l’eau, le gaz et l’électricité restent concernés. Seuls les services publics non marchands, ou services d’intérêtgénéral (SIG), comme l’éducation sont exemptés. Toutefois, à la demande d’Evelyne Gebhardt, les eurodéputés ont retiré du champ dela directive, les Sieg les plus controversés, comme l’ensemble du secteur de la santé (pharmacie et maisons de retraite incluses), le cinéma et les jeux de hasard, casinoscompris. Exemption obtenue par la France, la Française des jeux étant un organisme d’État tout comme la Loterie nationale en Belgique

La situation manque de clarté concernant certains services publics, comme le logement social, et l’enseignement supérieur, qui a priori sont toujours dans le champ de ladirective. La question de l’intérim est également hautement problématique. Alors que les partis de droite incitent à plus d’ambition au sujet des Sieg enplénière, E. Gebhardt, espère, de son côté, que l’Assemblée de Strasbourg rectifiera le tir.

Toutefois, ce vote est une première défaite. « J’ai toujours essayé de trouver l’harmonisation », a déclaré la députéeallemande. A l’inverse, la « rerédaction » de son rapport privilégie la concurrence entre économies nationales. « Telle quelle, la commission n’apas réussi à rejeter les craintes de la population », a-t-elle conclu, en précisant que « le déséquilibre est accentué ». Pour elle, lerésultat est « pire » que ce qui avait été présenté par la Commission européenne.

Bonne perdante, elle a toutefois noté que « le dernier mot, c’est la plénière qui l’aura ». A cause du retard pris au sein du Parlement, la sessionplénière a été repoussée en janvier 2006. La directive devra ensuite être soumise aux États membres pour une adoption finale attendue en mars 2007.

nathaliev

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