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Regard critique · Justice sociale

Environnement/territoire

Villes en transition et cittaslow, des pistes à suivre ?

Quelques villes wallonnes tentent de s’affranchir du pétrole en relocalisant leur économie, leurs transports et leur dépendance alimentaire, tandis que d’autres tablent sur une meilleure qualité de vie.

11-05-2012 Alter Échos n° 337

Pendant que nos hommes politiques ambitionnent de sauver le système économique à coup d’austérité, certains envisagent déjà l’après-effondrement, tandis que d’autres misent sur la qualité de vie. Plongée dans les « villes en transition » wallonnes, qui tentent de s’affranchir du pétrole en relocalisant leur économie, leurs transports et leur dépendance alimentaire, ainsi que dans quelques cittaslow tablant sur le « bien vivre ».

Que ferions-nous si le pétrole devenait trop cher ? Une dizaine d’habitants de Gelbressée, un village de 630 habitants dans le Namurois, tentent depuis 2010 un pari fou : relever ensemble les défis de l’après-pétrole. Ils font partie du mouvement des « Villes en transition », qui place les citoyens au cœur de l’action pour imaginer et construire une cité « résiliente », moins dépendante des énergies fossiles, innover dans la consommation, la mobilité, le logement, le travail et la solidarité. « Il s’agit d’inciter les citoyens d’un quartier, d’une commune ou d’un village à mettre en place des solutions nouvelles pour réduire la dépendance de leur territoire à l’égard des énergies fossiles : relocalisation de tout ce qui peut l’être, intensification des liens entre les habitants, meilleure gestion de la consommation énergétique, etc. », explique Roger Bourgeois1, un des initiateurs locaux.

Apparu en 2006 à Totnes, en Angleterre, le mouvement a rapidement pris de l’ampleur. Plus de 880 Initiatives de Transition sont en cours dans une trentaine de pays. En Wallonie aussi existent quelques territoires où essaiment les potagers et les designers de permaculture. Aujourd’hui, on dénombre une vingtaine de groupes locaux dans des villes comme Ath, La Louvière, Liège, Namur ou, à une moindre échelle, Fernelmont. « La Wallonie constitue un terrain propice grâce à la popularité des pensées décroissante et écolo », explique Robin Guns, coordinateur auprès des Amis de la Terre2.

Vision positive de l’avenir

Ni bobos, ni « radicaux », les activistes du mouvement des villes en transition ambitionnent de nous amener en douceur dans le monde de l’après-pétrole. Pour eux, nul besoin d’attendre l’impulsion des pouvoirs publics, le passage à l’acte se fait ici et maintenant, localement et ensemble. « Les incitations sont multiples, solidaires, adaptées à la réalité locale, parce que c’est souvent près de chez soi que se trouvent les gens, les ressources et les solidarités pour agir », observe Roger Bourgeois, transitionnaire dans le village de Gelbressée. La révolution, elle est dans les mentalités, car il s’agit de se prendre en main pour préparer l’après-pétrole non comme la fin d’un monde, mais comme un commencement.

Pas de fatalisme ou de transfert de responsabilité sur les autres, pouvoirs publics ou politiques, mais de la résilience. Le mouvement des Initiatives de Transition fait plusieurs paris stratégiques : le premier est le pari de l’action par le niveau communal. « L’échelle communale est pour l’instant la seule sur laquelle le citoyen a encore un grand levier d’action. Elle permet d’agir concrètement sur l’organisation locale de nos quartiers et de nos villes », observe Pablo Servigne, agronome, collaborateur scientifique de l’ULB et transitionnaire à Ixelles3. Et de compléter : « Les villes en transition sont des initiatives citoyennes, qui viennent du “bas”. Elles n’attendent pas que le politique ou la société se mettent en marche pour agir », explique Pablo Servigne.

Sur le terrain pourtant, l’approche « bottom-up » se heurte souvent à des résistances. « Dans le contexte francophone, l’imaginaire social reste encore tourné vers l’Etat, qui garde le monopole de l’action politique, observe Pablo Servigne. Or pour recréer des relations entre personnes du quartier, des liens sociaux, des liens économiques, des liens solides… qui d’autre peut le faire sinon les habitants eux-mêmes ? »

Passer de l’indignation à l’action

Dans la pratique, le soutien actif de l’administration locale vaut son pesant d’or. A Gelbressée, les « transitionnaires » disposent non seulement d’un local public pour leurs réunions et d’un support logistique pour plusieurs évènements, mais ils participent activement à l’élaboration de l’agenda communal. « Dans son schéma de structure communale, la ville voulait introduire une ligne de bus sur un chemin trop étroit menant à l’école ; nous l’avons convaincue d’aménager le tracé pour les vélos », explique Roger Bourgeois. Dans la même bourgade, les « transitionnaires » discutent étroitement avec les échevins pour la construction d’une éolienne citoyenne. Objectif : permettre aux riverains d’acquérir des parts de cette éolienne pour profiter des retombées financières, à long terme, et mieux redistribuer l’énergie.

« Le rôle que nous attribuons aux autorités locales dans ce processus est de le soutenir, pas de le diriger. Car, dans le mouvement, il y a une peur extrême de la récupération politique », explique Roger Bourgeois. « Mais il n’y a aucune volonté d’exclure les élus locaux. Au contraire : les dynamiques de transition, dirigées par les communautés, se relient à la politique locale », rassure Pablo Servigne. Dans son manuel, Rob Hopkins part du postulat suivant : une fois l’idée de Transition bien implantée dans la commune, elle se retrouvera logiquement dans les programmes politiques des partis au pouvoir. Quelle qu’en soit la couleur. La récente traduction en français du Manuel de transition, la bible du mouvement, devrait favoriser cet essor.

A Ath, les quartiers entrent en transition

Pionnière, Ath est l’une des Initiatives de Transition, et la plus avancée en Wallonie. Créé en septembre 2010, le comité « Ath en Transition » a fait entrer sa commune en Transition fin 2011. « Ce ne sont pas les autorités communales d’une ville qui décident que celle-ci est “officiellement” en transition, mais le Transition network », confie Josué Dusoulier, un des initiateurs locaux4. Une mention purement symbolique, puisque le réseau international censé coordonner les initiatives de transition à travers le monde exerce surtout un rôle de soutien aux initiatives locales (partage d’expérience, formations, charte éthique) et leur offre une visibilité externe (site web, communication, presse et liens). Concrètement, la réflexion « Transition » débute en cercles restreints, entre connaissances ou entre voisins intéressés par la problématique. Mais les liens avec la commune restent étroits.

Après avoir organisé plusieurs forums ouverts, les transitionnaires athois ont fédéré une quinzaine d’associations, d’agriculteurs et de coopératives pour créer une dynamique locale. « Le réseau Transition n’a pas vocation à remplacer ce qui existe déjà, mais bien à valoriser ces initiatives locales tout en étant facilitateur de nouveaux projets. D’ailleurs, les membres sont souvent les mêmes. » Un groupement d’achats solidaire « La Bande de GAS’Ath », un système d’échange local « Bouts de fiSEL » ont vu le jour ainsi qu’une vingtaine de sites de compostage et une plate-forme de covoiturage. « Les habitants peuvent participer régulièrement à des ateliers pratiques les initiant à la permaculture, une forme d’agriculture saisonnière, sans pesticides ni engrais de synthèse, explique Josué Dusoulier. Une des pistes étudiées envisage la création d’un potager collectif pour alimenter les écoles communales ». Début mai, Ath en transition remportait l’appel à projet des « défricheurs du durable », initié par la Ville et la maison de la culture locale. « L’initiative encourage les gens, d’une même rue ou du même quartier, à imaginer et partager des solutions de diminution de notre dépendance au pétrole, par des gestes simples et quotidiens, poursuit Josué Dusoulier. Cela a un aspect libérateur : on ne reste pas chacun chez soi à se demander quoi faire. Il faut dépasser la conscientisation pour passer à l’action. »

Cittaslow : lentement mais sûrement sur le chemin du « bien vivre »

L’appellation a un petit parfum de douceur de vivre. Dans la foulée du mouvement Slow Food, l’initiative Cittaslow5 venue tout droit, elle aussi, d’Italie, prône une meilleure qualité de vie dans les villes et les villages, et pas seulement en matière d’alimentation.

Une vingtaine de pays participe au mouvement dans le monde. En Belgique, Silly s’est lancé dans l’aventure en 2007, entraînant dans son sillage Enghien et Lens. Logo de l’opération : un escargot qui s’avance, décidé, vers une meilleure qualité de vie pour tous. Sabine Storme, employée communale à Silly, est coordinatrice du mouvement en Belgique6 : « Nous avions déjà un convivium Slow Food qui rassemble des asbl alors que Cittaslow exige un engagement des pouvoirs communaux. Après une sensibilisation à une alimentation de proximité et de saison, nous avons élargi ce concept de qualité alimentaire à une qualité de vie globale. »

Plusieurs paramètres pluridisciplinaires sont à respecter par les communes : urbanisme, valorisation du patrimoine local, aménagement du territoire, respect de l’environnement, mobilité… Autant de domaines dans lesquels chaque entité décide de développer différents projets. Un comité scientifique international élabore les critères de sélection, à chaque entité de les adapter selon les réglementations locales. « Nous avons créé des potagers intergénérationnels dans toutes les écoles de l’entité grâce à un budget du ministère de l’Agriculture et de la Ruralité, nous avons adopté le plan Maya [promotion des plantations d’essences « mellifères » pour favoriser le développement des butineuses, indispensables pour la reproduction de 80 % des espèces végétales, ndlr] et projetons de créer des potagers avec un écosystème d’insectes et de plantes mellifères, nous avons également un projet de quartier intergénérationnel tourné vers les aînés, mais aussi les familles et les plus jeunes. Les dossiers sont revus tous les cinq ans par le comité international qui envoie des observateurs dans les différentes communes afin de vérifier l’évolution des projets. Et j’ai, pour ma part, cette responsabilité au sein de la Belgique. »

Les communes d’Evere, à Bruxelles, et de Habay ont déposé leur dossier. Ce n’est pas encore le cas en Région flamande. De nombreux mouvements existent aujourd’hui pour sensibiliser la population à un mieux-vivre : Communes du commerce équitable, Villes en transition… Les échanges ne se font pas toujours. « Je n’ai jamais eu de contact avec les Villes en transition et c’est vrai que nous devrions imaginer ne fut-ce qu’un grand colloque qui réunirait tous ces projets qui vont dans le même sens ou inviter une ville en transition lors de nos manifestations. J’avoue, le temps nous manque. »

Un projet entraîne l’autre

 

La commune de Chaudfontaine a rejoint le mouvement et a été reconnue officiellement Cittaslow le 18 septembre 2009. Cathy Vanbrabant, en charge du dossier7, explique comment l’adhésion au projet a tout de suite paru une évidence aux pouvoirs locaux. « La démarche est venue directement du bourgmestre qui, dès 2006, a considéré Chaudfontaine comme une ville répondant pleinement aux principes de Cittaslow. Il se fait que nous travaillons également sur un dossier Commune du commerce équitable et sur un projet Développement durable, via l’Agenda 21 local. Il y a donc une vraie prise de conscience quant à une meilleure qualité de vie. Nous avons voulu travailler sur les infrastructures, l’environnement, l’urbanisme et bien sûr, l’hospitalité puisque Chaudfontaine est une commune touristique. Depuis cette année, nous cherchons à sensibiliser les enfants au goût dans les écoles. Toutes les promenades ont été balisées, à la fois au niveau pédestre et pour les VTT, les abords des écoles ont été sécurisés, le nombre de parcs à déchets verts a augmenté, on a développé le covoiturage et nous avons redéveloppé des quartiers de vie plus conviviaux. »
Bref, le mouvement est en marche…

1. Roger Bourgeois
– courriel : bourgeois09@scarlet.be
2. Les Amis de la Terre-Belgique :
– adresse : rue Nanon, 98 à 5000 Namur
– site : http://www.amisdelaterre.be
3. Pablo Servigne
– courriel : pablo.servigne@gmail.com
4. Josué Dusoulier
– tél. : 068 75 11 21
– courriel : athentransition@gmail.com – site : http://athentransition.over-blog.org/
5. Site : http://www.cittaslow.org
6. Sabine Storme : Administration communale de Silly
– adresse : place Communale, 18 à 7830 Silly
– tél. : 068 25 05 37
– courriel : sabine.storme@publilink.be
– site : http://www.silly.be/cittaslow
7. Cathy Vanbrabant, Echevinat des Finances de Chaudfontaine :
– adresse : parc Jean Gol, avenue du Centenaire, 14 à 4053 Embourg
– tél. : 04 361 54 39
– courriel : cathy.vanbrabant@calidifontain.be

Rafal Naczyk

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