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Vers un examen d’intégration pour l’acquisition de la nationalité belge ?

Dans la perspective d’une réintroduction éventuelle des conditions d’intégration dans le Code belge de la nationalité, quelques organisations francophoneset néerlandophones1 ont voulu attirer l’attention, ce 10 avril, sur la question de la nationalité.
Dans les pays voisins et d’autres pays européens, il existe depuis quelques années déjà des examens linguistiques et d’intégration. Une enquêtescientifique a été réalisée sur leurs effets. Ces examens contribuent-ils à l’intégration des immigrés ou ont-ils plutôt un effet desélection et d’exclusion ? Réponses convergentes.

23-04-2008 Alter Échos n° 250

Dans la perspective d’une réintroduction éventuelle des conditions d’intégration dans le Code belge de la nationalité, quelques organisations francophoneset néerlandophones1 ont voulu attirer l’attention, ce 10 avril, sur la question de la nationalité.
Dans les pays voisins et d’autres pays européens, il existe depuis quelques années déjà des examens linguistiques et d’intégration. Une enquêtescientifique a été réalisée sur leurs effets. Ces examens contribuent-ils à l’intégration des immigrés ou ont-ils plutôt un effet desélection et d’exclusion ? Réponses convergentes.

Le gouvernement Leterme a annoncé lors de sa récente déclaration d’accord de gouvernement sa volonté d’instaurer dans la législation sur lanaturalisation l’obligation pour un candidat de « faire la preuve de sa volonté d’intégration », sans toutefois préciser la façon dont cettevolonté sera établie. Déjà fin juillet 2007, la note Leterme dans le cadre des négociations de « l’Orange bleue » annonçait dans son point6.9 que « le séjour et l’intégration peuvent donner lieu à l’obtention de la nationalité et non inversement » et que dans ce cadre « l’acquisition de lanationalité belge requiert par conséquent une politique d’intégration et donc, entre autres la maîtrise d’une des trois langues nationales. Ceci sera inscrit dans la loisur la nationalité, à l’instar de ce qui se fait dans nos pays voisins. »

Le caractère relativement flou de la récente déclaration gouvernementale de mars 2008 qui évoque la nécessité d’apporter la « preuve d’unevolonté d’intégration qui pourra être prouvée par une attestation de l’autorité locale ou d’un service agréé » suscite d’autant plusd’interrogations et d’inquiétude qu’elle s’inscrit dans le contexte très médiatisé actuellement de la politique régionale flamandeconcernant le volet linguistique du code du logement social (Wooncode). Or, l’un des aspects novateurs de la loi du 1er mars 2000 sur le code de la nationalité étaitprécisément d’avoir supprimé la condition de volonté d’intégration et notamment l’apprentissage d’une des langues nationales.

C’est dans ce contexte que se tenait à la mi-avril à Bruxelles un colloque intitulé « Un examen d’intégration pour l’acquisition de lanationalité ? » qui abordait notamment l’expérience néerlandaise en la matière. C’est dans ce cadre que la juriste néerlandaise Ricky VanOers2 expliquait que les étrangers résidant aux Pays-Bas et voulant obtenir la nationalité néerlandaise étaient tenus depuis le 1er avril 2003de passer un examen oral et écrit prouvant leur connaissance suffisante de la langue et de la société néerlandaises. Cet examen de naturalisation payant, qui aprovoqué une importante diminution des demandes de naturalisation, a été remplacé quatre ans plus tard par un « examen d’intégration » oùle critère des contacts sociaux n’entre plus en ligne de compte pour établir le niveau d’intégration de celui qui demande la nationalité néerlandaise.Si la loi de 2003 poursuivait le but théorique de renforcer l’égalité juridique et d’accroître l’autonomie des demandeurs, objectifs encore loind’être réalisés selon Ricky Van Oers, elle n’avait pourtant pas été adoptée sous la contrainte des partis populistes dont la pression sur lesthèmes de l’immigration se fait davantage sentir aujourd’hui.

Volontairement excluant ?

Les effets constatés de ce type d’examen d’avril 2003 à avril 2007 (catégories à problèmes, coût de l’examen) n’ont pratiquementpas été pris en compte dans le processus qui a mené à l’adoption d’un examen d’intégration à partir du 1er avril 2007. Comptetenu pourtant des nécessaires aménagements que demande l’application d’une telle loi dès lors que les statistiques indiquent clairement qu’elle aprovoqué une nette diminution des demandes de naturalisation et qu’elle pénalise surtout les personnes d’origines socioculturelles les plus modestes, Ricky Van Oers sedemande « si l’alourdissement de l’exigence linguistique et d’intégration n’est pas un moyen pour exclure les plus faibles socialement parmi ceux qui veulentobtenir la nationalité néerlandaise ».

Pour Eddy Maes, de l’asbl Objectif – Mouvement pour l’égalité des droits3 : « Dans tous les pays qui ont introduit un examen linguistiqued’intégration (Pays-Bas, Autriche, Danemark), on constate une forte baisse du nombre des naturalisations chez les personnes peu scolarisées, celles qui se trouvent au bas del’échelle sociale. Même des immigrés, sans diplôme mais qui travaillent et habitent dans le pays depuis des années déjà, sont mis sur la touche.Ils ont appris la langue du pays ou de la région par la pratique, au travail et en rue. Mais c’est insuffisant pour réussir l’examen. »

Avant même que la question d’un examen d’intégration à la belge ne prenne, éventuellement, une forme concrète avec le gouvernement Leterme, le Codebelge de la nationalité dont le dernier amendement date de fin décembre 2006, suscite pourtant déjà bien des critiques quant à son application. En septembre 2004déjà, on constatait une diminution du pourcentage de naturalisations alors pourtant que l’importante modification du code de la nationalité du 1er mars 2000était censée rendre l’acquisition de la nationalité belge plus rapide4. Toujours selon Eddy Maes, « le rythme actuel des naturalisations stagne au niveaud’avant les modifications législatives de 2000 qui prévoyaient pourtant un assouplissement des procédures ». En cause notamment, les administrations communalesoù certains fonctionnaires n’informeraient pas correctement sur la procédure, ou l’interpréteraient de façon erronée.

Se basant sur son expérience d’accompagnement social de terrain d’un public étranger, Réjane Frenais du Centre régional d’action interculturelle duCentre5, estime que la réintroduction de tests d’aptitude linguistique et d’examens d’intégration dans les procédures d’acquisition de lanationalité belge auraient forcément un caractère discriminant, ne fût-ce que sur la forme, vis-à-vis d’un public dont le parcours scolaire a &eacute
;tétrès court et/ou très perturbé, quand il n’a pas été inexistant, et dont la connaissance de l’outil informatique est forcément trèslimitée.

Délibérer ensemble

Henri Goldman, au nom du Centre pour l’égalité des chances6, estime que le concept de « preuve d’une volonté d’intégration » qui revientdans la déclaration gouvernementale, est « à bannir ». Selon lui, il s’agit là d’un concept flou « qui ne veut rien dire » et qui «constitue un retour aux pratiques dénoncées qui avaient conduit à l’adoption de la loi du 1er mars 2001 ». « Va-t-on redemander aux personnesconcernées si elles mangent par terre ou avec une cuillère ? », s’insurge-t-il. Toujours selon la déclaration de gouvernement, cette « volontéd’intégration pourrait être prouvée par une attestation de l’autorité locale ou d’un service agréé ». Selon Henri Goldman, cette approche comportele risque que certaines autorités locales créent des blocages à la naturalisation ou à la régularisation (où l’on évoque également lanécessité d’un « ancrage local ») parce qu’elles craignent que leurs communes n’attirent des étrangers.

Quant à l’aspect linguistique, tout en se montrant sensible aux discriminations qu’engendre et peut engendrer l’exigence d’un minimum de connaissance linguistique dupays d’accueil, Henri Goldman estime, exprimant ouvertement une certaine hésitation du Centre pour l’égalité des chances sur ce sujet, qu’il faut «distinguer un principe et des pratiques ». En effet, « dès lors que ce qui distingue un national d’un résident étranger légal, ce sont les droitsciviques pleins et entiers et dès lors que ces droits consistent certes à voter ensemble mais aussi et surtout à délibérer ensemble, il n’est pasillégitime qu’un État se dise qu’il est important que les gens qui participent à la décision puissent discuter ensemble. » Les faits discriminatoiresconstatés, par exemple dans le cas néerlandais, ne doivent donc pas empêcher de s’interroger sur le sens d’une telle démarche.

Du côté des associations et de la société civile, le débat est donc lancé à l’aune des quelques lignes laconiques de la déclarationgouvernementale sur cette question fondamentale.

1. Organisé par l’asbl Objectif – Mouvement pour les droits égaux, Vlaams Minderhedencentrum, Integratiecentrum Foyer, Migrantenforum, Mrax, Ciré et CBAI.

2. Doctorante au Centre de droit des immigrés de l’université Radboud à Nijmegen (Pays-Bas).
3. Asbl Objectif – Mouvement pour l’égalité des droits :
– adresse : rue des Alexiens, 35 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 512 67 27
– site : http://www.allrights.be/fr/
4. Lire Réforme de l’acquisition de la nationalité : une « snel Belg wet » pas rapide in Alter Échos n° 171, 21 septembre 2004.
5. Ceraic :
– adresse : rue Dieudonné François, 43 à 7100 Trivières
– tél. : 064 23 86 56
– site : http://www.ceraic.be
6. CECLR :
– adresse : rue royale, 138 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 212 30 00
– site : www.diversite.be

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