Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale
c) Philippe Debongnie

Ils s’appellent Martial, Guillaume, Nicolas et Christophe. Ils ont un point commun, celui d’avoir choisi d’être vasectomisés. Pour Alter Échos, ils témoignent de leur expérience. 

«Un juste retour des choses»

Guillaume, 36 ans, en couple et père de trois enfants

Pour être honnête, la vasectomie ne m’était jamais venue à l’esprit. Il a fallu qu’un ami m’en parle pour être sensibilisé. Et après avoir observé tout ce que le corps de ma compagne avait enduré (contraception, grossesse, accouchement…), il était tout à fait normal que je prenne enfin ma part. Il y a un tel déséquilibre dans un couple, et c’est toujours le corps des femmes qui trinque. La vasectomie m’a alors semblé un choix équilibré. C’est un juste retour des choses, et tout ce qu’on peut faire pour faire partir le curseur un peu de l’autre côté est le bienvenu. C’était une décision d’autant plus rapide à prendre qu’il était certain au sein de notre couple que nous ne voulions plus d’enfants. Bien évidemment, il y a toujours des personnes qui cherchent à vous convaincre du contraire, en vous disant «on ne sait jamais»… Mais cela ne m’a pas traversé l’esprit. Par contre, entre la décision et les démarches concrètes, il a fallu plusieurs mois pour que je passe à l’acte. C’est sans doute dû au fait que ce n’est pas agréable de devoir subir une intervention, même légère, sur les parties génitales. C’était une forme de report de l’inconfort en quelque sorte. Au final, mon expérience a été d’une simplicité totale. Il faut dire que mon urologue était tout à fait ouvert à la question. Je n’ai pas reçu de demandes intrusives qui essayaient de remettre en cause mon choix. Après l’opération, j’ai évoqué un peu le sujet auprès de mes proches en me disant qu’il fallait normaliser la vasectomie… J’avais envie de témoigner parce qu’il reste sur ce sujet un réel tabou. Ce qui me surprend, notamment parmi les hommes de ma génération, c’est qu’il reste une forme de blocage comme si, en recourant à la vasectomie, on s’amoindrissait en tant qu’homme, alors que, dans mon esprit, pour peu qu’on ne veuille plus d’enfants, on ne perd absolument rien. Au contraire, et c’est peut-être particulier, cette vasectomie m’a libéré. J’ai enlevé une des options par rapport à un choix de vie. 

«Mon épouse a dû signer un document pour donner son accord»

Christophe, 38 ans, en couple et père de deux enfants

Ma compagne a pris la pilule pendant un long moment, avant de se tourner vers d’autres méthodes de contraception. Après la naissance de notre deuxième enfant, elle a décidé d’utiliser un stérilet. Mais ce fut pour elle assez douloureux… Aussi me suis-je dit que c’était à moi de faire quelque chose. Je suis plutôt égalitariste, féministe et je trouve que chacun doit porter sa part de responsabilité, y compris à ce niveau-là. Comme j’étais certain de ne plus vouloir d’enfants, l’idée de la vasectomie s’est imposée. Dans mon entourage, deux amis avaient franchi le pas en quelques mois à peine. J’en ai discuté avec eux pour avoir toutes les infos sur le sujet. Puis un jour, convaincu par cette démarche, j’ai annoncé à mon épouse que je voulais être vasectomisé. À vrai dire, elle n’y était pas vraiment favorable. Elle a envisagé tous les scénarios possibles: décès, séparation, désir d’enfants… Mais j’étais convaincu de ce choix et elle n’a pas mis de veto. J’ai alors pris rendez-vous à l’hôpital. J’ai pris le premier médecin qui avait un rendez-vous disponible. Autant le dire, il n’était pas sympa pour un sou, mais tout à fait compétent. Je dois dire que cela ne m’a pas du tout découragé. Ce qui m’a étonné, c’est que mon épouse a dû signer un document pour donner son accord et autoriser l’opération. J’ai trouvé cela surprenant en termes de liberté, de choix individuel, mais aussi dans la logique de revendication du corps des uns et des autres. Apparemment, cela relevait de la politique de l’hôpital, mais cela m’a surpris… Deux ans après l’opération, j’en parle assez librement, avec des retours parfois en demi-teinte. Certains proches restent étonnés de ce choix. On sent encore que c’est un tabou assez fort. Il n’est pas rare d’entendre: «Tu n’es plus un homme si tu as fait ça.» Un peu comme si le sexe masculin était une zone intouchable, une zone à défendre. Il y a une sorte de peur viscérale, parce qu’on touche à la virilité. C’est un aspect qui ne m’a pourtant pas du tout effleuré durant toutes les démarches qui ont été les miennes. 

«Le médecin voulait me convaincre que ce n’était pas une bonne idée»

Nicolas, 48 ans, en couple, père de deux enfants

On a deux enfants, et, n’ayant pas l’intention d’en avoir d’autres, on ne voyait pas la raison pour laquelle ma femme allait continuer la contraception en CDD. À 40 ans, cela me paraissait plus juste et simple que je prenne le relais à ce niveau en recourant à la vasectomie. Je suis allé trouver un médecin dans la clinique de la ville où j’habitais. En me recevant, il a passé son temps à me dissuader de faire une vasectomie. Il utilisait toute une série d’arguments pour s’opposer à ce choix. Pour la première fois de ma vie, je me suis retrouvé dans une position dans laquelle les femmes se trouvent assez souvent, en ayant en face de moi quelqu’un qui remettait en cause mon choix, tenant un discours moralisateur, me mettant même en garde, en prétextant que je pourrais toujours rencontrer une autre femme, que le divorce était fréquent… Il voulait me convaincre que ce n’était pas une bonne idée. Je peux tout à fait comprendre que les médecins doivent demander aux gens si leur décision est bien réfléchie, mais il y a la manière de le faire. Dans mon cas, c’était extrêmement désagréable. C’était d’autant plus désagréable que ce médecin m’a laissé attendre plusieurs semaines avant de pouvoir confirmer une nouvelle fois mon choix. Évidemment, il m’a à nouveau parlé de tous les scénarios possibles sur ma vie sentimentale et affective; par contre, il n’a absolument pas évoqué les complications possibles, ce qu’on attend normalement d’un médecin. J’ai réalisé l’opération, et je me suis retrouvé avec une infection au niveau des testicules, ayant une énorme gêne pendant une dizaine de jours, au point de marcher comme Lucky Luke. Cet incident n’a pas du tout remis en cause mon choix par la suite, choix qui me paraît surtout un juste rééquilibrage des choses. Il y a une tendance générale dans la société actuelle à tenter de réparer les déséquilibres entre femmes et hommes, ceux-ci penchant monstrueusement d’un seul côté. Il n’y a aucun rôle qui doit être lié au genre de la personne. Il en va de même pour la contraception. On est très loin de l’équilibre, et, même s’il y a de plus en plus d’hommes vasectomisés, cela reste marginal. Le sujet commence à intéresser, mais je constate que les gens sont insuffisamment informés, qu’ils posent pas mal de questions comme si vous étiez une bête curieuse.

«Je dois avouer que je ne voulais pas trop en entendre parler…»

Martial, 47 ans, en couple, père de trois enfants. 

Je suis en couple depuis 27 ans et, même si mon histoire devait s’arrêter avec ma compagne, je sais que je ne veux plus d’enfants. À la naissance du dernier, voilà 16 ans, ma femme m’avait déjà parlé de la vasectomie, mais je dois bien avouer que je ne voulais pas trop en entendre parler. Pour diverses raisons, notamment psychologiques. «Si on fait cela, est-on encore un homme?», pensais-je alors. Je craignais aussi les effets secondaires. Puis, ma femme a continué de prendre des contraceptifs. Chemin faisant, c’était il y a peu de temps, des amis vasectomisés m’ont parlé de leur expérience. Ils avaient le même âge que moi. Ils m’ont tout de suite rassuré sur mes inquiétudes, en me disant que cela ne changeait rien du tout. J’ai alors commencé à dépasser le stade de l’inquiétude pour y voir les avantages. À commencer par le fait que mon épouse n’allait plus devoir se fourguer dans le coco des hormones à longueur d’année. C’est la raison principale qui m’a aidé à franchir le pas. Elle a fait sa part des choses pendant plus de 25 ans. C’est à moi maintenant de prendre le relais. Honnêtement, j’aurais dû le faire bien plus tôt. Il y a dix ou quinze ans, et on aurait gagné plusieurs années de paix pour ma femme. Évidemment, la vasectomie n’est pas le moment le plus agréable qui soit. Sur le coup, on a beau dire qu’il y a une anesthésie locale, on le sent quand même un peu passer. Il y a quelques contraintes pendant les premiers jours. Mais c’est tout à fait supportable. La douleur peut être un frein, raison pour laquelle être entouré et rassuré par des personnes qui l’ont fait est important. Avant l’intervention, il faut avoir toutes les cartes en main et on ne peut pas laisser la moindre place au doute ou à l’inquiétude. Car si on n’est pas prêt, on ne doit pas le faire. C’est la raison pour laquelle il est important d’en parler, d’autant que de plus en plus d’hommes y ont recours, ce qui crée un effet d’entraînement. De leur côté, les femmes évoquent aussi davantage leur charge contraceptive, soulignent les problèmes liés à la pilule notamment et les conséquences sur leur santé, ce qui n’était pas le cas il y a une vingtaine d’années. Tout cela fait avancer les choses, et, dès lors que l’homme peut aussi prendre en charge la contraception, il faut être capable d’entendre cette revendication légitime.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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