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Regard critique · Justice sociale

Valoriser la réussite plutôt que l’échec : « L'École en questions »

Débattre des enjeux de l’école d’aujourd’hui, loin des experts, dans le cadre de rencontres citoyennes, c’est le pari de la plate-forme contre l’échec scolaire etde la campagne « L’École en questions ».

14-02-2010 Alter Échos n° 289

Débattre des enjeux de l’école d’aujourd’hui, loin des experts, dans le cadre de rencontres citoyennes, c’est le pari de la plate-forme contre l’échec scolaire etde la campagne « L’École en questions ». Un débat ouvert et sans tabou, annoncent les initiateurs de la campagne, qui ont toutefois des idéesdéjà bien arrêtées sur certaines questions.

La Ligue des familles a commandé une enquête Sonecom sur la perception de l’école en Wallonie et à Bruxelles auprès de mille personnes âgées de18 à 64 ans. Parmi ces personnes, 130 enseignant(e)s. La publication de ce sondage (cf. encadré) n’est que le prélude de toute une campagne lancée ce 6février par la plate-forme contre l’échec scolaire1 et intitulée « L’école en questions »2. Objectif :encourager tous les acteurs de l’école à se parler sans tabou et se donner le temps de réfléchir aux enjeux de l’école d’aujourd’hui. Avec comme objectifssous-tendus : valoriser la réussite plutôt que l’échec, adapter l’école au monde d’aujourd’hui, mieux former les enseignants, développerun travail d’équipe (entre enseignants, entre parents et enseignants, sans oublier les « associatifs »), sortir de la compétition entre écoles, etréseaux, revoir les rythmes scolaires.

« Les dernières et trop nombreuses réformes structurelles de l’enseignement montrent des résultats décevants. L’échec scolaire et lesinégalités entre élèves ne diminuent pas et les profs se retrouvent seuls au front, analyse Denis Lambert, directeur général de la Ligue des familles. Nousvoulons réamorcer le dialogue parents-enseignants, c’est l’objectif principal, pas le relais vers le politique, ça viendra éventuellement en son temps. Notre seulmessage politique actuellement, c’est : ‘du calme, on arrête les réformettes, on se met autour de la table pour débattre et puis à moyen terme, on pourra alorsengager des mini-révolutions. »

Après les dizaines de débats organisés aux quatre coins de la Communauté française autour des cinq questions sur l’école (cf. les objectifscités ci-dessus), la plate-forme rassemblera en mai tous les faits, les récits, les avis et les propositions. Un site web a été créé à ceteffet : www.ecoleenquestions.be. En août, une conférence citoyenne sera organisée lors desrencontres d’été de l’association « Changement pour l’égalité » à la Marlagne. La conférence sera chargéed’identifier les convergences et les divergences à la suite des rencontres en régions.

Le redoublement remis en question

Si la plate-forme contre l’échec scolaire souhaite laisser émerger le débat sans tabou, elle a pourtant déjà des idées bien arrêtéessur certaines questions, dont celle du redoublement. Une pratique très répandue en Communauté française, s’il faut en croire les chiffres : 60 000 redoublementspar an, tous cycles compris. Ainsi, Denis Lambert, commentant un des résultats de l’enquête Sonecom : « 91 % des personnes estiment qu’il faut valoriser laréussite plutôt que l’échec, mais 65 % des parents pensent que le redoublement est une solution efficace face aux difficultés d’apprentissage. C’estcomme s’il était inscrit dans les gènes qu’une bonne école est une école qui mofle. Or le redoublement mène à davantaged’échec. » À noter toutefois que le redoublement est moins bien perçu à Bruxelles – où il est davantage pratiqué – qu’enWallonie. À noter également que les profs y croient aussi moins que les parents (58 % y croient). « Mais on peut voir aussi le côté positif de cerésultat, ajoute le directeur général de la Ligue des familles. Il y a vingt ans, Marcel Crahay3 avait posé la même question et seuls 20 % des profsétaient contre le redoublement, il y a donc de l’amélioration. »

Quant aux constats sur l’école d’aujourd’hui, si l’on en croit Jean-Pierre Coenen de la Ligue des droits de l’enfant (membre de la plate-forme), ils sontà désespérer de notre système éducatif : « Comment croire qu’on vit dans une vraie démocratie quand on a une école qui est tout saufdémocratique ? La pire république bananière n’en voudrait pas. L’égalité des chances ? On a tout faux ! Selon le décret mission,l’école doit préparer les jeunes à devenir des citoyens. Mais l’école trahit ce droit ! Au XXIe siècle, l’école en Communautéfrançaise « massacre » 100 000 élèves par an : 60 000 redoublements, 17 000 orientations précoces, ce qui est un déni de droit, 20 000 abandons avant larhéto, 2 000 enfants orientés sans raison vers l’enseignement spécial, 17 000 renvois définitifs, 12 000 élèvesdéscolarisés… »

Pour la plate-forme, il faut ni plus ni moins refonder globalement l’éducation à l’aide de plusieurs grands chantiers, et ce, « sans tabou, nidétour ». Le premier chantier visé est celui de la lutte contre la concurrence de plus en plus grande entre les écoles à la mesure de la volonté dechacun de donner à son enfant le meilleur avenir possible. « Et on n’évitera pas de mettre sur la table la question des réseaux, du libre choixpédagogique face à la nécessité de promouvoir la solidarité interne du système scolaire », prévient la plate-forme. Le deuxième estcelui de la formation initiale et continue des enseignants. Le troisième, celui de la concertation pédagogique. Le quatrième, celui du rythme scolaire, de son calendrier annuelet de son organisation quotidienne. Le cinquième – qui n’est pas le dernier en termes d’importance ! – est celui de l’obligation pour le système scolaireet tous ses acteurs de faire réussir tous les élèves.

Quelques « enseignements » de l’enquête

Les relations parents-profs. « On pouvait s’attendre à voir apparaître dans le sondage le double cliché sur leprof-absent-malade-toujours-en-vacances et le parent-démissionnaire. Or, rien de tout ça. » Les enseignants sont sévères vis-à-visd’eux-mêmes : ils sont 75 % à penser avoir la connaissance des matières, mais seu
lement 61 % estiment avoir les compétences pédagogiques,53 % les aptitudes relationnelles et 50 % la capacité à se faire respecter. « Ils sont plus à l’aise avec les savoirs qu’avec lesélèves », résume Denis Lambert. De l’autre côté, plus de la moitié des parents reconnaissent qu’ils ne sont pas assez disponibles pourrencontrer les enseignants.
Les réseaux. Le réseau d’enseignement joue un rôle important dans le choix de l’école pour 71 % des 60-65 ans, 61 % des 50-59 ans,56 % des 40-49 ans et des 30-39 ans, 47 % des 25-29 ans et 39 % des 18-24 ans. « Le choix selon le réseau est une affaire essentiellement de vieux. C’est laleçon qu’on peut tirer de ces chiffres », analyse Denis Lambert. Et quand on choisit un réseau, c’est moins pour des raisons philosophiques ou religieuses(44 %) que pour la réputation de l’école (71 %) ou la qualité de l’enseignement (88 %).
La confiance. 19 % des personnes interrogées ont une confiance faible dans le système scolaire. « C’est-à-dire un cinquième.C’est lourd pour une institution centrale de la société », poursuit Denis Lambert. D’autant que cette proportion est généralisée dans toutesles couches de la société.
La remédiation. Pour deux tiers des sondés, c’est à l’école que doit principalement revenir le rattrapage en cas de difficulté del’élève. Et non à des organismes de formation privés (1 % seulement).
Le rythme scolaire. Seulement 10 % des personnes interrogées estiment que les rythmes scolaires (journalier, hebdomadaire, annuel) ne conviennent pas. « Comme sion était tous nés avec une sonnerie toutes les 50 minutes dans le ventre », ironise le directeur de la Ligue, qui nuance cependant : un quart des parents d’enfantsen âge scolaire juge le rythme scolaire difficile à vivre en famille. « Il y a une corrélation évidente à faire entre rythmes scolaires et famillesmonoparentales. Les rythmes scolaires sont difficiles à suivre pour ce type de famille, et c’est à prendre en compte même si elles ne représentent que 10 % desfamilles. »

Les résultats sont consultables (la version résumée) sur le site www.ecoleenquestions.be ainsi quedans un nº spécial du Ligueur des parents (n°3, 3 février 2010).

1. Qui regroupe l’Aped, CGE, la CSC, la CGSP, la Fapeo, la FEF, les écoles de devoir, la Ligue des familles, le Mrax, le MOC, Lire et Écrire, la Ligue des droits del’homme, la Fipe, le Service droit des jeunes, Bruxelles laïque, la Fapeo et Meta-Éduc.
2. Contact de la campagne : Ligue des familles, av. de Beco, 109 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 507 72 11 et chaque organisation membre. Un agenda détaillé desanimations et rencontres en régions sera disponible à partir du 16 février 2010 sur www.ecoleenquestions.be. Le DVD L’école fait son cinéma propose cinq histoires courtes pour lancer les cinq questions de l’école. Chaque histoireest disponible en deux versions : 30 secondes et 1 minute 30. Gratuit sur simple demande ainsi qu’un guide méthodologique pour animer un débat sur « L’école enquestions ».
3. Docteur en sciences de l’éducation, professeur à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Liège et àl’Université de Genève.

catherinem

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