Reconnaître et valider les acquis des adultes en formation professionnelle, voilà bien un enjeu auquel peu de réponses pragmatiques ont jusqu’ici étéapportées en Belgique. À l’heure où tous nos ministres de l’Emploi affichent au premier rang de leurs ambitions l’élaboration d’un portefeuille decompétences individuel, on ne dispose encore pratiquement à ce sujet que de réflexions en chambre, comme les avis du Conseil de l’éducation et de la formation (CEF)sur la validation des compétences et sur le redéploiement de la Commission communautaire des professions et qualifications (CCPQ).
Un pas important a cependant été franchi dans cette direction depuis un an. Le CEF a en effet mis autour de la table le Forem, l’IFPME et l’enseignement de promotion socialepour imaginer une manière de s’accorder pour développer des systèmes de reconnaissance des acquis et développer entre eux – les organismes publics de formationprofessionnelle – des passerelles plus nombreuses et plus efficaces. Leurs efforts sont importants dans le sens où les approches communes qui s’en dégagent, même sielles restent encore sur papier, tiennent compte des fonctionnements concrets des opérateurs concernés.
C’est sans doute ce nouveau niveau de pragmatisme et les résultats qu’il a permis de préfigurer qui expliquent l’accélération de différentstravaux menés ces derniers mois sur la reconnaissance des acquis, et aussi le fait que ces travaux reprennent d’importants éléments à ceux du CEF. Uneexclusivité Alter Échos.
1. Le projet Québec-Wallonie confié au CEF
Le projet en question a été développé en 1999-2000 dans le cadre d’un partenariat Québec-Wallonie à l’initiative du ministre wallon del’Emploi de l’époque Jean-Claude Van Cauwenberghe. La chambre de la formation du CEF a ainsi pris connaissance fin juin du rapport qui clôture la mission de coordination duprojet qui avait été confiée à son secrétariat, et qui en fait un bilan.
La présidente de la chambre de la formation du CEF, Marie-Hélène Ska, tient à préciser que ce rapport n’est en rien une position ni du CEF, ni des partenairesdu projet, ni des autorités qui l’ont soutenu. Il faut le lire sur le registre de l’éprouvette. Ou autrement dit : la balle reste entièrement dans le camp despolitiques. Ces travaux se veulent une étape d’instruction d’une décision politique future, mais sur une question assez complexe et imbriquée pour s’y prendred’emblée avec les acteurs et organismes qui seront réellement aux prises avec les mécanismes à mettre en place.
Au fédéral, le “Plan Onkelinx” approuvé par le gouvernement en 2000 propose la mise en place du droit, coulé dans le droit du travail, à un“portefeuille de compétences” qui facilite l’insertion des demandeurs d’emploi et permette la validation des compétences acquises en formation comme en dehors.Le Contrat d’avenir pour la Wallonie (fiche 30) contenait une proposition similaire, en insistant sur le fait que le mécanisme vaille pour tous les opérateurs de formation.
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La reconnaissance des acquis au rang des priorités politiques
Le secteur de la formation professionnelle est traversé depuis plus de dix ans par la question – laissée grande ouverte – de la validation des compétences.L’acuité croissante avec laquelle elle s’est posée est pratiquement proportionnelle à la massification de la présence des demandeurs d’emploi dans lesformations professionnelles organisées par l’État.
Même les possibilités offertes par l’enseignement de promotion sociale depuis sa refonte en 1991 n’ont pu se développer assez largement. Et la problématique seréactualisait en 98-99 avec l’ouverture des discussions sous-régionales visant à imaginer des passerelles entre opérateurs sous-régionaux dans le cadre de lapolitique wallonne du Parcours d’insertion.
Mais la pression vient aussi d’en haut, de l’Europe, avec la montée de la thématique de la formation tout au long de la vie dans la stratégie européenne pourl’emploi, puis dans les résolutions du sommet de Lisbonne sur la société de l’information. On parle de mécanismes qui donnent plus de cohérence et demobilité entre la formation initiale, la formation professionnelle des demandeurs d’emploi, et la formation des travailleurs actifs.
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1.1. Trois principes nécessaires
Le travail – et la qualité de dialogue entre les personnes impliquées, précise le rapport au CEF – a surtout permis de formaliser les termes d’un accordpossible entre les opérateurs publics wallons de formation professionnelle : Forem (son versant formation et surtout son versant emploi, qui ne participe pas formellement aux travaux du CEF),IFPME, enseignement de promotion sociale.
Il faut aussi remarquer d’emblée que ceci ne concerne pas exclusivement la Wallonie : Bruxelles Formation a été invité à participer “en tantqu’observateur” à ces réflexions. Il a signé les accords, mais avec la réserve que l’architecture entre opérateurs Emploi seraforcément différente en Région bruxelloise.
Ces accords dits “de Sainte-Foy” ont été atteints en décembre 2000 : ils contiennent les trois conditions indissociables d’une expérimentation entre cesopérateurs d’un système – régulé par l’État en concertation avec les partenaires sociaux – de validation des compétences et depasserelles entre eux.
> Un langage commun, utilisé entre les opérateurs concernés, qui fasse consensus entre eux, de façon la plus opérationnelle possible, sur des notions comme“compétence”, “attestation”, “validation”, “certification”, etc.
> Il faut ensuite s’entendre sur la manière de décrire les compétences : le principe est que l’accord ne porte que sur les compétences observables.
> Après ce travail d’objectivation à un niveau général, il faut aussi une norme commune et fiable d’évaluation de la maîtrise de tellescompétences par telle personne.
1.2. Un système de validation à quatre composantes
Une expérimentation élaborée au départ de ce cadre produirait un système à quatre composantes principales inter reliées.
> Le partenaire emploi, le Forem, produit à l’attention des trois partenaires formation un “référentiel emploi-métier” sur la base d’un canevasdéfini avec eux.
> Un “référentiel compétences” correspondant est élaboré ensuite, en concertation entre le partenaire emploi, les partenaires formation et lespartenaires sociaux. Il reçoit le cas &e
acute;chéant l’accord de ces derniers. Il fait l’objet d’une validation par le partenaire emploi. Ce dernier peut sous-traitercette opération à l’opérateur formation.
> Chaque partenaire formation peut y ajouter des compétences liées à ses missions propres : on parle alors de “référentiel formation”.
> Pour ce qui est de l’évaluation, à chaque “référentiel compétences” est associée une “fiche d’évaluation”identique pour tous les partenaires et définie entre eux. Elle contient un cahier des charges de l’évaluation et se décline en trois parties : l’attestation, lavalidation et la certification.
Une fois validées, des compétences sont reconnues automatiquement et uniformément par tous les partenaires. De cette façon, un contenu de formation ou unecompétence ne font en principe jamais l’objet de plusieurs épreuves d’évaluation.
La certification reste l’apanage de l’enseignement de promotion sociale, et porte sur son “référentiel formation” propre. Les autres formations fontl’objet d’attestations.
Un tel système doit être expérimenté et le définir de cette manière permet de tenir compte avant tout des exigences et du fonctionnement des partenaires iciconcernés. À priori, ils ne revêtent pas une portée plus générale à ce stade. L’associatif n’est pas jusqu’ici impliqué dansles travaux, et l’implication des partenaires sociaux reste théorique. On reste dans “l’éprouvette”, comme le dit la note au CEF.
Mais cette expérimentation est aussi pensée pour être généralisable – mais ensuite – aux autres opérateurs de formation, articulée àla concertation sociale, et pour qu’y soient ajoutés une formule de portefeuille de compétences individuel et un dispositif de bilan de compétences (notamment pour lavalidation des acquis hors formation). Elle démarrerait sur deux métiers : commis de salle et carrossier.
2. Le potentiel de la démarche
Le rapport au CEF rappelle les trois avantages d’un tel dispositif.
> En amont de la formation, il permet grâce à la formalisation et à la validation des acquis, un calibrage plus précis des formations aux spécificités despersonnes et donc améliore l’accès du système de formation.
> De façon générale, en termes d’orientation, il permet d’ouvrir les choix de la personne vers plusieurs scénarios d’emploi et de formation, de rendreces scénarios plus praticables, et de l’y situer.
> En aval des formations, il facilite l’échange d’informations entre employeur et demandeur d’emploi lors du recrutement.
Le rapport montre aussi des limites du scénario qu’il définit et les questions qui restent ouvertes.
> Il part seulement d’une discussion entre trois partenaires, sans tenir compte de ce qui existe éventuellement déjà sur le terrain comme pratiques de validation descompétences.
> Il est nécessaire d’adopter un référentiel emploi existant : le Rome français? les travaux de la CCPQ?
3. L’expérimentation commence
Ces derniers mois, les travaux se sont poursuivis. L’expérimentation dont la note au CEF parle au conditionnel est sur le point de démarrer sur les deux métiersidentifiés au départ. Cela se passe entre les mêmes partenaires publics, dans le cadre d’un nouveau projet, cette fois Bruxelles-Wallonie-Québec, et en principe surbase d’un prochain cofinancement Equal qui comprend aussi la mise en place de portefeuilles de compétences. Les choses en sont pour le moment où les référentielssont rédigés, et où la recherche des stagiaires a été entamée par le pôle particuliers du Forem.
Pour ce qui est du travail “politique”, il est actuellement effectué par les cabinets Arena, Onkeinx et Dupuis, en coordination avec l’Institut Émile Vandervelde, leservice d’études du Parti socialiste, qui sortait d’ailleurs en février une note sur le “Portefeuille de compétences”. La communauté flamande etson Conseil de l’enseignement (Vlor) avancent aussi sur ce sujet.
4. Et à Bruxelles ?
En Région bruxelloise, c’est Bruxelles-Formation est pleinement associé depuis le début à la démarche du CEF. Si l’initiative est wallonne, l’Institut planchaità la même époque sur un projet avec le Québec visant l’élaboration d’outils de reconnaissance des acquis (référentiels, normes d’évaluation,etc.) plutôt que les mécanismes institutionnels. Aujourd’hui, il n’y a pas d’expérimentation qui commence à Bruxelles, Ce sera de toute façon à l’Orbemd’assurer la mise au point des référentiels emploi-métiers, mais pour Marc Thommès, directeur général adjoint de l’Institut, il est trop tôt pourparler en détails des modalités de ce travail. Les choses seront plus claires dans les tout prochains mois.
Il faut aussi signaler que les AID, le réseau des asbl d’insertion du Mouvement ouvrier chrétien, ont aussi initié un projet Equal avec des partenaires bruxellois sur cesproblématiques, mais ne veulent pas en dire plus tant que leur demande de cofinancement FSE n’est pas approuvée.
Dernière remarque : la Fébisp2, la fédération bruxelloise des asbl d’insertion, a réalisé au début de l’année une note deréflexion qui tente de cerner les enjeux de la validation de compétences pour les OISP et les AFT : “Les compétences et leur(s) validation(s)”. On y retrouvenotamment la discussion de la manière dont un travail plus formel sur les compétences peut légitimer et renforcer les démarches d’insertion socioprofessionnelle. Lesparcours d’insertion s’en trouveront plus accessibles et plus intéressants pour les publics en difficulté. La Fébisp se demande dans quelle mesure il ne serait paintéressant de créer des modèles qui lui seraient propres de reconnaissance des acquis, de validation des compétences, et de certification.
1 CEF, bd Léopold II 44 à 1080 Bruxelles, tél. : 02 413 26 21, fax : 02 413 27 11, e-mail : cef@cfwb.be; site Web : http://www.cfwb.be/cef
2 Fébisp. : tél. : 02 537 72 04, fax : 02 537 84 04, e-mail : febisp.sec@misc.irisnet.be
Archives
"Validation des compétences et passerelles entre opérateurs publics de formation"
Thomas Lemaigre
24-09-2001
Alter Échos n° 105
Thomas Lemaigre
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