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Regard critique · Justice sociale

Logement

Taxation des loyers : le débat venu de l’Europe

Il y a quelques semaines, le Président du PS faisait une sortie tonitruante sur la possibilité de taxer les loyers réels lors de la prochaine législature. L’annonce a fait ‘Pschit’ ! Mais le débat est loin d’être clos. Si les négociations reprendront peut-être après les élections, la taxation des loyers risque de revenir sur la table du prochain gouvernement via… la Commission européenne. Derrière ces débats se pose la question des impacts d’une telle taxation sur les loyers : à la hausse ou à la baisse ?

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Il y a quelques semaines, le président du PS faisait une sortie tonitruante sur la possibilité de taxer les loyers réels lors de la prochaine législature. L’annonce a fait « Pschit » ! Mais le débat est loin d’être clos. Si les négociations reprendront peut-être après les élections, la taxation des loyers risque de revenir sur la table du prochain gouvernement via… la Commission européenne. Derrière ces débats se pose la question des impacts d’une telle taxation sur les loyers : à la hausse ou à la baisse ?

« Notre système de taxation est discriminatoire au niveau européen, commence François Parisis, directeur de la structuration patrimoniale chez Puilaetco Dewaay Banque privée. En cause, la taxation des revenus immobiliers d’un bien loué en Belgique se fait sur base du revenu cadastral (dans le cas d’une habitation louée à un particulier) alors que, pour les immeubles situés à l’étranger, c’est le loyer réellement perçu qui est pris en considération dans le calcul de la taxation. » La Commission en conclut que notre régime fiscal dissuade les Belges d’investir dans l’immobilier à l’étranger et qu’il s’agit d’un obstacle à la libre circulation des capitaux. La note transmise au gouvernement fédéral en novembre 2013 par le Commissaire en charge de l’Union douanière, le Lituanien Algirdas Semeta, pointe la « différence » entre notre système actuel de taxation et celui qui est en vigueur dans les 27 autres États de l’Union – qui repose partout sur la taxation des loyers réels. Amusant retour de manivelle, l’harmonisation fiscale n’est pas une volonté européenne, mais la liberté des capitaux pourrait y contribuer !

Le président du Syndicat national des propriétaires, Olivier Hamal, s’amuse de cet argument. « Il y a à peine quelques jours, on annonçait que les Belges étaient les principaux investisseurs dans les stations balnéaires espagnoles. Si risque il y a en la matière, il semble bien théorique ! »

Anticiper ?

La Belgique doit-elle anticiper ? Pour François Parisis, il est clair que la Commission ne peut rien imposer. « Mais elle peut attaquer la Belgique à la Cour de justice européenne et obtenir une décision imposant à la Belgique de se mettre en conformité », insiste-t-il.

Olivier Hamal, n’évite pas la question. « Mais le gouvernement belge doit-il anticiper une éventuelle décision alors qu’il n’existe pas une injonction précise ? Nous ne le croyons pas. D’autant que la fiscalité immobilière ne se limite pas à la taxation des loyers. Il existe bien d’autres dispositions : les droits de donation, les droits de succession, les droits d’enregistrement… », défend-il, soulignant que toute réforme devrait être concertée entre tous les niveaux de pouvoir concernés.

Un système obsolète

Tout autre son de cloche chez Nicolas Bernard, professeur aux Facultés Saint-Louis et spécialiste du droit au logement, qui vient de publier un article important sur la question (1). « La taxation sur base du revenu cadastral est obsolète et sous-évaluée. En moyenne, les loyers perçus à l’heure actuelle doivent probablement être quatre fois plus élevés que le revenu cadastral sur la base duquel les propriétaires continuent d’être taxés. Le Conseil supérieur des finances avait établi ce ratio à 3,21 en 1996. Compte tenu de l’augmentation constante des loyers enregistrée depuis, l’estimation la plus basse doit en effet se situer aujourd’hui aux alentours de quatre. »

Si le revenu cadastral est indexé, il faut aussi constater que les loyers ont monté beaucoup plus vite que l’index. Nicolas Bernard lui trouve encore d’autres défauts. « Le revenu cadastral ne tient pas compte des spécificités locales comme la situation bruxelloise. Autre iniquité : les éléments de confort apparus après 1975 ne sont pas pris en considération. Dès lors, deux habitations d’un même quartier, mais qui se différencient sur leur niveau d’équipement moderne, se verront attribuer un même revenu cadastral, argumente l’expert bruxellois. Les effets pervers sont nombreux. Le revenu cadastral peut être modifié en cas de travaux. Le propriétaire aura donc tendance à masquer les travaux ce qui augmente le travail au noir. Il pousse aussi à augmenter le rendement locatif, donc à cloisonner et faire des logements plus petits. »

Il remarque aussi que le très rigoureux Conseil supérieur des finances a défendu cette piste dès 1997 en estimant que « ce système marquerait un progrès indéniable sur le plan de l’équité ». « Enfin, de nombreux loyers sont déjà soumis à une telle taxation : les baux à ferme, les baux des biens affectés à une activité professionnelle (commerce, bureau) connaissent un régime similaire. C’est donc loin d’être révolutionnaire ou chimérique », ajoute-t-il.

On s’interroge aussi sur le complément de revenu que constitue le loyer par exemple pour un retraité à la pension peu élevée. Selon une étude de 2007, 80 % des biens loués en Région bruxelloise appartiennent à un multipropriétaire, ce qui écorne un peu l’image véhiculée du petit propriétaire. En outre, il n’est pas neutre politiquement de noter que la moitié des bailleurs d’un bien sis en Région bruxelloise habite en dehors de celle-ci.

Vers une hausse des loyers ?

Si d’aucuns estiment qu’une taxation des loyers réels entraînerait une augmentation de la taxation générale et donc une répercussion à la hausse sur les loyers, d’autres pensent que cela pourrait ne pas être le cas, voire avoir l’effet inverse. « La loi protège les locataires et empêche une répercussion immédiate. Je ne pense pas que cela aura beaucoup d’impact d’autant si le marché est tendu », pense François Parisis.

Qu’en pensent les locataires ? Pour José Garcia, secrétaire général du Syndicat des locataires, il n’y a pas d’incitant fiscal à avoir un bas loyer. « Qu’un immeuble soit loué 500 ou 1 000 euros par mois, le bailleur sera taxé la même chose. Une taxation des loyers réels pourrait amener les bailleurs à pratiquer de plus bas prix. Le système devrait aussi faire bénéficier d’une réduction d’impôts ceux qui investissent dans leur immeuble. Pour le moment, le précompte prévoit une réduction de 40 % de l’impôt que l’on fasse ou pas des travaux. »

Mais encore faudrait-il voir clairement quel système alternatif au revenu cadastral mettre en place ? Pour François Parisis, on pourrait imaginer une taxation distincte. « Cela existe déjà pour certains types de revenus, alors pourquoi pas pour l’immobilier ? À côté du précompte immobilier, on pourrait créer des impôts distincts sur le capital immobilier et sur les revenus de ce capital », propose-t-il. Ainsi, le capital serait frappé d’un impôt foncier en fonction de la superficie et du type de bien. « Si les revenus locatifs étaient taxés à hauteur de 10 % plus une cotisation sociale de 2,5 %, cela permettrait en outre de diversifier les sources de financement de la sécurité sociale. En additionnant cela au précompte, il y aurait une taxation de l’ordre de 25 % distincte de l’impôt des personnes physiques. »

Quel que soit le système retenu, Nicolas Bernard estime qu’il faudrait prévoir des garde-fous. « Il faut des critères : tenir compte du nombre de biens mis en location, établir des tarifs plus importants pour les loyers excédant les grilles de loyer existantes, différencier les situations des biens amortis ou encore en remboursement notamment. »

Pour un débat dont personne ne veut à la veille des élections, les arguments sont pourtant fort antagonistes. Rendez-vous après le 25 mai ?

1. Bernard N., s. dir., La défédéralisation du bal d’habitation : quel(s) levier(s) pour les Régions ?, Larcier, Bruxelles, 2014, 380 pp.

Jacques Remacle

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