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Regard critique · Justice sociale

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"Syndicats et immigrés : du rejet à l'intégration"

04-10-1999 Alter Échos n° 60

L’histoire syndicale et celle des immigrés ont toujours été étroitement liées. Sous la direction de Marie-Thérèse Coenen et à travers uneanalyse détaillée, précise et ponctuée d’anecdotes révélatrices, le Carhop 1 publie aujourd’hui un important dossier sur la question.
Il pose entre autres questions, celles des réactions du mouvement ouvrier et des syndicats à différents moments de l’ère industrielle face à l’affluxd’immigrés : quel accueil, quelles stratégies, quels discours l’un et l’autre ont-ils adoptés ? Comment les syndicats ont-ils permis et participé à un processusd’intégration sociale, économique et politique de ces ouvriers ?
Les phénomènes migratoires provoqués par la révolution industrielle introduisent le sujet. Ces déplacements de population, de zone rurale vers des zones urbainesd’une région à l’autre, entraînent des réactions de méfiance : tracasseries administratives pratiquées par une administration tatillonne sur des lois peufavorables ; réactions hostiles d’ouvriers qui craignent pour leur propre sécurité sociale et économique…
Pourtant les conditions de travail et, surtout d’exploitation, sont identiques pour tous les ouvriers : «Ils se laissent prendre aux propositions alléchantes des agents qui recrutent dela main-d’œuvre pour les industriels. Mais lorsqu’ils sont sur place (…) Les conditions de travail sont pénibles, l’hébergement est précaire, la stabilité del’emploi n’est pas garantie…»
Face à ces situations généralisées, le mouvement ouvrier se structure peu à peu. La question des mineurs flamands travaillant en Wallonie constitue unepremière prise en considération des flux migratoires. Un important travail de syndicalisation de ces ouvriers va être entrepris par les syndicats socialiste etchrétien…
Au cours des années ‘20, le recrutement systématique d’ouvriers à l’étranger s’organise. Il faut reconstruire le pays dévasté par le premier conflitmondial. Un manque cruel de main-d’œuvre se fait sentir. Les Belges refusent les travaux miniers au profit de l’industrie ou du commerce. Le secteur de l’extraction minière se tournedès lors vers les Italiens, les Centro-européens, et les Nord-Africains…
Considérés par les syndicats comme «un mal, mais un mal nécessaire» pour l’économie belge, les travailleurs étrangers sont ressentis comme une menacepar la classe ouvrière… D’autant plus que leur syndicalisation est relativement faible, principalement en raison de leur mobilité, de la pression patronale et de l’absence deconscience sociale. Une propagande syndicale spécifique notamment auprès des Italiens et des Polonais se met en place. Mais ces tentatives d’intégration grâce au concoursde compatriotes ne rencontrent qu’un succès mitigé.
La crise des années ‘30 provoque un rejet sans précédent tant au niveau étatique, patronal que syndical. Ce dernier opte, à quelques nuances près, pourle protectionnisme. Les étrangers sont remplacés par des chômeurs volontaires de nationalité belge. Les frontières sont fermées et de nombreux ouvriersétrangers renvoyés chez eux. Mais cette politique montre rapidement ses limites : le niveau de qualification des ouvriers belges ne correspond pas suffisamment aux besoins industrielset nombre d’entre eux jugent insuffisant le niveau de revenu. Résultats : une pénurie de main-d’œuvre, une réouverture des frontières et un changement de ton dans lediscours syndical : la venue des immigrés est vitale pour le maintien de l’économie et il devient nécessaire de lutter contre leur exploitation.
Dès le lendemain de la guerre, cette préoccupation va prendre corps au sein du mouvement syndical, même s’il faudra vaincre encore de nombreuses réticences. Une propagandepour une affiliation plus massive et pour casser l’isolement des étrangers va être menée. Le caractère durable des vagues d’immigration qui ponctuent les années 60n’échappe pas aux syndicats. Ils développent des politiques d’intégration et de participation des immigrés au sein de leur structure et donnent la priorité àla lutte pour leurs droits sociaux et politiques et pour leur dignité. Avec des (demi)-victoires début ‘80 : loi contre le racisme, Code de la Nationalité (notamment auniveau de la procédure de naturalisation)…
Pourtant ces progrès ont régulièrement été freinés par des politiques gouvernementales restrictives et vexatoires. Les syndicats les dénoncent toutaussi régulièrement. Tout comme ils dénoncent et luttent vigoureusement contre les thèses de l’extrême droite, y compris en leur sein. Une lutte qui démontrebien l’ambivalence qui a traversé et traverse encore le mouvement syndical vis-à-vis des flux migratoires. Une ambivalence pertinemment soulignée dans la publication du Carhop,essentiellement au travers de l’histoire. Dommage d’ailleurs qu’aucun rapprochement n’ait pu être opéré avec l’actualité politique en matière«d’allochtones»… La publication du livre lui étant antérieure.
1 Les syndicats et les immigrés. Du rejet à l’intégration, sous la direction de Marie-Thérèse Coenen, édition Carhop, Evo et Fec. 895 francs plus 100 francsde frais de port. Disponible en librairie et auprès du Carhop : rue des Moucherons 3 à 1000 Bruxelles, tél. : 02/514 15 30, fax : 02/513 47 11, e-mail : carhop@skynet.be

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