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Regard critique · Justice sociale

Statut de la femme : inquiétude autour de l’exception tunisienne

La place de la femme tunisienne fait figure d’exception dans le monde arabo-musulman. Les partis islamistes font pourtant craindre une marche arrière.

09-10-2011 Alter Échos n° 324

La place de la femme tunisienne fait figure d’exception dans le monde arabo-musulman. Les partis islamistes, Ennahdha en première ligne, font pourtant craindre une marchearrière.

Samedi premier octobre, date de l’ouverture officielle de la campagne électorale. Karim Harouni défile en tête du cortège de son parti, Ennahdha, dansl’avenue Bourguiba, en plein centre de Tunis. Harouni est un des principaux leaders de ce parti qui se positionne comme islamiste moderniste. Ce petit homme, d’un abord fort sympathique,a passé plus de dix-sept ans dans les prisons de Ben Ali.

Le régime du dictateur déchu menait en effet une véritable chasse aux islamistes, ce qui explique, entre autres, la popularité dont bénéficientaujourd’hui les partis religieux. Ennahadha ressort ainsi largement des sondages.

Karim Harouni marche donc en tête du cortège. A ses côtés, une femme, son alter ego féminin, serre comme lui les mains des passants ou des policiers croisésdevant le ministère de l’Intérieur. Ce défilé, qui lance officiellement Ennahdha en campagne, est une opération de communication bien menée. Un desobjectifs premiers est de rassurer les femmes sur les intentions des islamistes.

Nous interviewons la femme aux côtés de Karim Harouni. Elle est quatrième sur la liste du parti. La question que nous lui posons, sur le statut des femmes tunisiennes, est biensûr très attendue et la réponse bien préparée. « Le fameux Code du statut personnel ne bougera pas, garantit-elle, ou alors pour donner plus de droits auxfemmes. » Fait exceptionnel dans le monde arabo-musulman, la femme tunisienne bénéficie en effet d’un statut qui la place à l’égal de l’hommedans de nombreux domaines. C’est en 1956 que Habib Bourguiba a promulgué le Code du statut personnel, fait de règles progressistes en faveur des femmes.

Le statut libéral des femmes tunisiennes interdit la polygamie, établit une procédure de divorce plus équitable, met en place un système éducatifégalitaire, etc. Soulignons aussi que la Tunisie a légalisé l’avortement dès 1965, soit avant la France et bien avant la Belgique !

Nombre de Tunisiennes et Tunisiens sont pourtant inquiets du sort qui sera réservé aux femmes si les islamistes arrivent au pouvoir. Raison pour laquelle Sana Fathallah Ghenima etses consoeurs, par exemple, ont décidé d’agir et de créer une association, « Femmes et leadership ».

Sana Fathallah Ghenima lutte pour garantir l’égalité homme-femme et ne cache pas sa « profonde inquiétude » face aux islamistes. « Ilfaut éviter l’hypocrisie, explique-t-elle, la pratique des partis islamistes n’est pas du tout concordante avec ce qui se dit au niveau des discours politiques. Les partisislamistes vont devoir montrer patte blanche. » Lors d’une conférence de presse, elle exhorte ses congénères à ne pas « tomber dans lepiège » des partis islamistes. Autour d’elle, aucune femme ne porte le voile. Dans le cortège de l’avenue Bourguiba, toutes les femmes étaientvoilées.

« Aujourd’hui en Tunisie, il y a des femmes voilées et non voilées. Ce n’est pas un problème », assure Omezzine Khélifa, jeunecandidate sur une liste sociale démocrate (et non voilée). Omezzine pointe un élément essentiel de la culture tunisienne : l’Islam n’est pas àproscrire de la vie institutionnelle. On a beaucoup appelé à la laïcité au lendemain du 14 janvier, date du départ de Ben Ali. Les débats ont menéà la conclusion qu’un état laïc ne serait pas adapté à la Tunisie.

« Il ne faut pas gommer les appartenances religieuses des gens, la religion est une partie de notre identité », souligne Omezzine Khélifa. Cette identitéarabo-musulmane, la plupart des Tunisiennes et Tunisiens la réclament. Reste à trouver la bonne distance entre Etat et religion, et le bon équilibre entre droit des femmes etpratiques islamistes.

Voir aussi la vidéo dans notre dossier Tunisie : élections, citoyens et innovations

Arnaud Gregoire

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