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Santé

Sport sur ordonnance: un dispositif efficace mais qui patine

Du sport partout, pour toutes et tous : c’est l’objectif du dispositif Sport sur ordonnance. En Région wallonne, une dizaine de communes y adhèrent, mais le système peine à décoller véritablement. Les inégalités socioéconomiques restent des freins importants, alors même que l’accès au sport par les couches les plus défavorisées de la population est un enjeu de santé public majeur.

(c) Julien Kremer

Fin novembre, la France a décidé d’expérimenter durant deux ans le remboursement de l’activité physique adaptée pour les patients atteints de cancer. Depuis 2016, les médecins généralistes pouvaient déjà prescrire du sport aux malades chroniques ou souffrant d’affections de longue durée (diabète, hypertension artérielle, problèmes cardio-vasculaires, obésité, lombalgie, arthrose, ostéoporose, cancer, etc.), dans le cadre d’un dispositif appelé Sport sur ordonnance. Le hic, c’est qu’il n’était pas pris en charge par l’assurance maladie au niveau national. Ce sera désormais le cas, mais pour une seule catégorie de patients.

En Belgique, on n’en est pas là. La médecine de l’exercice (exercise medicine), cette branche de la médecine qui traite et prévient les maladies par l’exercice physique, demeure confidentielle malgré l’existence du système Sport sur ordonnance, présent dans 14 communes wallonnes. Il est piloté par une asbl qui veut accompagner les pouvoirs locaux dans la mise en œuvre du sport santé. Cet organisme de seconde ligne s’assure notamment que les communes adhérentes choisissent des prestataires qui respectent les lignes directrices de la médecine de l’exercice: endurance, force, souplesse, équilibre.

«Dans le cadre de la lutte contre la sédentarité, l’OMS recommande un minimum de 150 minutes d’efforts modérés d’endurance par semaine, ainsi que deux ou trois sessions de renforcement musculaire et d’assouplissement.»

Ce dispositif est limité dans le temps puisqu’il consiste en un cycle de cours sur douze semaines, rappelle Christophe Dohn, membre fondateur de l’association et moniteur à Ottignies–Louvain-la-Neuve, l’une des premières communes à s’être lancée. Une sorte de tremplin vers une activité physique régulière au sein d’une structure locale. «L’idée est de les aider à améliorer leur condition physique et à retrouver confiance dans leur capacité à faire du sport. On inverse le paradigme: il ne faut pas être en bonne santé pour faire du sport, mais il faut faire du sport pour être en bonne santé», lance Christophe Renard, directeur de l’asbl Sport sur ordonnance.

Malgré son potentiel, le développement de cette thérapie non médicamenteuse reste timide. Si l’association existe depuis cinq ans, elle ne disposait pas de fonds à ses débuts pour pouvoir mener sa mission à bien. Mais cela pourrait changer puisque depuis cette année, elle est agréée comme opératrice en prévention et promotion de la santé par l’Aviq (l’Agence pour une vie de qualité en Région wallonne), ce qui lui a permis d’engager quatre personnes chargées entre autres de faire du plaidoyer.

«Ceux qui exercent un métier pénible n’éprouvent pas forcément nécessaire d’ajouter encore de la dépense d’énergie à la fatigue musculaire qu’ils éprouvent au travail.»

Observatoire des inégalités

Sarah Lambotte, doctoresse à la maison médicale Passerelle Santé de Louvain-la-Neuve, est séduite par le concept du sport sur ordonnance. Plutôt une exception, puisque les médecins sont globalement peu formés et sensibilisés à l’exercise medicine. «Sur le plan préventif, le sport fait baisser la tension, brûler les mauvaises graisses et libère des endorphines. C’est bon pour l’activité cardiaque: ça va faire pomper le cœur et diminuer le rythme cardiaque. Pour la santé mentale, c’est salvateur aussi puisqu’il y a une décharge importante du stress.» En curatif, l’exercice peut soulager les personnes souffrant de tendinite, de sciatique, de maux de dos et de douleurs en général.

Des inégalités sociales évidentes

«On cible ces maladies chroniques et métaboliques, car leur cause est souvent comportementale, même s’il y a une part de génétique. Parmi les paramètres réversibles, il y a l’alimentation, l’activité physique et le tabac. Notre environnement actuel nous pousse à rester assis toute la journée et à bouger de moins en moins», déplore Christophe Renard. Dans le cadre de la lutte contre la sédentarité, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un minimum de 150 minutes d’efforts modérés d’endurance par semaine, ainsi que deux ou trois sessions de renforcement musculaire et d’assouplissement. Des recommandations qui sont loin d’être suivies par la majorité de la population, de grandes variations existant selon les classes sociales.

«L’activité physique est socialement distribuée: la probabilité que les personnes plus favorisées (niveau d’éducation, revenus et statut professionnel plus élevés) soient plus régulièrement physiquement actives et moins confrontées à des problèmes de santé associés aux styles de vie inactifs que leurs pairs moins favorisés est évidente», peut-on lire dans le document de synthèse du séminaire sur les inégalités sociales de santé organisé par l’Observatoire de la santé du Hainaut, en 2019.

 «Les entreprises sont prêtes à inscrire leurs employés aux 20 km de Bruxelles et à investir là-dedans, mais pas dans le sport axé prévention et santé.»

Christophe Dohn, moniteur «Sport sur ordonnance»

En France, l’Observatoire des inégalités pointe que, parmi les catégories les plus aisées, 75% des répondants à cette enquête[1] ont pratiqué un sport au cours des douze mois précédents, contre 58% dans la catégorie «bas revenus». Il existe des écarts similaires si on regarde le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle. «L’attention à la prévention en matière de santé et les normes sociales de corpulence diffèrent selon les milieux sociaux et déterminent en partie la pratique sportive. En outre, ceux qui exercent un métier pénible n’éprouvent pas forcément nécessaire d’ajouter encore de la dépense d’énergie à la fatigue musculaire qu’ils éprouvent au travail», d’après l’Observatoire des inégalités[2].

Le fait que l’accès à une pratique sportive ne soit pas remboursé par la mutuelle reste par ailleurs un obstacle important, note Sarah Lambotte. C’est pourquoi l’accessibilité financière est une des valeurs cardinales de Sport sur ordonnance. À Louvain-la-Neuve par exemple, la séance revient à cinq euros. Dans certains cas, c’est tout simplement trop. «Pour nos patients les plus précaires, faire du sport n’est pas la priorité, car ils ont d’autres stress qui leur prennent tout leur temps et leur espace mental. Bien sûr, certaines personnes aisées ne pratiquent aucun sport. Mais au moins, elles ont les ressources financières pour se payer l’inscription, le matériel, les déplacements.»

Le directeur de l’asbl Sport sur ordonnance est favorable à ce que ces séances soient reconnues par l’Inami et remboursées au même titre qu’un médicament. «La littérature scientifique le montre: investir dans la prévention coûte beaucoup moins cher à la collectivité que les traitements curatifs. En Belgique, on a la chance d’avoir un système de santé performant, mais dans lequel la prévention est sous-estimée.» La gratuité du sport semble indispensable pour permettre aux personnes défavorisées de bénéficier de ses bienfaits, d’autant qu’elles sont les plus touchées par les maladies chroniques.

Revaloriser le sport santé

Aux inégalités sociales s’ajoutent les inégalités territoriales. «On veut rendre le programme accessible géographiquement. C’est pourquoi on travaille avec des structures locales. Si on vous dit d’aller faire du sport à 30 minutes de chez vous, vous n’irez pas quand il pleut. Si c’est à cinq minutes, c’est différent», estime Christophe Renard. L’inaccessibilité géographique de l’offre sportive et le manque de transports en commun aux heures de début et de fin de séance ne sont en effet pas de nature à encourager une pratique régulière et pérenne.

Sarah Lambotte pointe encore un autre frein, observé dans sa pratique médicale: le facteur culturel. «Parfois, quand je reçois des patientes africaines et que je leur parle de se soigner par le sport, je vois que ce n’est pas quelque chose qui est culturellement ancré. Idem pour mes patientes originaires du Maghreb: souvent, elles me sourient et me disent ‘On faisait ça à l’école primaire’. Comme s’il n’était plus du tout question de sport en tant qu’adulte, car la priorité est d’élever les enfants, s’occuper de la maison, etc.»

Le fait de ne pas se sentir appartenir à une catégorie sociale pour qui faire du sport va de soi joue également. La généraliste note que la culture du sport diffère du milieu social dont on est issu. «J’ai toujours été sportive parce que depuis toute petite, je vois mes parents faire du sport. Tous les enfants en font à l’école, mais ils n’aiment pas forcément ça, surtout s’ils n’ont jamais vu quelqu’un dans leur entourage en faire.» Comme le note l’Observatoire de la santé du Hainaut, «les enfants dont les parents sont actifs auraient six fois plus de probabilité de l’être comparativement à ceux dont les deux parents ne pratiquent pas ou peu».

En Belgique, on a la chance d’avoir un système de santé performant, mais dans lequel la prévention est sous-estimée.»

Christophe Renard, directeur de Sport sur ordonnance.

«Il faut revaloriser le sport afin d’instaurer une culture de l’activité physique, un peu comme en Suisse ou dans les pays nordiques», recommande Christophe Renard, directeur de l’asbl Sport sur ordonnance. «Chez nous, c’est le sport compétition qui est valorisé. Les entreprises sont prêtes à inscrire leurs employés aux 20 km de Bruxelles et à investir là-dedans, mais pas dans le sport axé prévention et santé», regrette Christophe Dohn, moniteur à Louvain-la-Neuve.

Dans son cabinet, Sarah Lambotte doit quant à elle rassurer ses patients qui ont peur de ne pas être à la hauteur: «Ils ne sont globalement pas très preneurs des séances de sport, car ils pensent qu’ils ne seront pas capables de suivre le cours collectif. Pour les gens qui n’ont pas l’habitude d’avoir une activité physique régulière, psychologiquement, c’est un grand pas à franchir.»

Christophe Dohn dresse le même constat: «Au départ, on faisait des séances d’info et de test de condition physique avant de commencer le programme. On les a abandonnées, car ça décourageait les gens: quand on leur disait qu’ils allaient faire de l’endurance, des squats, des fentes et du gainage, ils prenaient peur. Maintenant, on les invite à pratiquer tout de suite. Et ça marche puisque dès la fin de la première session, ils s’inscrivent, car ils voient que c’est tout à fait faisable et accessible.»

L’inactivité de certaines personnes ne peut donc être réduite à de la paresse ou à un manque de motivation. Ce sont bien des causes structurelles qui les empêchent de pratiquer une activité physique régulière bonne pour leur santé. Et c’est par conséquent sur elles qu’il faut travailler pour espérer un jour atteindre la ligne d’arrivée du sport pour toutes et tous.

[1] «Baromètre national des pratiques sportives 2020», Rapports d’étude n°2021/03, Injep, mars 2021.

[2] «Activités sportives: des pratiques inégales», Observatoire des inégalités, février 2022.

 

Sang-Sang Wu

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