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"Soins à domicile et centres de jour : ouvrir la reconversion de la psychiatrie sur l'action sociale "

18-06-2001 Alter Échos n° 100

En mars 2001, la ministre Aelvoet a finalisé une note politique sur la santé mentale, « Le cadet de mes soucis? »1. Elle s’inscrit dans la suite des décisions de reconversion delits psychiatriques hospitaliers de De Galan et Colla fin 98. Il s’agissait d’une part de créer une capacité plus grande de prise en charge de patients en dehors des hôpitaux, etd’autre part de concentrer une partie des lits hospitaliers sur des soins plus spécialisés, comme la psychiatrie infantile, etc.
« Sur le premier axe, explique Bob Cools, conseiller de la ministre de la Santé Magda Aelvoet2, l’acteur principal sur lequel on peut s’appuyer, ce sont les habitations protégées(HP), créées par la première vague de reconversions, au début des années 90 (voir encadrés ci-dessous). Notre volonté est d’augmenter pour les HPleurs possibilités de réhabilitation et de réintégration, et d’augmenter la dimension communautaire de leur action. »
Alter Échos – Par quoi cela se traduit-il?
Bob Cools – Déjà l’an dernier, nous avons décidé que 20% de l’ensemble des lits HP pouvaient être transformés en appartements individuels où lemême type de soins est proposé. Ces appartements ne doivent plus être collectifs.
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Quelques étapes de la modernisation de la psychiatrie
C’est par une série d’arrêtés royaux adoptés entre 1974 et 1976 que la Belgique embraie le mouvement de modernisation de la psychiatrie qui traverse le monde occidentaldepuis le début des années 60 :
> limitation des durées d’hospitalisation, prévention de la chronicisation des patients, médicalisation de la psychiatrie hospitalière,
> apparition de la prise en charge coordonnée, intégrée et communautaire,
> diversification des types de services et de prises en charge,
> amélioration du statut de malade mental.
L’offre hospitalière est dès lors programmée et répartie en « lits aigus » et « lits chroniques ».
En 1990, 19 nouveaux arrêtés sont pris dans une optique de réforme de la psychiatrie hospitalière. Deux nouveaux types d’institutions sont créés pour lespatients chroniques, liées à la fermeture sur une base volontaire de 6.000 lits hospitaliers :
> les maisons de soins psychiatriques destinées à des patients stabilisés et dépendants,
> et les habitations protégées, qui se différencient en général nettement du milieu hospitalier, destinées à des patients pour lesquels sontenvisagées une revalidation et une réinsertion sociale.
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Des soins psychiatriques à domicile
Et cette année, nous avons un budget de 120 à 130 millions pour développer des initiatives de soins psychiatriques à domicile et d’autres alternatives. Nous sommesrepartis des propositions déjà élaborées par le CNEH3, mais ils proposent plusieurs modèles pour les mettre en œuvre. Nous en avons choisi un, qui sort de laperspective où les hôpitaux eux-mêmes développent directement leurs services au domicile des patients. Donc nous avons pris le parti de repartir des HP, qui sontdéjà des formules éprouvées de coopération entre des services hospitaliers et des services ambulatoires.
AE – Pratiquement, cela se passe comment?
BC – Nous proposons aux HP (et donc à travers elles aux services qui les ont lancées), de créer des centres de soins psychiatriques à domicile en collaboration avecles services de soins à domicile qui existent déjà au niveau régional. Donc dans une logique de complémentarité plutôt que de concurrence. Nous avonsun budget de 100 millions : ce n’est évidemment pas assez pour couvrir l’ensemble des besoins, c’est pourquoi nous allons commencer avec des projets pilotes. Un appel a étéouvert il y a quelques semaines. Une évaluation sera faite pour définir dans deux ou trois ans si ce type de services doit être rendu structurel.
Des centres de jour pour repenser le rapport à l’activité et à la société
AE – Dans un avis qui date de février, le CNEH a parlé d’ »activation » des soins. C’est l’optique que vous avez prise?
BC – L’avis du CNEH sur l’activation est très global et peu opérationnel. Leur idée est simplement qu’avec des patients chroniques, il y a un moment où il fautarrêter de vouloir les guérir. Donc aller vers de nouvelles structures et de nouvelles pratiques. Pour nous, ça veut surtout dire qu’il faut arriver à proposer aux patientsles activités qu’ils savent faire, au lieu de tout focaliser sur leur réinsertion dans le travail régulier. Il y a par exemple un important besoin de centres de jour.
AE – Les HP ont déjà la possibilité d’organiser des activités de jour pour leurs patients.
BC – Oui, mais il n’y avait pas encore de budget qui le leur permettait. Nous avons maintenant un budget de 77 millions qui va permettre de développer leurs initiatives. De plus, nousvoulons faire ça en trouvant une articulation avec les compétences emploi des régions. Nous sommes en train de prendre des contacts dans ce sens. En Flandre, le souhait est queles werkwinkels (les maisons de l’emploi locales) puissent aider les patients à trouver des solutions qui conviennent à chaque cas particulier. On proposera aux HP de travailler avec lemême type de collaborations que dans le cas des soins à domicile.
AE – Vous êtes dans le même calendrier que pour les soins à domicile?
BC – Non, nous sommes seulement en train de traiter les données d’une enquête sur les initiatives existantes. Nous voulons en particulier en tirer des critèresd’agrément. Et nous réfléchissons à l’organisation de la suite.
AE – En temes de personnel, comment cela se passe-t-il : c’est le personnel des hôpitaux qui est employé dans les nouvelles structures?
BC – C’est une possibilité. Nous n’avons pas d’exigences à ce sujet. Les nouveaux services qui sont créés ont toute liberté pour trouver leur personnel.
AE – Vous prévoyez quelque chose pour leur formation?
BC – Nous préparons des initiatives en matière de formation des professionnels de la psychiatrie. Cela relève de l’amélioration de la qualité des soins, quenous avons inscrite comme un des axes de notre politique.
Réseaux, circuits et référents : où en est-on après deux ans?
AE – Comment parvenez-vous à articuler ces nouvelles impulsions avec les compétences régionales, puisque ce sont elles qui organisent la santé mentale?
BC – Effectivement cela nécessite de la prudence. Une partie des arrêtés de Colla et De Galan a été annulée par la Cour d’arbitrage : ces textesexigeaient que les centres de santé mentale participent à des circuits de soins et des réseaux4 avec les hôpitaux, les HP, etc. Nous avons réécrit que laparticipation des centres est volontaire. Et nous allons continuer à travailler, en concertation avec les trois régions, dans c
ette logique des arrêtés De Galan etColla.
AE – Un autre élément de ces arrêtés était la création par les hôpitaux de fonctions de conseillers/référents individuels quidevaient préparer les entrées et les sorties des patients. Que sont devenus ces projets pilotes?
BC – Nous venons d’en recevoir l’évaluation finale. Ce sont surtout les hôpitaux généraux qui ont créé ces postes, et ils sont surtoutintéressants pour les patients les plus âgés. Nous allons cependant modifier l’approche : il faut que le suivi individuel soit également ancré dans les servicessociaux extérieurs aux hôpitaux.
De prochains chantiers?
AE – Les HP, notamment, posent parfois des problèmes d’accessibilité financière pour les patients qui ont les plus bas revenus. Il faut payer un loyer, des soins, etc.Où en êtes-vous sur cette question?
BC – Le problème se pose toujours, mais surtout dans les Maisons de soins psychiatriques. Une partie de la solution vient de l’Inami avec la toute nouvelle mesure du ministre VandenBroucke sur la facture maximale annuelle en soins de santé. Mais nous étudions des solutions complémentaires.
AE – Après celles de 90 et de 99, est-ce que vous pensez déjà à une troisième vague de reconversions?
BC – C’est un peu tôt mais on sait déjà qu’il y a des besoins. En Wallonie p.ex. il manque de lits HP. Nous travaillons d’abord sur la mise en place des mesuresdéjà décidées. Notre objectif général est d’impulser un tournant : que les services qui relèvünt de la santé travaillent plussystématiquement avec ceux de l’action sociale, avec les services qui accompagnent les délinquants, etc. Par exemple, pour les enfants, la logique n’est pas seulement de concentrer plusde moyens sur les lits spécialisés en hôpital (dits lits K), mais aussi p.ex. que les services de santé proposent aux services de l’aide à la jeunesse une expertisepsychiatrique qui leur permette de mieux prendre en charge les enfants qui souffrent de problèmes de santé mentale.
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Les habitations protégées, au croisement de la psychiatrie, du logement supervisé et de la resocialisation
Les premières HP étaient déjà apparues à la fin des années 80. À la suite de plusieurs mois de tractations entre les réseaux hospitaliers, lesfédérations de la santé mentale et le ministre Busquin, la définition définitive des HP s’inspirera directement de ces expériences pionnières : »L’hébergement ou l’accompagnement de personnes qui ne nécessitent pas un traitement continu en hôpital et qui, pour des raisons psychiatriques, doivent être aidées,dans leur milieu de vie et de logement, pour l’acquisition d’aptitudes sociales et pour lesquelles des activités de jour adaptées doivent être organisées. Le séjourdans une HP est justifié aussi longtemps que la personne concernée ne peut pas être totalement réintégrée dans la vie sociale. »
Le modèle
Une série de critères d’agrément sont énumérés.
> L’HP doit être architecturalement constituée comme une habitation classique (chambres individuelles, pièces de séjour, etc.)
> Un site d’HP doit accueillir entre 4 et 10 personnes,
> et doit être localisé en dehors du site d’un hôpital.
> Le personnel doit être accessible en permanence et son organisation doit lui permettre de répondre à des situations d’urgence.
> Le service doit viser la resocialisation et la réintégration.
> Un dossier individuel doit être tenu par « habitant ».
> Le personnel comprend un psychiatre ou un neuropsychiatre, et un professionnel d’une discipline psychosociale par huit habitants.
> Un contrat individuel et un règlement doivent stipuler le prix demandé à l’usager ainsi que les modalités d’entrée et de sortie. Le résidant estd’ailleurs le plus souvent domicilié dans la maison de l’HP.
L’HP va donc se développer rapidement en suivant ce modèle, estompant en partie la variété des types de HP qui existaient avant 1990. La programmation des HPprévoit d’atteindre 0,4 lits pour 1.000 habitants. C’est la Flandre qui a le plus vite développé ces services, puisqu’en 1993, elle atteignait 96% des lits programmés,contre 56% en Wallonie. C’est que le nombre de lits psychiatriques hospitaliers par habitant étant nettement plus élevé en Flandre, les reconversions ont été plusmassives. Fin 98, on compte 3.047 lits HP alors que 4.057 sont programmés.
Les limites
Plusieurs problèmes ont été rencontrés au cours du développement des HP.
> Une différenciation entre les HP issues des hôpitaux et celles issues de l’ambulatoire, les praticiens de ces deux « mondes » ayant une vision différente de l’autonomie dupatient.
> La lourdeur de l’aspect immobilier (achat, location, rénovation de logements) est un obstacle au lancement d’initiatives d’HP par des services de petite taille ou qui ont peu depatrimoine.
> L’imposition d’un aspect communautaire dans l’HP semble pour certains patients un obstacle quand leur réinsertion dans un logement individuel se présente comme envisageablerapidement après la sortie de l’hôpital.
> L’absence de subvention des frais de fonctionnement limite les possibilités d’activités de jour, qui à leur tour limitent les possibilités de préparer lasortie des résidants vers une solution de vie plus autonome, et notamment sur le plan de leur réinsertion sociale ou professionnelle.
> L’élargissement du public à des personnes malades mentales n’ayant jamais été hospitalisées, voire à des personnes étant simplementsocioéconomiquement fragilisées (ex-détenus, handicapés, sans-abri, etc.) fait glisser les HP d’une position de sas posthospitalisation à une autre, de remplissagedu vide relatif de services d’insertion par le logement.
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1 Http://www.vandenbroucke.fgov.be, voir dans la liste des notes politiques. Une édition papier a aussi été assurée par la cabinet Aelvoet.
2 Cabinet : avenue des Arts 7 à 1210 Bruxelles, tél. : 02 220 20 11, fax : 02 220 20 67.
3 CNEH : Conseil national des établissements hospitaliers, principale instance de concertation au niveau fédéral pour tout ce qui relève de l’orientation, del’organisation et de la programmation des services de soins.
4 Réseau : c’est un ensemble de services, hospitaliers et autres, qui entrent dans des « rapports fonctionnels, durables et formels pour organiser ensemble un ou plusieurs circuits de soins ».Circuit de soins : c’est un ensemble de « programmes de soins » accessibles à un groupe-cible déterminé. Public-cible : outre les patients chroniques et non chroniques, ondistingue des catégories plus spécifiques comme les mineurs, les personnes âgées, les toxicomanes, etc. A terme, chaque réseau doit offrir un ou plusieurs circuitsde soins destinés à un ou plusieurs publics-cibles, et y impliquer les services qui existent à leur attent
ion mais qui ne relèvent pas du champ de la psychiatrie.

Thomas Lemaigre

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