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Regard critique · Justice sociale

Social

Social et santé mentale : décidément indissociables

Comment aborder les difficultés psychiques dans le champ du social ? La Fédération des centres de service social (FCSS) a organisé un séminaire sur lesrelations entre travail social et santé mentale.

27-04-2010 Alter Échos n° 293

Comment aborder les difficultés psychiques dans le champ du social ? Le 30 mars 2010, la Fédération des centres de service social (FCSS)1 organisait unséminaire sur les relations entre travail social et santé mentale.

Ce n’est pas un scoop, entre les professionnels de l’action sociale et ceux de la santé mentale, les relations ne sont pas toujours simples. Question, entre autres, de rythmes et decultures de travail différents. Pourtant depuis quelques années, les travailleurs sociaux ont le sentiment que les usagers sont de plus en plus touchés par des problèmesde santé mentale. Face à cela, ils se sentent démunis, en manque d’outils et les collaborations avec les services de santé mentale sont souvent insatisfaisantes.

S’appuyant sur la Méthode d’analyse en groupe2, la FCSS a mené un travail d’intervision avec une quinzaine de travailleurs issus de services sociauxgénéralistes wallons et bruxellois. Le 30 mars dernier, une demi-journée de séminaire clôturait ce travail. L’objectif : partager les analyses produites avec lesecteur social élargi et avec celui de la santé mentale.

Ce travail a remis sur la table les questions – aussi classiques que tenaces – des limites du travail social, de son cadre et son mandat, ou encore des obstacles au travail enréseau. Il a surtout révélé une peur des travailleurs sociaux face à des comportements qu’ils ne décodent pas facilement, qui les mettent mal àl’aise, voire qu’ils considèrent comme potentiellement violents. Comment réagir face à une personne qui délire ? Peut-on, doit-on répondre à une demandesi elle n’a pas de sens ? Les travailleurs doivent-ils être outillés pour faire un diagnostic de l’état de santé mentale des usagers ? Si oui, que faire ensuitede ce diagnostic ? Que faire en cas de déni de ses problèmes de santé mentale ?

Dans ce type de situations, les travailleurs sociaux ressentent un sentiment d’urgence, qui ne leur semble ni reconnu ni entendu par le secteur de la santé mentale qui travaille dans desdélais moins courts. Mais cette urgence concerne-t-elle réellement le bénéficiaire (sa demande, son état) ou le travailleur social lui-même ? Lestravailleurs sociaux déplorent le fait qu’il n’existe pas de cellule d’intervention d’urgence de santé mentale qui pourrait les aider à se tirer d’un mauvais pas.

Mais finalement, quelle est l’urgence la plus urgente ? Les problèmes sociaux ou les aspects santé mentale ? « Les services sociaux pensent qu’il est difficilede travailler les problèmes sociaux des usagers tant que l’aspect santé mentale n’est pas pris en charge et stabilisé. De leur côté, les centres de santémentale pensent qu’il faut d’abord traiter l’urgence sociale avant la santé mentale », souligne le rapport issu des journées d’intervision. D’où cette impression d’unéternel ping-pong entre le social et le psy.

L’œuf ou la poule ?

Ce ping-pong renvoie au paradoxe de l’œuf et de la poule. Le rapport de la FCSS se réfère à un ouvrage de Jean Furtos3, psychiatre français etdirecteur de l’Observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité : la question est de savoir si la perte des objets sociaux concrets (emploi, argent,logement…) est la cause ou la conséquence de maladies ou de souffrances psychiques. L’auteur ajoute que si les syndromes psychiatriques apparaissent souvent sur les lieux du social,inversement, les signes d’un manque d’objets sociaux émergent sur le terrain du soin. Il y a bel et bien une corrélation entre précarité sociale et précaritépsychique. Et les usagers sont souvent à la frontière entre différents champs d’action.

Un nouveau décret pour les services de santé mentale en Région wallonne

Un nouveau décret, d’application depuis janvier 20104, régit désormais les services de santé mentale (SSM) en Région wallonne. L’ambitionpoursuivie : accroître l’accessibilité à des soins de santé mentale ambulatoires de qualité et donner aux services les moyens d’y arriver. Quelqueséléments peuvent être épinglés5 :
– la place centrale de l’usager au centre du travail des SSM ;
– le développement du travail en réseau des SSM notamment par le biais de conventions avec leurs partenaires ;
– l’accent sur l’accessibilité au service, que ce soit en termes horaires, financiers et d’accueil ;
– l’instauration du PSSM, Projet de service de santé mentale : les SSM vont être amenés à décrire et préciser leurs objectifs, priorités,activités et mode de fonctionnement et à faire le point régulièrement sur son évolution ;
– un agrément à durée indéterminée sur base du PSSM ;
– la création d’un Centre de référence en santé mentale (CRSM), avec des missions de concertation transrégionale et transsectorielle, d’observatoire des pratiques,de recherche et d’information et d’appui des acteurs du secteur.

Pas de réponse adéquate pour certains usagers

Certains usagers échappent aux mailles du filet, tant du côté social que de la santé mentale. C’est le cas des grands précarisés : « Il n’y apas de demande thérapeutique, il n’y a pas non plus de demande sociale », explique Céline Nieuwenhuis, de la FCSS. « Ces personnes éveillent souvent le rejet tant dela part des travailleurs sociaux que de ceux de la santé mentale. Certains en viennent à réaliser des actes fictifs pour terminer la relation. »

Si c’est bien la mission de l’asbl Smes-B de s’occuper de la problématique de l’intersection entre santé mentale et exclusion sociale, particulièrement pour le public dessans-abri, encore une fois, on ne traite pas dans l’urgence. « On ne travaille pas dans l’urgence, nous sommes des travailleurs de seconde ligne, expliquent Akès Nkweso et Oum-ChickDahou. Le délai est souvent d’une semaine entre la demande et une réponse, mais cela peut être plus rapide. On fait une différence entre crise et urgence. Pour nous, cen’est pas à nous de prendre en charge l’urgence psychiatrique, c’est le rôle des hôpitaux. »

Autre catégorie d’usagers : les primo-arrivants et personnes d’origine étrangère. Leurs comportements, quand ils paraissent « étranges »,relèvent-ils de problèmes psychologiques ou de différences culturelles mal interprétées ? Ces personnes peuvent-elles être soignées avec lescanaux classiques de la santé mentale ? Marie-Christine Drion, de l’asbl Accueil médico-psychologique à Charleroi : « En ce qui concerne les primo-arrivants,la clinique de l’exil à Namur fait un travail intéressant. Voici c
e qu’ils disent : « Les immigrés ne considèrent pas la psychologie comme une ressourcecompétente pour régler leurs problèmes et difficultés, personnels ou familiaux. La perception de la maladie mentale varie d’une culture à l’autre et donc lastigmatisation qui y est rattachée aussi. Il faut s’interroger sur les signifiants culturels de chacun ». » Et d’ajouter qu’il existe des outils qui permettent de réduire laconfusion possible entre altérité culturelle et étrangeté psychiatrique.

Dépsychiatriser et déprivatiser le social

À la question : y a-t-il une augmentation des problèmes psychiatriques, Gérald Deschietere, psychiatre à l’Unité de crise et d’urgence des cliniquesuniversitaires Saint-Luc répond : « C’est surtout qu’il y a de moins en moins de places dans les « asiles », donc les personnes qui ont des problèmespsychiatriques sont dans la ville. Il y a 20 ans, on était à 500 urgences psychiatriques par jour, aujourd’hui on est à 5 000. Mais ce n’est pas tant parce quela société va mal, c’est parce qu’on a changé notre paradigme, on est passé d’une psychiatrie hospitalière à ambulatoire. » Pourle psychiatre, il y a aussi une tendance à « psychiatriser le social » : « La psychiatrie veut rendre compte que tout problème de malheur dans lemonde a avoir avec un problème de neurotransmetteur. Là, les travailleurs sociaux ont un rôle immense à jouer : ne pas psychiatriser ce qui ne doit pasl’être. D’ailleurs, on hospitalise plus souvent pour des raisons sociales que psychiatriques. Quand l’environnement social est bon, on peut laisser la personne chez elle. Maisquand la personne n’a aucun lien, alors ce n’est pas possible. »

Derrière tout cela, l’enjeu est sans doute aussi de réussir à « déprivatiser la souffrance des individus », pour reprendre l’expression de DidierFassin6, cité dans le rapport de la FCSS. Le travail social aurait évolué depuis les années nonante : de moins en moins sociologique et de plus en pluspsychologique. Or derrière la souffrance psychique, il s’agit de ne pas oublier la violence des situations auxquelles les usagers sont confrontés.

Article mis à jour le 23 septembre 2010.

1. Fédération des centres de service social (FCSS) :
– adresse : rue Gheude, 49 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 223 37 74
– site : www.fcss.be

2. La Méthode d’analyse en groupe (MAG) permet, en impliquant directement les acteurs concernés, la production d’une analyse d’un phénomène social contemporain. Elleest particulièrement adaptée à l’étude des différents champs professionnels. Luc van Campenhoudt, Jean-Michel Chaumont, Abraham Franssen, La méthoded’analyse en groupe. Applications aux phénomènes sociaux, Paris, Dunod 2005.
3. Valérie Colin et Jean Frutos, La clinique psychosociale au regard de la souffrance psychique contemporaine, in Michel joubert et Claude Louzon (dir.), Répondre à lasouffrance sociale. La psychiatrie et l’action sociale en cause, Eres, 2005.
4. Décret du 3 avril 2009 relatif aux services de santé mentale et aux centres de référence en santé mentale, publié au Moniteur belge le 30 avril 2009.
5. Plus d’informations sur le site de l’Institut wallon pour la santé mentale : www.iwsm.be
6. Didier Fassin, Des maux indicibles. Sociologie des lieux d’écoute, Paris, la Découverte, 2004.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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