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Regard critique · Justice sociale

Service des tutelles : il est temps de passer à la vitesse supérieure

Cela fait cinq ans cette année que la loi tutelle est d’application en Belgique. Une avancée pour les Mena, certes, mais non exempte de dysfonctionnements etd’imprécisions.

11-12-2009 Alter Échos n° 285

Cela fait cinq ans cette année que la loi tutelle est d’application en Belgique. Une avancée pour les Mena, certes, mais non exempte de dysfonctionnements etd’imprécisions.

Souvenez-vous de cette petite fille congolaise de cinq ans renvoyée vers le Congo sans accompagnement et sans que personne ne l’accueille à son arrivéeà Kinshasa, ceci après deux mois de détention dans un centre fermé alors que sa maman l’attendait au Canada ! Malgré les rappels et la vigilance constante dedifférentes ONG et de diverses instances internationales, il aura fallu l’émotion provoquée dans l’opinion publique par l’expulsion de la jeune Tabitha pourqu’enfin, la Belgique adopte fin 2002, dans l’urgence, la loi sur la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés (dite loi Tabitha).

C’est donc depuis sa mise en application, le 1er mai 2004, que la « loi tutelle » permet au mineur non accompagné de se voir attribuer une personne deréférence, le tuteur, chargée de l’accompagner sur le plan social, de le représenter et de l’assister dans les procédures juridiques et administrativesrelatives à l’accès au territoire, au séjour et à l’éloignement. Un personnage central pour le Mena, qui l’assiste à chaque phase desprocédures et est présent à chacune de ses auditions.

À noter, un détail important : les Mena ressortissants d’un pays de l’Espace économique européen (EEE), selon la définition utiliséeactuellement, ne relèvent pas de la loi sur la tutelle et ne peuvent dès lors pas bénéficier de la protection spécifique accordée aux Mena et se voirattribuer un tuteur. Une situation dénoncée entre autres par la plate-forme Mineurs en exil qui regroupe une vingtaine d’associations et institutions travaillant soit directement,soit indirectement avec les mineurs étrangers non accompagnés.

À côté du volet juridico-administratif, le tuteur a également pour mission de prendre soin de la personne du mineur durant son séjour en Belgique. Ils’assure de son hébergement dans un centre, en famille ou via une formule de mise en autonomie. Il veille à ce que le mineur soit scolarisé et reçoive un soutienpsychologique et des soins médicaux appropriés. Le tuteur est aussi chargé de rechercher une solution durable dans l’intérêt du mineur et de rechercher lesmembres de sa famille. Il travaille sous la supervision du Service des tutelles (ST)1 et sous le contrôle du juge de paix. Il envoie un rapport au moins deux fois par an au ST et aujuge de paix, dans lequel il explique les démarches entreprises et où il émet des propositions de solution durable.

La mission du tuteur prend fin :

• lorsque le Mena a été mis en possession d’un titre de séjour à durée illimitée, à condition que le tuteur effectue lesdémarches requises pour que s’ouvre une tutelle au sens du Code civil ;
• lorsque le Mena est confié à la personne qui exerce l’autorité parentale ou la tutelle en vertu de sa loi nationale ;
• lorsque le Mena atteint l’âge de 18 ans ;
• en cas de décès, émancipation, mariage ou adoption du Mena ou lorsqu’il obtient la nationalité belge ou celle d’un pays de l’EEE ;
• lorsque le Mena est éloigné du territoire ;
• lorsque le Mena a disparu de son lieu d’accueil et que le tuteur est sans nouvelles de lui depuis quatre mois.

Le Service des tutelles

La loi tutelle crée un « Service des tutelles » qui est rattaché au SPF Justice. Ce service n’est donc pas lié au ministre de l’Intérieur. Ilassure l’organisation et le suivi de la tutelle. Il se charge notamment de désigner un tuteur au Mena en vue d’assurer sa représentation, de l’identifier, d’effectuerun test médical lorsqu’il existe un doute quant à sa minorité (cf. « Test osseux, test douteux« ), de coordonner les contacts avec lesautorités compétentes en matière d’asile ou en matière d’accueil ou d’hébergement.

Le tuteur est soit employé au sein d’une association, soit il exerce le rôle de tuteur à « titre privé », l’on dit alors « tuteurindépendant ». Dans ce dernier cas, pour chaque dossier, il reçoit une indemnité de 528 euros bruts, majorée des remboursements liés aux déplacementset frais administratifs… quelle que soit la durée de l’accompagnement ou la difficulté de celui-ci. Il peut aussi être bénévole. Ils sontaujourd’hui 233 tuteurs actifs (sur 408 agréés) à suivre plus de 1 500 mineurs sous tutelle simultanément. On compte environ douze signalements de Mena par jourouvrable et l’on serait déjà, selon Bernard Georis, directeur du Service des tutelles, à plus de 3 600 signalements2 pour cette année. Un afflux qui rend lesenregistrements plus longs, avec un Service des tutelles clairement en sous-effectif.

Le tuteur citoyen, un nouveau métier ?

Selon le Service des tutelles, le tuteur est avant tout « un citoyen soucieux, intéressé par la problématique des mineurs étrangers non accompagnés en Belgique etprêt à s’investir – de quelques heures par semaine à plusieurs jours suivant sa disponibilité – dans l’accompagnement de ces enfants ou adolescentsparfois venus du bout du monde. »

La loi tutelle ne précise pas critères (en termes de formation, d’expérience…) requis pour devenir tuteur. Il est uniquement précisé que le Service destutelles s’assure que le candidat a des connaissances suffisantes dans les matières sur lesquelles porte la formation et si le tuteur a les qualités humaines pour remplir cette mission.Les tuteurs présentent donc des profils très variés. Certains sont juristes, avocats, d’autres assistants sociaux, d’autres encore enseignants… Et puiscertains travaillent, d’autres font du volontariat, d’autres encore sont prépensionnés ou au chômage… La loi a voulu un accès large, démocratiqueà ce nouveau métier dont le moteur est de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant.

Peuvent être agréées comme tuteurs des personnes indépendantes ou des membres salariés d’une association. Le Service des tutelles peut en effet conclure desprotocoles d’accord avec les associations et les organismes publics qui sont actifs sur le terrain et qui prennent en charge l’accompagnement des Mena, en vue de l’agrément des membres de leurpersonnel comme candidats tuteurs. C’est par exemple le cas chez Exil5,
centre de santé mentale, situé à Bruxelles, qui possède une tutrice agrééequi suit vingt-cinq mineurs. Une structure qui a l’avantage de pouvoir proposer, outre l’aide individuelle, des activités diverses telles que groupe de parole, camps d’été et unprojet de parrainage des Mena.

Sources : « Le Service des tutelles au service de l’intérêt supérieur de l’enfant », in L’Observatoire, n°57/2008 et la partie «Tutelle » du site de la plate-forme Mineurs en exil.

Stats lacunaires et ligne téléphonique encombrée

Mais si la loi tutelle a constitué une avancée certaine dans la protection des Mena sur notre territoire, force est de constater que sur le terrain, son application pose de nombreuxproblèmes et que, de l’avis même de plusieurs tuteurs interrogés, le fonctionnement du Service des tutelles s’avère loin d’être optimal.Première embûche, les statistiques. Aucun rapport public n’existe au Service des tutelles (le seul accessible sur leur site, date de 2005 !). On nous répond querédiger des rapports n’est, pour l’instant, pas la priorité. Quant aux chiffres communiqués, à la demande, ils sont parcellaires et ne permettent pas une vued’ensemble de la situation des Mena sous tutelle dans notre pays. Un manque de vision et d’instruments de pilotage qui a poussé un groupe de travail à se mettre en placecette année autour de la collecte « des données Mena et autres mineurs étrangers ». Le groupe rassemble une série d’institutions et d’acteurs dusecteur dont le Service des tutelles. Quant à trouver une évaluation du travail accompli depuis cinq années au Service des tutelles, on n’en parle même pas. Uneévaluation interne devrait toutefois prochainement être menée, nous dit-on. Une recherche qualitative sur la tutelle vient quant à elle d’être confiée, via lefonds Fipi, à la plate-forme Mineurs en exil3. Résultats avant fin 2010.

Autre souci : la disponibilité du numéro d’urgence du Service des tutelles censé fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Dans la réalité, personnene décroche entre 22 h et 6 h du matin, tant pis donc pour les Mena à signaler durant ces heures, ils attendront… Et en journée, nous l’avons testé, la ligne esttrès souvent occupée, sans compter qu’il s’agit d’un 078, à tarif majoré.

Discrimination entre Mena

La manière dont la réglementation sur les tutelles est appliquée en Belgique fait qu’il existe encore aujourd’hui une grande inégalité au niveau del’accompagnement (en fonction du tuteur qui est attribué) entre les tuteurs privés et salariés, d’une part, mais aussi entre les tuteurs privés, d’autre part.L’investissement en temps, les connaissances et l’expérience du tuteur varient fortement, ce qui a pour effet d’avantager ou de désavantager le Mena concerné. On compteaujourd’hui seulement une dizaine de tuteurs salariés sur 233 tuteurs actifs4. Un chiffre que la plate-forme Mineurs en exil estime bien trop bas. « Nous plaidons pourune plus grande professionnalisation des tuteurs avec un salaire qui correspond, explique Anne-Françoise Beguin de la plate-forme. Pour ce faire, il faut que les fonds publics suivent. Etquand nous plaidons pour une plus grande professionnalisation, il ne s’agit pas pour nous de dire que les non-salariés sont moins compétents, mais vu les responsabilitésqui incombent au tuteur et la charge de travail, le système gagnerait à avoir davantage de tuteurs salariés. » À coté, la plate-forme revendiqued’augmenter la rémunération octroyée par dossier pris en charge par un tuteur « privé », afin de leur permettre de bénéficier d’unrevenu viable. « Corollairement, un travail législatif s’impose pour que le nombre de dossiers faisant changer le tuteur du statut de bénévole à celuid’indépendant, passe de deux à cinq par an. »

Pour Bernard Georis, directeur du Service des tutelles, être tuteur salarié d’une association ne signifie pas pour autant être plus compétent : « Nous avonsdes tuteurs indépendants très professionnels, d’autres moins, tout comme pour les salariés. » L’association « Aide & assistance aux Mena et àleurs tuteurs » (A&A), qui regroupe des tuteurs indépendants, estime de son côté qu’il est inutile de comparer ou d’opposer les tuteurs salariés auxautres : « En l’absence d’évaluation des uns et des autres, et vu le nombre réduit de salariés, il n’est guère possible de tirer des conclusions significatives deleurs prestations. »

Former plus et limiter le nombre de pupilles

Mais au-delà du mode d’exercice de la « profession » (bénévole, indépendant ou salarié), A&A et la Plate-forme se rejoignent sur un certainnombre de points, notamment en ce qui concerne le cadre de travail global des tuteurs. Pour la formation par exemple, tous les tuteurs que nous avons rencontrés l’ont pointé, lenombre d’heures est clairement insuffisant. « La formation actuelle est de ± 36 heures, c’est risible, s’indigne Claude Fonteyne, tuteur et membre d’A&A.Devenir moniteur de colonie de vacances exige déjà 80 heures de formation ! Il faut une réelle formation traitant de tous les aspects que la profession exige, droit desétrangers, ethnologie, psychologie spécifique aux Mena. Ce sont des jeunes qui ont une autre culture, qui ont un vécu traumatisant, des manifestations psychosociales etsomatiques spécifiques. »

À la plate-forme Mineurs en exil, la revendication d’une formation plus consistante est portée depuis 2004 déjà6. « Nous insistonségalement sur l’exigence d’une formation continue : la législation est complexe et évolue sans cesse, il faut pouvoir se tenir au courant, échanger les bonnespratiques, explique Anne-Françoise Beguin. Cette formation continue est aujourd’hui inexistante sauf pour les tuteurs qui le font sur une base volontaire. Par exemple, il seraitnécessaire de former les tuteurs à l’annexe 38 [NDLR un ordre de reconduire] systématiquement délivré par l’Office des étrangers aux mineurs nondemandeurs d’asile, mais qui ne constitue pas un document de séjour, ce qui entraîne de nombreuses questions chez les tuteurs. »

Augmenter les heures de formation, une revendication qui fait sourire le directeur du Service des tutelles qui ne semble pas recevoir les mêmes échos du terrain. « Quandj’en parle, ce sont à chaque fois les holas chez les tuteurs, qui ne veulent pas qu’on l’allonge. Le service formation du SPF Justice est déjà débordé.Organiser une formation pour plus de 200 tuteurs, ce n’est pas rien mais l’on pourrait peut-être chercher une piste du côté de l’IFA, l’Institut de formation del&rsq
uo;administration fédérale… » De son côté, la plate-forme estime que ce serait un point positif d’impliquer le terrain dans la formation continuedes tuteurs : « L’expérience de terrain, les cas concrets sont des outils pratiques qui peuvent aider à mettre à jour, de manière interactive, lesconnaissances pratiques et théoriques des tuteurs. »

Sus aux collectionneurs de Mena

Autre demande de la Plate-forme et d’A&A, la limitation du nombre de tutelles à vingt par tutrice ou tuteur. Le nombre de pupilles peut en effet varier actuellement de un àcinquante. La charge de travail moyenne par tutelle a été calculée par A&A à partir du comptage des heures que ses membres y consacrent. Il a étéestimé en moyenne à 10 heures par mois et par tutelle. Tenant compte que les heures de travail mensuel pour tout salarié sont de ± 160 heures par mois, pour un tuteurexerçant ses missions à temps plein, le nombre de tutelles ne devrait certainement pas, selon l’association, dépasser vingt pupilles. Pour certains tuteurs, on est bienau-delà avec, en toile de fond, deux questions que posent les associations : comment peut-on exercer une tutelle correcte avec autant de pupilles ? À quand une évaluation de cestuteurs « surbookés » ?

Évaluation, supervision, voilà encore deux sujets problématiques relevés lors de nos interviews. L’évaluation est normalement prévue une fois par anmais, en réalité, elle n’a lieu que pour les nouveaux tuteurs ou pour les tutelles problématiques, nous dit-on au Service des tutelles. Et encore… Rita Mivumbi,nouvelle tutrice (salariée) à l’association Exil à Bruxelles, témoigne : « je suis tutrice depuis maintenant six mois, j’ai vingt -cinq tutelles encharge, je n’ai encore reçu aucun coup de fil du Service des tutelles. Pas une fois, on ne m’a demandé comment je m’en sortais, si ça allait. Vous envoyez desdossiers sur lesquels vous n’avez jamais aucun retour. Vous prenez du temps à rédiger des rapports dont on se demande, à la limite, s’ils sont lus, ce n’est pastrès motivant. »

Des critiques que comprend Bernard Georis, mais qu’il attribue principalement au caractère relativement jeune du Service des tutelles. « Cinq années, c’estrelativement peu. Il a fallu tout doucement mettre les choses en place, coordonner les différents acteurs, conventionner. C’est seulement maintenant, après cinq ans defonctionnement et de premiers péchés de jeunesse, qu’on va pouvoir passer à la vitesse supérieure. » Un coup d’accélérateur que, poursûr, d’aucuns attendent avec impatience…

Cet article fait partie de notre dossier spécial Mena (publié en décembre 2009).
Voir l’ensemble du dossier
.

1. Service des tutelles, SPF Justice :
– adresse : place de Louvain, 4 à 1000 Bruxelles
– courriers : bd de Waterloo, 115 à 1000 Bruxelles
– tél. : 078 15 43 24 ou tél. : 02 542 70 83
– courriel : tutelles@just.fgov.be
2. Attention, car un même mineur peut être signalé plusieurs fois.
3. Plate-forme Mineurs en exil :
– rue du Marché aux Poulets, 30 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 210 94 91
– courriel : afb_sdj@droitdesjeunes.com
– site : www.mineursenexil.be
4. Trois chez Caritas, cinq chez RKV, deux chez Seso, deux mi-temps chez Aïcha qui vit actuellement ses dernières heures, et un chez Exil.
5. Exil :
– adresse : av. de la Couronne, 282 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 534 53 30
– courriel : exil.asbl@skynet.be
– contact parrainage : Anne Van Der Wielen
– tél. : 03 457 37 50
– site : www.exil.be
6. Les recommandations peuvent être consultées sur le site de la plate-forme : www.mineursenexil.be

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