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Rien à guérir: faire la lumière sur les thérapies de conversion en Belgique

«Rien à guérir» est un documentaire recueillant les récits et les témoignages de victimes de thérapies de conversion, une pratique dangereuse qui, au travers d’une intervention physique ou d’un conditionnement psychologique, vise à réprimer l’orientation sexuelle d’une personne. Rencontre avec l’un des réalisateurs du film, Axel Winkel, chargé de recherche pour Citoyenneté & Participation (CPCP asbl).

(c) Mathilde Mayen Wauters

Dan, Fabienne, Jean-Philippe, Mehdi ou Khadija ont été marqués à vie par une thérapie de conversion, une pratique inutile, illégitime et dangereuse qui a cherché à les «guérir» de leur homosexualité puisqu’elle part du principe erroné que les personnes LGBTQIA+ seraient «malades» et qu’il serait donc nécessaire de les changer. C’est en 2021, et pendant deux ans, qu’Axel Winkel s’est penché sur le sujet des thérapies de conversion, en recueillant les témoignages de victimes en Belgique.

«Quand j’ai commencé à m’attaquer au sujet en Belgique, il y n’y avait pas grand-chose. Il n’y avait pas de témoignages ni de données sur ces pratiques-là sur le territoire belge, sauf un rapport du CIAOSN (Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles) qui avait dressé une liste d’organisations susceptibles de proposer des thérapies de conversion sur le territoire belge. Le seul élément concret était un fait divers, celui du décès de Layla Achichi, jeune femme musulmane et lesbienne morte après une séance d’exorcisme en 2009 en région anversoise», raconte Axel Winkel.

À partir de là naîtra l’idée du documentaire dans lequel on part à la recherche de personnes ayant subi des thérapies de conversion en Belgique. Deux femmes, trois hommes qui racontent leur histoire. Des faits qui se déroulent entre 2002 et 2022, partout sur le territoire, de Bruxelles à Liège, en passant par Péruwelz ou Chapelle-lez-Herlaimont.

Certains ont même encore du mal à dire face caméra ce qu’ils ont traversé, souvent à cause de la difficulté de libérer la parole sur le sujet, parfois par peur de représailles.

«Si le film traite spécifiquement des thérapies de conversion, il évoque de manière plus générale une forme d’homophobie ou de transphobie qui existe toujours au sein de la société belge. Vu notre bon classement en matière de droits pour les personnes LGBTQIA+, on pourrait croire que ce type de pratiques ne peut plus exister sur le territoire belge. Malheureusement, elles existent toujours, tout comme les discriminations, les violences, parfois fortes, à l’égard de ces personnes», ajoute Axel Winkel. Dans le film, deux témoins préfèrent d’ailleurs rester anonymes. «Ils sont toujours menacés par leur environnement immédiat qui les recherche encore. Ce sont deux jeunes en danger. Aujourd’hui, y compris en Belgique, à cause de leur orientation sexuelle, on doit se rendre compte que des personnes se cachent, n’osent pas parler face caméra.»

Ces témoignages appuient aussi la diversité des pratiques de conversion: on y retrouve tout et n’importe quoi. Des séances d’exorcisme, des traitements médicamenteux, des aliments «magiques», des thérapies par la parole… «Il n’y a pas de profil type de pratique de thérapie de conversion. Cela se déroule dans tous les courants religieux. Cela se passe aussi auprès de professionnels de la santé, lesquels sont parfois orientés par des valeurs religieuses ou s’inscrivent dans de vieux diagnostics, de vieilles grilles de lecture par rapport à l’orientation ou l’identité sexuelle.» Deux témoignages racontent des situations de ce type avec des professionnels de santé.

Ces témoignages appuient aussi la diversité des pratiques de conversion: on y retrouve tout et n’importe quoi. Des séances d’exorcisme, des traitements médicamenteux, des aliments «magiques», des thérapies par la parole…

Ces thérapies peuvent prendre la forme de pressions psychiques ou de processus de conditionnement psychologique, souvent difficiles à détecter. «L’objectif n’est pas toujours annoncé. De même ces thérapies ne sont pas toujours formalisées ni structurées, précise Axel Winkel. C’est souvent plus subtil que cela: on va vous indiquer que l’homosexualité est un chemin vers la folie, on va vous faire lire un livre qui vous présente l’homosexualité comme une forme d’égoïsme, une incapacité à aimer, tandis que, dans le même temps, on va vous donner des petits conseils pour essayer de changer et tout cela répété par un certain nombre d’acteurs sur le long terme, ça vous enferme. Votre seule échappatoire est de tenter de vous ‘guérir’, de vous ‘changer’.»

Comme ces thérapies de conversion s’appuient beaucoup sur la culpabilité, les conséquences sont dramatiques pour les victimes qui peinent à s’en sortir et à se reconstruire. «La culpabilité est un point essentiel: leur orientation sexuelle est identifiée comme étant une maladie. C’est de leur propre faute, et si elles n’arrivent pas à changer – et comme ces thérapies ne servent à rien, sont inefficaces – leur faute est d’autant plus grande. La culpabilisation est donc énorme dans ces processus-là, avec des conséquences dramatiques comme dans le cas de Mehdi, par exemple, qui a fait quatre tentatives de suicide. Différents rapports d’analyse des pratiques de thérapie de conversion relèvent que celles-ci peuvent entraîner un risque accru de dépression ou de pensées suicidaires.»

Le film évoque aussi le vote à la Chambre en juillet dernier de la loi interdisant les pratiques de conversion sur le territoire belge. «La loi intègre la notion de pression psychique. C’est essentiel parce que celle-ci est vraiment au cœur de toutes ces pratiques, relève Axel Winkel. Ces thérapies ne se passent pas dans un contexte neutre, mais dans un contexte social, culturel, relationnel qui va parfois pousser, soutenir ces pratiques de conversion – la personne qui réalise ces pratiques est prise dans ce contexte, mais la victime aussi. Un contexte homophobe, transphobe qui va être intériorisé et qui va les amener elle-même à se guérir.»

Quant aux personnes qui pratiquent ces thérapies, elles peuvent être désormais condamnées, entre un mois et deux ans de prison. Le fait d’inciter aux pratiques de conversion ou d’en faire la publicité est également punissable. Une avancée législative qui implique également une reconnaissance du statut de victimes pour ces personnes. Avec un message clair: en matière d’orientation sexuelle ou d’identité de genre, il n’y a rien à guérir.

 

Rien à guérir: récits et témoignages de «thérapies de conversion», un documentaire réalisé par le CPCP, Axel Winkel, Vincent Blairon, Bertrand Vandeloise et Basile Beauvois, avec les illustrations de Mathilde Mayen Wauters. À voir prochainement sur la RTBF. 
Pour plus d’informations: https://www.cpcp.be/actualites/documentaire-therapies-de-conversion/

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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