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Régionalisation du bail : inventaire à la Prévert ou jour sans pain ?

On l’oublie parfois mais le projet de régionalisation du bail à loyer est toujours à l’ordre du jour. Il fait partie du « premier paquet » de mesures de laréforme institutionnelle. Tant sur le fond que sur la forme, cette proposition n’est pas sans poser question.

14-11-2008 Alter Échos n° 262

On l’oublie parfois mais le projet de régionalisation du bail à loyer est toujours à l’ordre du jour. Il fait partie du « premier paquet » de mesures de laréforme institutionnelle. Tant sur le fond que sur la forme, cette proposition n’est pas sans poser question.

Le 5 mars 2008, majorité et opposition démocratiques déposaient au Sénat une proposition de loi spéciale constituant le premier paquet de mesures de laréforme institutionnelle. Ce « paquet » concerne diverses matières telles que l’économie sociale, les implantations commerciales, la réforme du Fondsde participation, l’agriculture, la sécurité routière, l’accueil de l’enfance ou encore le logement.

C’est ainsi que le texte octroie aux Régions la compétence pour « les règles particulières concernant la location des biens destinés àl’habitation ». Toutefois, elle prend la forme d’une longue liste limitative, comme si l’on souhaitait laisser quelque chose au fédéral (cf. Encadré 1). Dansl’exposé des motifs, les auteurs justifient leur choix de la notion de « biens destinés à l’habitation » : « Il n’est pas fait référenceuniquement aux contrats de bail relatifs à la résidence principale du preneur mais également, par exemple, à la location d’habitations et de chambres d’étudiants età la location de résidences secondaires et d’habitations de vacances. » Et de préciser : « Tout comme dans la loi du 20 février 1991 relativeà la résidence principale du preneur, aucune distinction n’est faite entre les biens meubles ou immeubles. »

Cette proposition s’inscrit dans la logique du transfert antérieur des compétences en matière de baux d’habitations sociales, et de conditions élémentaires desécurité, de salubrité et d’habitabilité. Mais ce n’est pas le seul argument en faveur de ce transfert. Dans le cadre de l’homogénéisation et de lacohérence des compétences, les auteurs du texte considèrent « qu’une politique du logement cohérente peut être mieux réalisée par lerenforcement du niveau régional parce que la problématique du logement est étroitement liée à un nombre de compétences régionales, telles quel’aménagement du territoire, la politique foncière et du sol et la revalorisation urbaine et rurale. »

Opposition des propriétaires

L’idée de régionaliser le bail était déjà dans l’air au cours de l’été 2007. Sentant le vent venir, le Syndicat national des propriétaires(SNP)1 avait fait part de son opposition dans un communiqué du 14 août 2007 : « La matière du bail ne se résume pas à celle du logement et,encore moins, à celle du bail de résidence principale. Les baux de résidence secondaire – immeubles de vacances, de « pied-à-terre », etc. y compris toutes leslocations saisonnières, les gîtes ruraux, les chambres d’hôte, les kots – ainsi que les baux commerciaux, les baux de bureaux, de surfaces industrielles oud’ateliers… sont légion et l’argument de la cohérence n’est pas valable pour eux. »

Selon le SNP, cette régionalisation est aberrante. Il estiment déjà suffisamment compliqué de suivre une seule législation, tant pour les bailleurs que leslocataires : « Régionaliser le droit du bail reviendrait dans de nombreux cas à contraindre les propriétaires à connaître les différenteslégislations concernant ces différents types de baux, ce qui devient une gymnastique rendant presque impossible la gestion privée des locations.

Même les locataires ne seraient pas épargnés, qui pourraient ainsi devoir changer de régime légal au fil des locations s’ils changent deRégion. » Dès lors, le SNP doute que cette régionalisation favorise la sérénité de la relation locative. Et ce, d’autant plus quel’activité locative ne connaît pas de frontière : des Flamands sont propriétaires d’immeubles à Bruxelles, des bailleurs louent aussi à la côte oudans les Ardennes.
Mais au delà de ces aspects pragmatiques, le SNP redoute aussi que l’une ou l’autre Région – Bruxelles ou la Région wallonne – ne décide d’encadrer lesloyers.

Opportunités et dangers

Pour Nicolas Bernard, professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis2, une régionalisation offrirait pas mal d’opportunités en matière de droit aulogement mais elle n’est pas sans danger.
« Il faut qu’elle se fasse, estime-t-il, parce qu’il y a de réelles opportunités. Et puis, tant qu’existera la possibilité de régionaliser, lefédéral ne va plus rien faire dans cette matière. » Il estime aussi que ce transfert de compétences coule de source. Il ne redoute pas l’existence de troislégislations différentes sur le bail privé, vu que cela existe déjà pour le bail social.
De plus, il voit dans la régionalisation une occasion de mettre de l’ordre dans les règles fédérales et régionales de qualité du logement. « Pourl’instant, deux batteries de standards coexistent, constate-t-il : les normes de droit civil sur les baux à loyer et les règles administratives de qualité des logements. Lesjuges appliquent la législation fédérale tandis que l’administration applique la législation régionale. »

Néanmoins, Nicolas Bernard insiste sur la nécessité de conserver le caractère consensualiste de la loi de 1991 sur les baux à loyer qui a été lefruit d’un patient travail de concertation. « Si la Région se saisit de la loi sur les baux, le risque est qu’elle soit trop radicale et les bailleurs risquent de se retirer dumarché. De toute façon, s’il y a transfert, il n’y aura pas de vide juridique, la loi de 1991 sera toujours d’application. Il faudrait sans doute prendre en compte un laps de temps dedeux ans avant de passer à une nouvelle loi – du lancement de la procédure à son application. »

Améliorations à apporter

Et lorsque cette régionalisation aura abouti ? « Il faudrait alors en profiter pour améliorer la loi sur le bail », déclare Nicolas Bernard,soit :
• revoir les dispositions adoptées en 2007 en matière de garantie locative et d’affichage du loyer ;
• rendre effectif le plafonnement des loyers en cas de succession de baux de courte durée – en changeant de locataire ;
• sanctionner le non-enregistrement du bail de manière adéquate : « La loi actuelle est une incongruité, juge-t-il. Elle consiste en la résiliationpossible du contrat par le preneur sans préavis ni indemnité. » De plus, elle ne s’applique pas aux baux de courte dur
ée ;
• soutenir le bail-rénovation qui prévoit que le bailleur puisse mettre en location un logement qui ne correspond pas aux normes de qualité, à condition que lelocataire le remette en état à ses frais mais bénéficie d’avantages en retour, telle une réduction du loyer.
• Il suggère encore d’instaurer un bail type dans la lignée du travail accompli par l’expérience pilote des commissions paritaires locatives (CPL). Il insistesur la nécessaire lisibilité d’un tel document pour être compréhensible par tous. Le bail type ne devra donc pas être exhaustif. Il faut aussi laisser desespaces de négociation, par exemple en instaurant un bail officiel à puces ou à choix multiples. Les parties pourront alors conserver leur autonomie, et en exclure deséléments.

Pour Nicolas Bernard, le bail devra garder un caractère équilibré afin que ce contrat officiel recueille l’assentiment le plus large, en vue de favoriser sa diffusion.Dans le même esprit, et dans un premier temps, il estime « contre-productif de vouloir imposer ce contrat officiel, sous peine de braquer les acteurs sans le concours desquelscette entreprise d’homogénéisation resterait vaine. »
Enfin, et dans la foulée, Nicolas Bernard rappelle de ne pas oublier de régionaliser la loi sur la discrimination ainsi que les reliquats de la fiscalité immobilièrefédérale – tels l’IPP-précompte immobilier et la péréquation cadastrale (détermination du revenu cadastral).

Un catalogue brouillon et limitatif

Analysant le texte sur un plan légistique, Nicolas Bernard, constate que « la disposition de la loi spéciale relative au bail d’habitation représente sansdoute un parfait condensé de tout ce qu’il ne faut pas faire. L’énumération des matières soumises à régionalisation, tout d’abord, est sansfin, et l’usager aura tôt fait de s’y perdre. » De plus, il déplore le caractère limitatif de la proposition compte tenu des termes « àsavoir ». Selon lui, « ce parti pris pour un caractère simplement indicatif ne va cependant pas sans induire de très lourdes conséquences. Tout ce qui n’estpas expressément prévu dès l’abord dans ce répertoire exhaustif, soit parce que l’auteur du texte l’aurait oublié, soit parce qu’il s’agitd’une problématique sociale n’ayant pas encore émergé, reste en effet du plein ressort de l’autorité fédérale. »

L’avis n° 44.233/AG du Conseil d’État du 10 avril 2008 relatif à la loi abonde dans ce sens : « Pareille énumération emporte que les Régions sontuniquement compétentes pour les aspects expressément cités de la location de biens destinés à l’habitation et que la réglementation existante relativeà la location de ces biens, qui ne figure pas dans l’énumération, est exclue de la sphère de compétences des Régions. »

Et d’ajouter : « Le choix d’une énumération limitative implique également qu’en vertu de sa compétence résiduelle, le législateurfédéral reste compétent pour les nouveaux problèmes ou nouveaux aspects qui ne font pas encore l’objet d’une réglementation relative à la location de biensdestinés à l’habitation et qui ne figurent dès lors pas dans l’énumération, même s’il s’agit d’aspects qui sont étroitement liés à lalocation de biens destinés à l’habitation. »

Peut mieux faire

À l’heure où nous écrivons ces lignes, il n’y a guère eu d’avancées au niveau institutionnel. Par conséquent, la loi sur le bail n’a pas encoreété régionalisée. Mais en l’état, le texte est peu clair. Ne s’agirait-il, en fait, que d’une demi-régionalisation ? En tout cas, comme le remarque leConseil d’État, « la question se pose de savoir comment concilier ceci avec la volonté de parvenir à une répartition plus homogène et pluscohérente des compétences, un objectif que soulignent à plusieurs reprises les développements de la proposition. »

Le catalogue

L’article 4 de la loi spéciale du 5 mars 2008 portant sur des mesures institutionnelles souhaite rendre compétentes les Régions en matière de baux d’habitations.Concrètement, l’article désigne par là « les règles particulières concernant la location des biens destinés à l’habitation, à savoirles normes relatives au caractère écrit ou verbal du contrat de bail, les conditions de forme du contrat de bail, la date fixe et l’opposabilité du contrat de bail, la preuve ducontrat de bail, la cession du bail et la sous-location, les baux des biens des mineurs, les droits et les obligations du bailleur, les droits et les obligations du preneur, l’état du bienloué, la rénovation, les réparations et la réalisation de travaux déterminés, l’obligation de garantie, les conséquences juridiques de la destructiondu bien loué, la possibilité de changer la forme de la chose louée, les réparations urgentes, la garantie pour les voies de fait de tiers, la garantie pour les actionsconcernant la propriété du bien loué, la détermination du loyer et l’adaptation du loyer au coût de la vie, la détermination des frais et chargesimposés au preneur, la révision du loyer, des frais et des charges, le paiement d’indu, l’emploi de la chose louée par le preneur pour un autre usage que celui auquel elle aété destinée, l’état des lieux, la responsabilité pour dégradations et pertes, la responsabilité en cas d’incendie, la durée du contrat debail, la fin du contrat de bail, le congé relatif au contrat de bail, la reconduction du bail, la résolution du contrat de bail, la transmission du bien loué, l’éviction,l’indemnité en cas d’éviction, la garantie locative, l’ameublement de la chose louée, les droits et les obligations du sous-locataire, les réparations locatives ou de menuentretien dont le locataire est tenu, les meubles et le bail d’un immeuble meublé, la prorogation pour circonstances exceptionnelles, et le caractère d’ordre public, de droitimpératif ou de droit supplétif des diverses dispositions. »

Les craintes d’un avocat bruxellois

En mai 2008, dans le cadre d’un colloque organisé par Écolo, Bernard Louveaux, avocat chez Wéry et associés, avait fait part de ses observations de praticien deterrain. Il émettait ses craintes et ses espérances. Côté craintes, il redoutait une disparité des règles entre les Régions – rencontrant ainsiles craintes du SNP –, mais aussi que l’octroi de compétences aux législateurs régionaux ne débouche sur un système de modifications per
manentes. Ildénonçait l’illusion du législateur omnipotent : « Fondée sur la croyance naïve que la loi doit et peut éliminer toute injustice ou surla volonté de répondre immédiatement (voire médiatiquement) au moindre problème par une intervention législative, cette surconsommation aboutit enréalité à la dilution de la loi. Celle-ci change tellement vite qu’elle n’a pas le temps de s’installer, ni d’être mise en œuvre. » Etde souligner l’absurde de certaines situations : « Lorsque la Cour de cassation rend un arrêt, elle statue sur un texte qui n’est déjà plus en vigueurdepuis quelques temps. »

Ses espérances étaient relativement modérées : « Le regroupement de compétences entre les mains des autorités régionales permetd’espérer en la création d’une véritable législation conçue dans sa globalité en fonction d’objectifs politiquesprécis. » Et d’inviter le législateur régional a faire preuve de modestie – éviter les « lois spectacle » – mais surtout« ne jamais perdre de vue que les textes qu’il adopte s’appliquent à l’ensemble des situations locatives qu’il régit et qui sont extrêmementvariées. »

1. SNP :
– adresse : rue du Lombard, 76 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 512 62 87
– site : www.snp-aes.be
2. Nicolas Bernard, Facultés universitaires Saint-Louis :
– adresse : bd Botanique, 43 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 211 78 44
-courriel : nbernard@fusl.ac.be

Baudouin Massart

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