Le Conseil supérieur de l’emploi1 n’a pas failli à la tradition : à nouveau un bilan morose pour 2004. Jan Smets, le porte-parole du Conseil supérieur del’emploi – et par ailleurs directeur de la Banque nationale de Belgique – a répété ce qui se dit depuis des années : le taux d’emploi en Belgique est et restedésespérément l’un des plus faibles d’Europe. En 2002, à peine six personnes sur dix en âge de travailler se trouvaient sur le marché de l’emploi. Pourarriver à la moyenne européenne (64,2% des personnes au travail), il faudrait que la Belgique crée environ 300 000 postes de travail. Quand on sait que l’objectif des 200 000emplois affiché par le gouvernement Verhofstadt est considéré par d’aucuns comme trop ambitieux, on prend la mesure de l’effort à fournir. Et pourtant, le Conseilsupérieur de l’emploi l’assène sèchement : la Belgique va devoir se retrousser les manches. Car si le taux d’emploi ne part pas à la hausse, la croissance du revenu parhabitant ralentira sérieusement à partir de 2010, au moment où les enfants du baby-boom accéderont à la retraite. Idéalement, note Jan Smets, il faudrait quele taux d’emploi passe à 69% à l’horizon 2030 – pour 59,6% aujourd’hui.
Comment y arriver ? Selon le CSE, il faut réduire le poids des charges qui pèsent sur le travail. Les coûts salariaux sont, en Belgique, 7 % plus élevés que lamoyenne de l’Union européenne, constate-t-il. Mais gare aux coupes aveugles. Il ne faudrait pas mettre en péril l’équilibre financier de la Sécu alors que levieillissement de la population va alourdir les budgets des pensions et des soins de santé. Le Conseil supérieur de l’emploi estime que l’on pourrait compenser la réduction descharges sociales en augmentant la fiscalité sur certains produits comme l’essence, le diesel, le mazout de chauffage, les cigarettes, l’alcool ou les voitures, qui reste encore «nettement inférieu-re » à la moyenne européenne. Mais la marge est étroite.
Le Conseil supérieur de l’emploi édicte à intervalles réguliers des recommandations pour améliorer les performances du marché belge del’emploi. Désormais partie intégrante du paysage belge, on en oublierait presque pourquoi il a été placé là. Rétroactes. Mis en place sous legouvernement fédéral de Jean-Luc Dehaene par la ministre de l’Emploi de l’époque Miet Smet, en 1995, cet organe a pour objectif de produire des avis qui se veulentplus « scientifiques » permettant au passage de contourner les avis des instances consultatives « classiques » où siègent les partenaires sociaux. Ses membressont nommés par le fédéral et les Régions et sont soit des universitaires, soit des fonctionnaires. Mais ils n’ont jamais été renouvelés depuisle milieu des années nonante. Ce qui a abouti à un déséquilibre linguistique contraire à la loi : les néerlandophones sont devenus plus nombreux que lesfrancophones2, d’autant plus que le vice-président est le directeur de la Banque nationale de Belgique, Jan Smets, et le président, le ministre de l’Emploifédéral, Frank Vandenbroucke, dont on connaît les positions controversées (côté francophone) sur l’accompagnement des chômeurs. Frank Vandenbrouckesera remplacé dans ses fonctions par la nouvelle ministre fédérale de l’Emploi Freya Van den Bossche (SP.A).
Danemark, l’Eldorado…
D’autres pistes sont avancées : l’encouragement à une plus grande mobilité des travailleurs vers des régions où l’offre d’emplois est supérieure,l’augmentation du nombre de personnes en formation, l’instauration de politiques plus actives d’accompagnement des chômeurs. Pour les autres catégories, le CSE a aussi ses recettes. Pourles jeunes : améliorer l’enseignement obligatoire et la formation continuée. Les femmes : stimuler la création de crèches et garderies, développer lesformules flexibles facilitant la vie de famille. Les travailleurs d’origine extra-européenne : gommer les discriminations à l’embauche, qui refoulent même les plusqualifiés. Et puis, insiste le Conseil supérieur, il faut relever le taux d’emploi chez les plus de 55 ans. Dans ce groupe d’âge, une personne sur quatre seulement est encore autravail – contre quatre sur dix dans l’Union européenne. Or, ce groupe de personnes va prendre de l’importance dans les prochaines années. Les raisons de ce déficit ontété épluchées. Les personnes âgées ont moins accès à la formation en Belgique qu’ailleurs, elles sont moins mobiles et coûtent plus cher.Et puis surtout, les formules de retrait de la vie active sont plus attrayantes. Dans de nombreux cas, le revenu en cas de prépension ou de retraite anticipée s’élèveà 70% du dernier salaire. C’est trop, estime le Conseil supérieur de l’emploi, qui invite dès lors le gouvernement à « alourdir la perte financière en cas dedépart anticipé » et à « encourager le report du retrait ». Le Conseil privilégie la carotte plutôt que le bâton. Plutôt que poser desverrous aux portes de sortie, il conseille de rendre plus attractive la poursuite de l’activité grâce à des incitants. Il ne prescrit pas de réduire le salaire desseniors, jugés moins productifs, mais de réduire leurs cotisations patronales. Et de leur offrir des formations : 30% de seniors suédois y ont droit contre seulement 6% desBelges. Enfin, le Conseil veut responsabiliser davantage les employeurs qui se défont à trop bon compte de travailleurs expérimentés. Parmi les exemples de bonne pratique,le Danemark arrive en tête avec trois habitants sur quatre mis à l’emploi. Le président du CSE qui n’est autre que le ministre de l’Emploi, en l’occurrenceà l’époque encore Frank Vandenbroucke (SP.A), aurait-il soufflé l’exemple ? On sait que le chantre SP.A de l’État social actif aime à citer cepays dans ses discours et interviews…
Comme en écho au rapport du Conseil supérieur, La Fédération des entreprises belges (FEB) a lancé mi-juillet un masterplan pour gérer les fins decarrière. Au programme, l’abandon progressif des barèmes d’ancienneté et des prépensions. La FEB propose de réduire l’attractivité des possibilités defins de carrière : abandon progressif des prépensions, ne plus compter le crédit-temps pour le calcul de la pension, créer un bonus pour ceux qui travaillent pluslongtemps et un malus pour ceux qui partent plus tôt. Les conditions à la pension (minimum 60 ans et 35 ans de travail) doivent selon la fédération êtrerétablies, par un contrôle effectif des chômeurs âgés. Les employés plus &acir
c;gés gagnent en moyenne 46% de plus que les plus jeunes. Selon lesemployeurs, il faut démanteler ce système, faciliter les mutations et les pertes de salaires. Il faut également plus de possibilités pour le travail à temps partielet les congés non payés pour les 55 ans et plus. Après la sortie sur l’augmentation du temps de travail, la FEB plante ses pions avant la concertation sur les fins decarrière annoncée pour l’automne. Un automne qui s’annonce très chaud…
Reste qu’à l’évidence la génération de l’après baby-boom doit se faire à l’idée qu’elle travaillera plus longtempsque ses aînés.
1. CSE, c/o SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, rue Belliard 51 à 1040 Bruxelles – tél. : 02 23349 44 – fax : 02 233 47 38 – courriel :albert.vannuffel@meta.fgov.be – site : http://meta.fgov.be/pa/paa/framesetfrce00.htm
2. Depuis le départ d’Étienne Michel, secrétaire général du Cepess devenu entre-temps directeur général du Segec.