Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Archives

Quand les universités se mouillent pour les sans-papiers

Devant l’immobilisme du gouvernement en matière de régularisation, la grogne monte, l’État est menacé de poursuites judiciaires pour « publicitémensongère » et, chose inédite, les universités du pays se mobilisent.

27-03-2009 Alter Échos n° 270

Ils l’avaient promis, ils ne l’ont pas fait. Pas encore du moins, diront les plus optimistes. La circulaire définissant les critères de régularisation des « sans-papiers» faisait partie de l’accord de gouvernement remis, en son temps, par Yves Leterme et les siens. Devant l’immobilisme du gouvernement, la grogne monte et, chose inédite, lesuniversités du pays se mobilisent.

Entrée du parking de la VUB. Quelques calicots détrempés par les averses tombées plus tôt dans la matinée, confèrent aux lieux un aspect dedésolation, dont ils n’avaient pourtant nul besoin. « Nous sommes en grève de la faim », peut-on encore déchiffrer. Après avoir dépassédeux « préfabriqués » de chantier contenant quelques sanitaires, on pénètre dans le sous-sol du parking. Du béton brut, sans aucun orifice.Une cloison de carton referme un énorme dortoir. Deux sans-papiers accueillent les visiteurs. À l’intérieur, des matelas à perte de vue. Sur des fils tendus entredeux colonnes, quelques vêtements pendent tandis que sacs de voyage, valises et autres menus objets jonchent le sol. Il fait froid, un froid humide et pénétrant. On devine descorps sous les couvertures. Le silence règne. Tout au plus, quelques toussotements rappellent qu’en dessous des couvertures se cachent des hommes et des femmes. C’est ici que 103sans-papiers s’entassent, pour ne pas dire croupissent, attendant le bon vouloir de la ministre de la Politique d’asile et de la Migration. Ils sont à leur 39e jour degrève de la faim.

Entouré de quelques militants de la cause des sans-papiers et d’étudiants de la VUB, leur porte-parole, Omar, justifie le recours à la grève de la faim : «On ne nous laisse pas le choix, il ne s’agit pas de faire du chantage mais d’exercer le seul moyen de pression qui nous reste. Tous ici, nous avons commencé par manifestergentiment, rencontré tous les partis démocratiques, mais cela n’a pas suffi, nous avons alors occupé les églises, les universités, les grues et çan’a toujours pas suffi. On refuse de prendre en compte la réalité de notre présence ici, le fait que nous travaillons déjà. En vérité,c’est le gouvernement qui nous accule à la grève de la faim. »

On ira jusqu’au bout !

Au lendemain de l’annonce du report de toute décision sur la régularisation après l’échéance électorale du 7 juin, l’abattement estgénéral. Certains sont à bout. Les 103 grévistes de la faim de la VUB, ont néanmoins décidé de poursuivre leur action. Jusqu’àprésent, trente d’entre eux ont déjà été emmenés en ambulance à l’hôpital d’Ixelles. Leur état de santé sestabilise et ils reprendront leur grève de la faim dès leur retour sur le campus de la VUB. Seize sans-papiers seraient plus gravement atteints et six souffrent de problèmesrénaux. Onze grévistes souffrent de troubles psychiatriques et sont suivis par un psychologue. Après 40 jours de jeûne, les sans-papiers entameront une phaseconsidérée comme déjà critique. Ils ont invité, ne sachant pas trop s’il faut vraiment y croire, la ministre de la Politique de l’Asile et de la Migration,Annemie Turtelboom (Open Vld), à leur rendre visite.

À l’ULB dont le gymnase est occupé depuis novembre 2008, la situation semble tout aussi alarmante sauf que les enfants y séjournent aussi. 280 personnes y font lagrève de la faim depuis le 1er mars (les autres sont partis à Saint-Louis) et tous les jours, des ambulances doivent emmener d’urgence des grévistes épuisés etmalades. Certains ont dû être hospitalisés en raison de fortes douleurs aux reins. Aucune aide extérieure organisée n’est plus présente. Aucun suivimédical n’est effectué. Une situation qui préoccupe quelques parents volontaires qui soutiennent les enfants des sans-papiers qui occupent ces lieux.

Sans papiers mais pas sans mental !

Jean-Pierre Pireaux, psychologue, dirige Psy-Campus1 où il reçoit habituellement le personnel de l’ULB et les étudiants. Amené à rencontrer lessans-papiers occupants, il a décidé avec quelques collègues de témoigner de ce qu’il a constaté sur place2.

« Des occupants, sans-papiers, d’un gymnase à l’ULB, s’étant inquiétés de la dégradation psychologique de certains de leurs compagnons,ont amené le comité de liaison ULB-sans-papiers, à prendre contact avec notre Service. Psy-Campus est à 200 m du gymnase. Nous avons créé un petit groupe detrois psychologues, deux pédopsychiatres et une assistante sociale. Deux psychiatres de Médecins du monde se sont ajoutés. Nous nous sommes rendus au gymnase et au parkingde la VUB. Nous avons tantôt rencontré les personnes au hasard, tantôt aiguillés par les responsables qui avaient repéré des occupants montrant quelquestroubles. Ce qui nous a tout de suite marqués, c’est cette position horizontale toute la journée sur des matelas qui pousse à l’apathie et à laneurasthénie. L’exil, la confrontation à l’administration peuvent fragiliser l’équilibre mental. Les échecs répétés des tentativesde régularisation finissent par les décourager, résultat : certains tentent la grève de la faim ou montent sur les grues. C’est la déroute. Malgréleurs efforts pour fournir des preuves de leur inscription sociale, ils se voient refuser une identité légale. Ils se sentent « chosifiés », réduits à des dossiersaccumulés en attente interminable. Les adultes sont dans l’incompréhension, la confusion, la perte de repères. Lentement, de façon insidieuse, s’installe unprocessus comparable à celui produit par l’effet d’un harcèlement moral faisant son œuvre, d’abord à bas bruit, puis prenant valeur traumatique. Pour cequi est de la VUB, le parking-caverne ne concourt évidemment pas à leur remonter le moral. Une noirceur très présente, une lumière artificielle enpermanence. Ils sont en fait déjà enterrés, au sens littéral du terme. Le cadre reflète leur état intérieur. »

« Le groupe, heureusement, donne un sentiment d’appartenance à une société solidaire, relève encore Jean-Pierre Pireaux. Mais le groupe peut aussiêtre l’endroit où l’on décharge ses révoltes contre l’administration qui tient un discours illogique, incompréhensible, voire méprisant. Legroupe vit au gré des rumeurs, de l’attente interminable, de l’insécurité due au risque d’arrestation, de la précarité, de la promiscuité.Là, com
me dans le gymnase de l’ULB, le découragement gagne les occupants parce qu’ils se sentent oubliés dans un contexte médiatique ne leur accordant plusguère d’intérêt. Les compagnons d’infortune servent alors parfois de réceptacle aux débordements de colère. Quand éclatent les bagarres,les enfants sont angoissés, dorment mal. Le matin, le petit-déjeuner fait parfois défaut, ils arrivent fatigués et inquiets à l’école qui ignore danscertains cas tout de leur situation. Leurs parents, insécurisés et eux-mêmes fragilisés psychiquement, ne peuvent plus donner du sens à cette précariténi les rassurer quant à une issue possible. Dans ces conditions, nous pouvons sans exagérer dire que nombre des enfants qui occupent le gymnase courent un risque majeur dedécrochage scolaire. »

Des occupations contagieuses

Mais si l’ULB et la VUB furent les premières universités à accueillir les sans-papiers, la contagion semble avoir gagné et pris de l’ampleur cesdernières semaines, ce, tant au nord qu’au sud du pays : KUL, UCL, St-Louis, facultés Notre-Dame de la Paix de Namur, Gand, Anvers… Un comité des universitéset des hautes écoles belges pour le soutien aux sans-papiers s’est même créé pour coordonner les réactions et les occupations. Et force est de constater quecela faisait très longtemps que l’on n’avait pas vu les universités belges s’engager pour un thème de société. « C’est vrai,reconnaît le recteur des Facultés Notre-Dame de la Paix. Mais la mobilisation universitaire contre une situation de non-droit est une vieille tradition datant du Moyen Age,rappelle-t-il. Et dans ce dossier, précisément, il y a l’aspect solidarité et mobilisation, mais aussi ce dont on ne parle pas : dès le début, nous avons ditaux politiques que nous avions des experts, dans nos universités, prêts à les aider à rédiger cette circulaire qu’ils ne rédigent pas. C’estça aussi, le rôle des universités. »3

Ainsi, les professeurs de droit de plusieurs universités se sont unis pour rédiger une note juridique à l’intention du gouvernement. Le 18 mars dernier, jouranniversaire de la signature de l’accord de gouvernement promettant la régularisation, cinq recteurs ont accompagné les sans-papiers chez le Premier ministre Herman Van Rompuy.Ils lui ont remis cette note juridique et une pétition signée par plus de 30 000 personnes. Certaines universités ont même été jusqu’à suspendreles cours pour inviter les étudiants à participer aux manifestations organisées dans les trois régions du pays. Et fait sans précédent, quelque 529professeurs d’université de tout le pays se sont fendus d’une carte blanche parue le 17 mars dans les principaux quotidiens belges : « Arrêtons la guerre auxsans-papiers : régularisons ! ». Une mobilisation qui s’ajoute à l’appel du Centre d’action laïque, du Cardinal Danneels et des représentants des autres cultes,des étudiants, des médecins bruxellois, des associations de femmes, des syndicats, des ONG, des artistes, de l’ensemble des Ordres des avocats du pays qui ont introduit avec 13sans-papiers une action en justice contre l’État et d’une pétition forte de plus de 30 000 signatures. « Avec autant d’acteurs de la société civile qui se mobilisent,ce n’est pas pas possible que Mme Turtelboom ne comprenne pas qu’il se passe quelque chose dans ce pays, s’indigne Frédérique Mawet, directrice du Ciré4. Elle ne peutcontinuer à faire la sourde oreille ! » . Et pourtant…

1. Psy-Campus, Campus du Solbosch, ULB CP 184, av. F.D. Roosevelt, 50 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 650 20 25 – courriel : psycampus@ulb.ac.be
2. Témoignage recueilli lors du colloque « Itinéraires sans-papiers » organisé le 17 mars à l’ULB. Il est par ailleurs auteur avec quelquescollègues d’une lettre à la ministre Turtelboom parue dans La Libre et Le Soir du 12 mars 2009.
3. In Le Soir du 19 mars 2009.
4. Ciré :
– adresse : rue du Vivier, 80/82 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 629 77 10
– courriel : cire@cire.irisnet.be
– site : www.cire.irisnet.be

catherinem

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)