Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Quand les AFT se font moins discrets

Petit coup de projecteur sur les ateliers de formation bruxellois grâce aux témoignages de deux d’entre eux.

22-01-2012 Alter Échos n° 330

On en entend peu parler, mais les AFT (ateliers de formation par le travail) sont au nombre de dix à Bruxelles. Petit coup de projecteur sur ces structures grâce auxtémoignages de deux d’entre elles.

« Les AFT ? Tiens, ça existe toujours ? » Lancée en guise de boutade par un acteur du secteur social, cette phrase reflète néanmoins unecertaine réalité. Là où le nom de leurs cousines wallonnes, les EFT (entreprise de formation par le travail), est régulièrement mentionné, lesateliers de formation par le travail bruxellois semblent plus discrets. Pourtant, ces structures seraient « le modèle par excellence en insertion socioprofessionnelle »,affirme Ileana Rosselli, directrice de la mission locale de Molenbeek qui a développé « Molenbeek Formation »1, une asbl dont l’objectif aété de mettre en place un AFT actif dans l’horeca.

Première explication à cette relative discrétion : le décret. « Ce sentiment de discrétion n’est pas un hasard, explique Michelle Hubin,attachée relations collectives de travail à la Febisp2, la Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle. Les AFT sont en effet“couverts” par le même décret3 que tous les OISP (organismes d’insertion socioprofessionnelle), même s’ils effectuent un travail assezspécifique. » Ce travail « assez spécifique », c’est la formation par le travail (voir encadré) même si, structurellement et au niveau deleur action (notamment guidance et formation de leurs stagiaires), les AFT sont comparables aux autres OISP.

La formation par le travail : qu’est ce que c’est ?

Le décret du 27 avril 1995 précise que « les opérations de formation pour le travail procèdent par une mise en situation de travail réel dans un cadred’activités organisées au sein même de l’organisme, donnant lieu à la production, commercialisée ou non, de biens ou de services ». La formation par letravail est une formation où le stagiaire est en interaction avec un environnement proche du milieu professionnel et où il acquiert ses compétences au traversd’expériences concrètes. La formation est donc pratique, mais aussi théorique. Elle comprend :

• une remise à niveau ;
• une formation théorique liée au métier ;
• une formation pratique en atelier et une expérience sur chantiers ;
• un stage en entreprise.

L’AFT remplit également un travail de guidance tout au long de la formation.

Les financements proviennent de la Cocof pour la formation, d’Actiris pour la guidance et les postes ACS pour le personnel, du Fonds social européen et de Bruxelles Formation qui octroie uneuro par heure de formation aux stagiaires.

Théories et pratiques

En guise d’illustration, prenons l’exemple de l’AFT de « Molenbeek Formation », qui propose une formation en commis de cuisine et commis de salle, ses dix-huit stagiaires,répartis en deux groupes, endossant les deux types de fonction au sein notamment du restaurant « L’AFT-heure » que tient la structure. Etalé sur un an, le« cursus » suivi par les stagiaires comprend ainsi 580 heures de cours généraux et 620 heures de formation professionnelle « salle/cuisine »théorique et pratique, pour 1 200 heures au total, auxquelles s’ajoute un stage « à l’extérieur » de 150 heures, non couvert par les subventions.Beaucoup de pratique donc, mais aussi beaucoup de cours généraux, de théorie.

Il faut dire que le public auquel s’adressent les AFT est particulièrement fragile puisqu’il ne doit pas être titulaire, au début de l’activité, du certificat del’enseignement secondaire inférieur ou de tout autre diplôme équivalent. « Nous demandons que nos stagiaires soient capables de parler et d’écrire lefrançais, nous organisons un test à l’entrée en français et calcul, explique Christine Duquesne, coordinatrice de “Molenbeek Formation ». Mais le niveau exigéest très bas, c’est de l’équivalent quatrième primaire. 90 % des stagiaires sont d’ailleurs d’origine étrangère. Il s’agit de personnes très peuscolarisées, ayant besoin d’un suivi psychosocial important et qui connaissent souvent des problèmes sociaux, d’endettement, d’assuétude. »

Dans ce contexte, le rôle de guidance rempli par l’AFT, par le biais d’une assistante sociale, est important. Le travail de socialisation, repris dans le cahier des charges des AFT, aussi.« Il est même essentiel. Notre public n’est pas prêt à l’emploi, et cela concerne également les compétences sociales », enchaîne notreinterlocutrice. Rien d’étonnant dès lors que les nombreux cours généraux et théoriques comprennent, à côté de leçons d’anglais ou denéerlandais, des cours d’initiation à l’histoire citoyenne et des dynamiques de groupe.

Double casquette

Néanmoins, tous les AFT ne fonctionnent pas avec autant de cours théoriques. L’Apaj4 (Association pédagogique d’accueil aux jeunes), un AFT schaerbeekois actif dansle domaine du bâtiment, dispense aussi de la théorie, mais à concours de 1/5 de l’emploi du temps de ses 23 stagiaires répartis en trois groupes5. Le reste des1 200 heures de formation étant consacré aux ateliers formatifs et au travail sur chantier. Des chantiers réalisés à destination d’asbl ou de particuliers etqui font de l’Apaj une vraie entreprise. « Nous avons une double casquette sociale/entrepreneur. Nous sommes d’ailleurs enregistrés comme entrepreneurs, nous avons un numérode TVA, explique Anne Verhelst, directrice. Cela dit, nous ne sommes pas une entreprise dont le but est de faire du chiffre. Les chantiers que nous prenons doivent avoir un intérêtpédagogique pour nos stagiaires. »

Le mot est cependant lâché. Les AFT, de par leurs activités, ramènent parfois de l’argent dans les caisses. Qu’en est-il fait et qu’est-ce qui distingue finalement unAFT d’une Ilde (Initiative locale de développement de l’emploi) ? « L’argent que nous rentrons est entièrement réinvesti dans l’asbl, explique la directrice del’Apaj. Nos subsides paient le personnel et couvrent une partie du fonctionnement. Mais cela reste juste. Nous avons par exemple besoin d’un matériel qui est très coûteux et quisouffre beaucoup du fait qu’il est utilisé par des stagiaires en apprentissage. »

Autre point important : les heures non couvertes par les subsides. « Nous avons 360 heures, en plus du cursus de 1200 heures, qui sont dites « de production » et qui correspondentnotamment au service en cuisine et en salle. Elles ne sont pas financées. C’est un peu absurde, mais
nous sommes subventionnés par la préparation de la nourriture, qui estconsidérée comme de la formation, mais pas pour son service », détaille Christine Duquesne qui enchaîne sur la distinction avec les Ilde. Elle est en effet bienplacée pour cela puisque « Molenbeek formation » a également développé une Ilde, active elle aussi dans l’horeca. « Il y a beaucoup depoints communs, notamment au niveau de l’exploitation commerciale ou même du public. Cela dit, en Ilde, les personnes sont sous contrat PTP (programme de transition professionnelle) alors queles stagiaires en AFT dépendent du chômage ou du CPAS et sont en formation. L’encadrement est aussi plus important en AFT, où le temps passé en classe estconséquent, ce qui a une influence sur l’orientation du public. Si la personne est « dans l’urgence » et qu’elle tient à travailler très vite, qu’elle n’a pas envie de s’asseoirsur une chaise, nous l’orienterons vers l’Ilde qui est aussi, en contrepartie, plus « dure » : le travailleur doit pouvoir y assurer presque directement. »

Activation et détenus

A l’heure du décryptage des enjeux pour le secteur, Anne Verhelst et Christine Duquesne s’accordent sur de nombreux points : l’augmentation du public à la suite de l’activationdes demandeurs d’emploi ou encore les questions posées par l’accueil de détenus sont citées. « Nous constatons depuis deux ans une augmentation du nombre de personnesse présentant chez nous parce qu’elles sont poussées dans le dos par l’activation des chômeurs, ce qui pose des questions en termes de motivation », déplore AnneVerhelst. Christine Duquesne, quant à elle, décèle également l’influence du CPP (contrat de projet professionnel), généralisé depuis quelque temps aux18-25 ans (voir Alter Echos n° 283 du 27 octobre 2009 : « L’obligation du CPP menace-t-elle la formation ? »). « Notre public est de plus en plus jeune, nous sommes passés de 12 % en2008/2009 à 37 % aujourd’hui. Cela pose question, tant en termes de pédagogie que de rapport que ces jeunes peuvent avoir avec l’AFT à la suite de leur parcours scolairechaotique. Nous avons également de plus en plus de mal à constituer des groupes suffisamment variés dans leur composition. »

Anne Verhelst fait remarquer, par ailleurs, que les détenus constituent 20 % du public de l’Apaj. L’AFT a développé pour ce faire un partenariat avec l’asbl« Après », qui se charge de la remise en ordre administrative des détenus (voir Alter Echos n° 266 du 30 janvier 2009 : « Après la prison, la discrimination ? »)« Il n’y a plus beaucoup de monde qui accepte d’accueillir des détenus, note-t-elle. Si je voulais, je pourrais remplir l’AFT rien qu’avec ce public. »

1. Molenbeek Formation asbl :
– adresse : bd Léopold II, 101-103 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 421 68 60
– courriel : molenbeek.formation@mofo.irisnet.be
2. Febisp :
– galerie Ravenstein 3 boîte 4 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 537 72 04
– site : www.febisp.be
3. Décret du 27 avril 1995, émanant de la cocof.
4. Apaj :
– adresse : chée de Haecht, 146 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 241 93 87 ou 02 216 64 08
– courriel : apaj@belgacom.net
5. L’AFT présente aussi la particularité de posséder des groupes mixtes, ce qui n’est pas monnaie courante dans le secteur du bâtiment.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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