«Trois mois après la naissance de ma fille, je pleurais pour tout et pour rien, submergée par les émotions, confie Chloé, 29 ans, maman d’une petite de 9 mois. Avoir un enfant, ça change la vie: on entre dans l’inconnu.» Chloé se posait beaucoup de questions. Elle s’inquiétait aussi. «J’avais peur que la petite s’étouffe, à cause de ses soucis de reflux. Je ruminais l’accouchement qui ne s’était pas déroulé par voie basse. Je ne devais pas le prendre comme un échec; on en avait parlé avec le gynécologue et les sages-femmes. Mais ça me suivait. Et la fatigue n’a rien arrangé… Personne ne pouvait allaiter à ma place ni prendre le relais. Mon compagnon devait travailler. Et le reste de la famille vit à l’étranger.»
Quand Chloé s’est confiée à son généraliste, celui-ci l’a redirigée vers un psychiatre de la maternité, suspectant une dépression post-partum. À raison. Selon la Ligue des familles, qui déploie actuellement une campagne de sensibilisation pour rendre visibles les enjeux du post-partum – cette période d’ajustement qui suit la naissance de l’enfant – et revendiquer l’accompagnement adapté, près de 20% des mères traversent ce type de dépression. Contrairement au baby blues, qui est un épisode passager de déprime lié à la chute d’hormones après l’accouchement, on parle ici d’un trouble dépressif qui peut se déclarer pendant la grossesse, mais qui survient le plus fréquemment entre deux et quatre mois après la naissance ou après six mois.
Les parents adoptifs aussi
Si les mères sont majoritairement touchées par cette dépression périnatale, celle-ci peut aussi affecter les pères: 9,8% d’entre eux souffrent de dépression prénatale et 8,7% de dépression postnatale, précise le «Women’s Health Report 2024», publié par l’Institut de santé publique Sciensano. Les parents adoptifs sont aussi concernés, «notamment en raison du stress mental et émotionnel qui accompagne l’arrivée d’un enfant». Autres chiffres interpellants, tirés de l’étude réalisée par l’Institut Solidaris sur la dépression post-partum en 2023: «54% des mères wallonnes avec un enfant de moins d’un an et 28% des pères dans la même situation présentent une haute probabilité de dépression.» De quoi illustrer à quel point l’arrivée d’un enfant, aussi désirée soit-elle, impacte la vie de ses parents. Et, de façon plus marquée encore, celle des mamans!
Selon la Ligue des familles, qui déploie actuellement une campagne de sensibilisation pour rendre visibles les enjeux du post-partum – cette période d’ajustement qui suit la naissance de l’enfant – et revendiquer l’accompagnement adapté, près de 20% des mères traversent ce type de dépression.
Comme le souligne Lola Galer, chargée de projet à la Ligue des familles, autrice de l’étude «Post-partum: il faut soutenir les femmes qui viennent de donner naissance»: «Mettre un enfant au monde n’a rien d’anodin. Imaginez un camion de trois tonnes qui vous roule dessus. Les bouleversements physiques et psychiques qui s’ensuivent. Le retour précoce à la maison, avec l’épuisement, les responsabilités et la charge mentale associés. Cette nouvelle vie est souvent très éloignée de ce qu’on avait projeté, dans une société qui idéalise la maternité. La culpabilité de ne pas se sentir aussi heureuse qu’on le devrait. Sans compter cette pression de réussir sa parentalité.» Même si la parole se libère, un énorme travail d’information reste à faire, selon la chargée de projet, pour combler ce no man’s land culturel et représentatif de l’après-naissance qui peut se révéler délétère pour la santé mentale des parents et des enfants.
Crainte de la stigmatisation
Pour le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), le manuel auquel se réfèrent les médecins en matière de santé mentale, la dépression post-partum s’apparente à une dépression classique, sa spécificité étant liée au moment où elle se déclare. «Je constate énormément de culpabilité liée au rôle de mère, d’anxiété concernant le bébé et d’irritabilité chez les mamans qui me consultent, déclare Juliette Debeaud, psychiatre périnatale, attachée au CHU Brugmann. Elles peuvent éprouver des difficultés à s’attacher à leur bébé et avoir du mal à se synchroniser avec lui.»
Autres symptômes courants: la perte de plaisir, le manque d’appétit, l’humeur dépressive, le repli sur soi, les troubles du sommeil, la baisse d’énergie et la diminution de la motivation, qui compliquent la relation avec l’enfant. «Plus vite on se fait soigner, mieux c’est!, insiste la psychiatre. Le suicide est la première cause de mortalité maternelle durant la période périnatale. On sait aussi que la dépression périnatale est associée à un risque accru de mortalité, toutes causes confondues, jusqu’à 18 ans après le diagnostic.» Mais, à entendre Juliette Debeaud, le mythe de la maternité heureuse empêche les mères d’exprimer leur mal-être, par crainte d’être stigmatisées. «Jusqu’à 60% des femmes souffrant de dépression périnatale n’entreprennent aucune démarche pour obtenir de l’aide.»
Renforcer le suivi périnatal
Un dépistage systématique avant et après l’accouchement permettrait d’éviter l’écueil du sous-diagnostic. La Ligue des familles préconise aussi de mettre en place une politique globale de suivi postnatal, adaptée aux besoins réels des parents. «Aujourd’hui, ce suivi varie d’une femme à l’autre en fonction de la région où elle vit, des lignes directrices de sa maternité, de l’offre de soins postnataux…, observe Lola Galer. Toutes n’ont pas accès à des soins de qualité. Et pour celles qui en bénéficient, le moment où une attention est portée au post-partum n’est pas toujours le plus opportun.» La solution? Intensifier le soutien de première ligne et le former à détecter les signes, aussi discrets soient-ils, et à orienter les parents vers les services adaptés.
Autres symptômes courants: la perte de plaisir, le manque d’appétit, l’humeur dépressive, le repli sur soi, les troubles du sommeil, la baisse d’énergie et la diminution de la motivation, qui compliquent la relation avec l’enfant.
À la suite d’une grossesse difficile, d’un accouchement traumatisant et des complications médicales pour le bébé, dans un contexte de séparation et de tensions familiales, Claudia, 34 ans, maman de trois enfants de 9, 6 et 1 an et demi, a été prise en charge avec sa cadette dans une unité mère-bébé. «Nous y allions, trois fois par semaine, pour participer à toutes sortes d’ateliers (bien-être, psychomotricité…) et bénéficier d’un accompagnement psychologique. Ça m’a fait beaucoup de bien de me sentir entourée et comprise par les autres mamans du groupe et par les professionnels qui savaient trouver les mots qui déculpabilisent et encouragent. J’ai dû arrêter après trois mois et demi pour reprendre le travail, mais j’ai continué les séances avec la psychiatre six mois encore.» Claudia a aussi fait appel au Petit Vélo jaune, une asbl qui fournit un accompagnement solidaire, via une personne bénévole, aux familles en difficulté, en région bruxelloise. «En tant que maman solo, pouvoir compter, une fois par semaine pendant un an, sur l’écoute et l’aide pratique d’une coéquipière m’a aussi soutenue. Les ressources existent, il ne faut pas hésiter à les solliciter.»
Attention à la reproduction
Les professionnels de la périnatalité s’accordent sur ce point: les jeunes parents ont besoin de bras supplémentaires. Or beaucoup se disent isolés et ne disposent pas forcément des moyens de se faire aider. Si la dépression périnatale touche toutes les catégories socio-économiques, l’étude Solidaris montre que la probabilité d’en déclarer une est plus élevée chez les mères issues des groupes sociaux les plus défavorisés. Les difficultés financières, le stress, la violence… constituent autant de facteurs de risque. «La dépression chez l’un des partenaires favorise également le déclenchement d’une dépression chez l’autre», relève la psychiatre. D’où la nécessité de mettre en lumière la dépression paternelle, encore plus invisibilisée que la maternelle! «D’autant que la dépression périnatale paternelle augmente de 42% le risque de dépression chez la progéniture jusqu’à l’âge adulte. Ce chiffre grimpe à 70% en cas de dépression maternelle», ajoute la spécialiste.
La dépression périnatale peut, en effet, affecter la santé de l’enfant. Les bébés sont de véritables éponges émotionnelles qui absorbent les ressentis des personnes qui prennent soin d’eux. «Ils vivent plein de choses – y compris in utero – dont ils n’auront aucun souvenir conscient à l’âge adulte, mais dont les émotions et sensations associées, elles, vont s’ancrer, explique Laurence Weets, pédopsychiatre à Érasme, spécialisée en périnatalité. Si un petit est confronté à l’adversité, par exemple à de la négligence affective parce que ses parents ne sont pas disponibles physiquement et/ou psychiquement pour lui, il va enregistrer dans sa mémoire somato-sensorielle et émotionnelle les traces des épreuves qu’il traverse. Et celles-ci pourront être réactivées quand il deviendra parent.»
Soigner la relation maman-bébé
Autre répercussion possible de la dépression du post-partum sur le bébé: le retrait relationnel. «Ça peut être lié au visage impassible qu’affichent certaines mamans en toutes circonstances; ce qui a pour effet de désorganiser leurs bébés, poursuit la pédopsychiatre. Comme l’enfant ne parvient pas à se raccrocher à un signal émotionnel de sa mère, il ne comprend pas ce qu’il doit faire ni comment s’adapter. Il va peut-être, alors, exagérer ses manifestations pour attirer l’attention. Ou se replier discrètement sur lui-même.» Un comportement que les gens identifient rarement comme problématique, car tout le monde est ravi d’avoir un bébé calme, admet Laurence Weets… «mais c’est un comportement qui peut pourtant engendrer des troubles sévères du développement et de l’attachement».
Comme pour les parents, plus vite les problèmes que rencontrent les enfants sont traités, mieux c’est! «Quand la dépression maternelle altère la relation avec le bébé, nous proposons des interventions dyadiques (impliquant la mère et l’enfant), reprend Juliette Debeaud. En hospitalisation ou en ambulatoire, on travaille à améliorer la capacité de la mère à détecter et à interpréter les signaux de l’enfant et à y répondre adéquatement. Quant au traitement de la dépression post-partum, il varie en fonction de la patiente, de la sévérité de son état, de l’accessibilité des traitements et de leur efficacité.» Une dépression sévère va généralement nécessiter un traitement médicamenteux, en complément des interventions psychosociales et du suivi psychologique organisés pour les dépressions légères à modérées.
«Favoriser le bon développement de l’enfant en cas de dépression du post-partum se traduit aussi par la mobilisation de son entourage proche et régulier, de sorte qu’il ne se sente pas seul et connaisse d’autres interactions, plus vivantes», ajoute Laurence Weets. Des mesures sociétales pourraient aussi être activées pour faciliter le passage du post-partum. Au premier rang desquelles l’allongement du congé de maternité et de celui de paternité/coparentalité. «Que les partenaires puissent développer leurs compétences de parents dès la naissance de l’enfant est bénéfique pour tous et constitue un puissant levier d’égalité», conclut Lola Galer.
En savoir plus:
«Post-partum: il faut soutenir les femmes qui viennent de donner naissance», Ligue des familles, novembre 2022:
https://liguedesfamilles.be/article/post-partum-il-faut-soutenir-les-femmes
«Women’s Health Report», Sciensano, avril 2024:
https://www.sciensano.be/fr/biblio/womens-health-report-belgium-2024
«Dépression du post-partum, un enjeu de santé publique et de justice sociale», Institut Solidaris, novembre 2023:
https://www.institut-solidaris.be/wp-content/uploads/2024/02/DPP-SYNTHESE-VF.pdf
À découvrir également, l’expo itinérante sur le post-partum conçue par la Ligue des familles: