Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Quand David Lallemand se mêle de jeunesse

David Lallemand lâche les ondes de la RTBF pour s’aligner sur celles du Délégué général aux droits de l’enfant. Rencontre.

14-07-2009 Alter Échos n° 277

« Apprenti vieux et ancien jeune », comme il se définit lui-même, David Lallemand lâche les ondes de la RTBF pour s’aligner sur celles dudélégué général aux droits de l’enfant. Plutôt qu’un virage, l’animateur vedette de « Quand les jeunes s’enmêlent » poursuit sa route avec un autre véhicule, mais avec la même détermination de donner la parole à une jeunesse que l’on stigmatise tropsouvent. Rencontre.

Le look n’a pas changé – « heureusement, pas plus ici qu’à la RTBF, on ne m’oblige à porter la cravate » – etl’accueil est toujours aussi chaleureux, contrairement au bureau qui lui a été dédié. On sent que David Lallemand n’a pas encore pris possession des lieux,aussi fonctionnels qu’impersonnels. Sa carte de visite attendra que l’on trouve un titre exact à sa nouvelle fonction. Conseiller en communication ? Responsablemédia ? « On essaie de ne pas trop s’enfermer dans des statuts mais il est clair qu’avec mon parcours, je ne vais pas me charger des matièresjuridiques », confirme notre hôte goguenard.

Après vingt ans de bons et loyaux services à la RTBF, David Lallemand est entré aux services de Bernard de Vos, délégué général aux droitsde l’enfant depuis le 1er juillet. « Je serai associé à différents dossiers pour lesquels il est important de donner une information claire etcorrecte. Dans ce secteur, il y a des positions qui sont parfois difficiles à tenir et à expliquer, je pense à l’enfermement des mineurs ou bien aux questions demœurs impliquant des enfants. Il est important de défendre leurs droits aussi quand ils commettent des faits délictueux. » Un autre chantier important attendégalement notre homme pour la rentrée : le lancement du site web1 de l’institution en friches depuis un an. « On ne voulait pas montrer une coquillevide ou peu lisible. On a donc mené une réflexion pointue sur l’accessibilité, la lisibilité, l’interactivité. Les droits de l’enfant, cen’est pas qu’un concept, ça doit vivre et pas seulement en cas de drame. On veut faire de ce site une plate-forme ludique et agréable que les enfants connaissent avantd’en avoir besoin. » Question interactivité, David n’est pas fan des forums de discussions, qui existent déjà par ailleurs. Il imagine plutôtle nouveau site comme un lieu privilégié pour poser des questions au DGDE et exprimer sa réalité de manière constructive. « Les enfants pourronts’exprimer à travers des images, des sons, en lien avec leur vécu et la Convention des droits de l’enfant. »

Laisser les jeunes s’exprimer, David Lallemand en connaît un bout sur la question. En tant que jeune qu’il était, d’abord, quand il a commencé sur les ondesde Radio 21 où on lui a donné sa chance avant même la fin de ses études. « En septembre 2009, ça aurait fait vingt ans que j’aicommencé… ». Question symbole, il est servi puisque cela fera aussi vingt ans en novembre prochain que la Convention internationale des droits de l’enfant aété rédigée alors qu’il s’apprête à en défendre concrètement les valeurs.

De l’ONU à Vox, les débuts prometteurs du jeune David

Revenons à ses vingt ans et des poussières. Au début de sa carrière de journaliste, le fougueux David touche à tout, sans sujet de prédilection, apprend,tâtonne avec la liberté de ton propre à cette radio « jeune ». Ambiance chaleureuse, amitiés fortes, il parle de ces premiers souvenirs de radio commeon parle d’un premier amour. Avec fougue et nostalgie. C’est une époque où l’enthousiasme de la découverte lui tient lieu de moteur. Au cours d’un voyageà New York entre amis, fasciné par l’effervescence de la grosse pomme, il ose le lieu commun « je vivrai ici un jour ». Quelques temps plus tard, sans trop ycroire, il présente un concours au bureau bruxellois des Nations Unies pour devenir Press Officer au département de l’information de l’ONU. Bingo. Un bonheurn’arrivant jamais seul, la RTBF lui donne sa bénédiction pour aller humer l’air vibrant de Manhattan et travailler en anglais dans le texte pendant deux ans. En gros, le jobn’est pas très passionnant mais il lui offre l’occasion de vivre des moments uniques, en direct du Conseil de sécurité. « J’ai eu la chanced’assister à la levée des sanctions contre l’Afrique du Sud et au discours de Nelson Mandela. Ça reste gravé à jamais dans mamémoire. »

Mais l’échappée américaine a ses limites… La mère patrie lui rappelle son devoir. Fini de rigoler, le journaliste globe-trotter est bon pour leservice. « J’ai alors eu le bonheur de travailler pour Vox, le journal de l’armée », confesse David Lallemand. Il fait partie des derniers conscrits,l’armée belge va donc perdre ses bataillons de vrais journalistes qui alimentaient jusque-là Vox et Télé Vox, le temps de leur service. « On nous ademandé de former la relève, en quelque sorte. On devait expliquer à des colonels comment on devient journaliste… » Vu son sourire en coin, on imagine que çane devait pas être simple tous les jours. Heureusement, à côté de la couverture passionnante du marathon de Duisburg pour Vox, David poursuit sa carrière àRadio 21. « À l’époque, il avait été décidé de faire un journal du matin, à huit heures. Je présentais les infos en treillisavant de filer à Vox. »

La naissance d’une vocation

Fin du service, fin de l’épopée étasunienne, David Lallemand reprend ses fonctions à Radio 21. Pour quelques mois seulement. La grande sœur RTBF lui proposed’assurer la doublure de Jean-Pierre Jacqmain sur Matin Première. Une semaine sur trois, il taille le portrait de l’invité, sans complaisance. Notre homme sait se montrercorrosif. « J’avais 25 ans à l’époque et c’était un poste très exposé. C’était forcément excitant, même si cen’est pas toujours facile de se lever à 3 h du matin pour aller bosser. » Tous les travailleurs de nuit le savent : la complicité et la camaraderie sont plusfortes, les relations souvent plus solidaires quand on partage les mêmes insomnies obligatoires. L’ambiance dans le studio est telle que l’équipe a pris l’habitude depréparer un gueuleton sous le coup des 7 h du matin. « On faisait des matinées thématiques. La matinée hot-dogs fut mémorable. Je me souviendraitoujours de la t&
ecirc;te du ministre de l’Intérieur Antoine Duquesne, notre invité du jour, lorsqu’il est tombé sur le pot de moutarde et les casseroles oùcuisaient respectivement les saucisses et la choucroute. »

L’expérience là encore, lui procure des souvenirs forts, comme la couverture des attentats de New York en 2001. Mais au bout de sept années d’horaireschamboulés et de pressions, David a envie de retourner à la production. À l’époque, la journaliste Claudine Arnoldi présente une séquence audacieuse enmatinée, intitulée « Quand les jeunes s’en mêlent ». Quelques minutes de paroles non hiérarchisées où les jeunes s’exprimentsur des sujets pour lesquels on ne leur demande jamais leur avis, comme la crise de la dioxine ou la situation des femmes en Iran. « Pour une fois, on sortait des sujets traditionnellementréservés aux jeunes, le sport et la musique. J’ai tout de suite été ému, interpellé par ce que j’entendais », se souvient-il.« Ils avaient une façon de s’exprimer complètement différente de celle des adultes. C’était une nouvelle source d’inspiration pour faire notretravail de journaliste autrement. Par leur parole, leur vision des choses, les jeunes permettent d’éclairer des zones que notre condition d’adultes nous fait laisser dansl’ombre », s’enthousiasme le journaliste. Pour autant, il n’en oublie pas les principes de réalité et se met à la place des auditeurs : que vont-ilspenser de ces jeunes qui balancent leur vérité sans diplomatie ? Le « cœur de cible » de la RTBF risque de ne pas apprécier autant dejuvénile spontanéité. « Il y avait un risque réel de crisper les auditeurs et de renforcer des clichés anti-jeunes. Il y a eu des courriersd’auditeurs, des polémiques. Il fallait encadrer cette parole pour qu’elle puisse exister. Pas la cadenasser. » David Lallemand propose de structurerl’émission, d’inviter des adultes spécialistes dans les matières abordées qui puissent écouter les jeunes et répondre à leurs coups degueule et questionnements. « Souvent, derrière les propos outranciers de certains jeunes, il n’y a qu’un manque d’information et de structure. C’est aux adultesqu’il appartient de leur offrir les outils qui serviront à construire leur réflexion. »

Peu à peu, l’émission se structure autour d’un thème polémique, une fois par mois. « Et puis, il y a eu l’appel à projets de laFondation Roi Baudouin “Médias et citoyens”, pour lequel nous avons rentré une demande. Avec Claudine, on s’est pris un samedi pour cogiter. On a imaginéquelque chose de complètement incongru dans le paysage radio de l’époque : deux heures d’émission hebdomadaire avec des débats et de la musique en direct. Onbuvait un petit rosé frais et on s’est laissés aller à imaginer les trucs les plus fous. Contre toute attente, notre projet a été retenu ! »On connaît la suite… Une fois la bourse obtenue, impossible de faire marche arrière, même si les contraintes de gestion « épouvantables » lesont fait douter plus d’une fois de la pertinence de telles ambitions radiophoniques. Les deux compères n’ont pas le temps d’avoir d’état d’âme etfoncent tête baissée dans le boulot. Alors que certains collègues ne cachaient pas leur scepticisme – « les jeunes, ils n’ont quand même pasgrand-chose d’intéressant à raconter » – David et Claudine boucleront pas moins de 237 émissions. Des rencontres fortes, il y en aura des centaines. Avecdes jeunes enfermés en IPPJ, avec des jeunes dépendants, avec des jeunes en République démocratique du Congo lors d’une émission spéciale…« Douze ans après avoir commencé mon métier de journaliste, j’ai eu cette chance de découvrir pourquoi je l’avais choisi, j’en ai découvertl’utilité et la beauté. Cette émission, ces rencontres m’ont ouvert le cœur et l’esprit. La réussite, c’est de parvenir à donner laparole à des anonymes, pas de s’accrocher à un cercueil doré… »

Bousculé, ému, déstabilisé, provoqué, amusé, bouleversé, David Lallemand le sera durant les sept années au pilotage del’émission. Sans fausse naïveté. « Des cons, des amorphes, des dangereux, il y en a chez les jeunes comme chez les adultes. Mais à la différence desadultes, les jeunes ne sont pas toujours responsables de leurs actes, de leurs paroles, ou des problèmes auxquels ils sont confrontés. À la différence des adultes, ilssont en droit d’attendre un encadrement, une éducation, une formation, une aide. Il y a des gamins qui sont confrontés à des souffrances terribles, qui portent en eux desfractures immenses à pas d’âge… C’est difficile de concevoir la violence que la vie peut leur faire. On reste sans voix face à ça. »

Alors un jour, l’idée fait son chemin. David Lallemand est devenu une figure incontournable du paysage médiatique, un monsieur jeunesse invité à donner son avisd’expert sur ces jeunes qu’il a appris à connaître. Il est fier d’un parcours où il a su rester à l’écoute des jeunes et des nouveaux jeunes,sans faire de jeunisme. Fier aussi de l’évolution de l’émission, devenue une référence – « c’est la pire et la meilleure des émissionssur les jeunes, car malheureusement, il n’y en a pas d’autres ! » – fier de l’exigence de qualité qu’il a défendu durant sept ans, pour «amener les jeunes plus loin », fier d’avoir mêlé les générations au-delà des prétendus fossés. Mais après sept ans, il s’estrendu compte qu’il était prêt à lâcher la barre pour voguer sur d’autres eaux. « On m’a proposé un boulot et je me suis surpris à yréfléchir… Cela signifiait que j’étais prêt à partir. Je n’ai pas accepté ce poste mais j’ai appelé Bernard De Vos pour luiprésenter une candidature spontanée. Nous avons des visions très proches sur la manière de défendre les droits de l’enfant. Sans compter l’estime pourson travail et sa personne. J’avais envie de travailler plus en profondeur, plus concrètement sur certains dossiers. C’est rationnel et cohérent par rapport à ce queje suis aujourd’hui », explique David Lallemand.

Bien sûr, on ne quitte pas un paquebot comme la RTBF sans garder un minimum d’attache… Il laisse donc un demi-orteil à la RTBF pour superviser la production de« Quand les jeunes s’en mêlent », le temps de passer concr&egr
ave;tement le relais. Il reste aussi administrateur de l’asbl « Quand lesjeunes…2 », sa « famille », qui est indépendante de la chaîne. « Mais aujourd’hui, mon seul employeur, c’est BernardDe Vos, les choses sont très claires. » Et il s’est mis passionnément à ses nouvelles tâches. « Pour le site Internet, on imagine créer uneweb radio… » Tiens donc ?

1. Le site du DGDE sera accessible pour la rentrée au plus tôt, et au plus tard pour le 20e anniversaire de la Convention des droits de l’enfant en novembre
– adresse : rue des Poissonniers, 11-13 boite 5 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 36 99
– courriel : dgde@cfwb.be
– site : www.cfwb.be/dgde
2. Le site de l’asbl : www.quandlesjeunes.be

aurore_dhaeyer

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