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Regard critique · Justice sociale

Environnement/territoire

Polluez, vous êtes filmés

La Région wallonne a dégagé un budget pour aider les communes à s’équiper de caméras de surveillance. Objectif: lutter contre les incivilités et les dépôts de déchets clandestins. Un outil efficace, mais qui en inquiète certains.

© Flickrcc John Perivolaris

Aider les communes wallonnes à lutter contre les incivilités, c’est l’un des objectifs de la ministre régionale de l’Environnement Céline Tellier (Écolo). En septembre dernier, la ministre a dégagé un budget de 1,8 million d’euros pour aider les communes à acquérir des moyens de vidéosurveillance destinés à identifier les auteurs d’incivilités. Un appel à projets a été lancé en ce sens: 93 communes (sur les 262 que compte la région) ont introduit un dossier.

Des caméras pour protéger l’environnement? L’idée n’est pas neuve. Plusieurs communes ont déjà franchi le pas depuis plusieurs années. Et, en cette période un peu particulière, les besoins se sont faits plus criants sur le terrain. «Les incivilités ont nettement augmenté durant le premier confinement», explique-t-on au cabinet de Céline Tellier. Les dépôts clandestins de déchets se sont multipliés, sans compter les masques et les gants usagés qui pullulent sur la voie publique. D’après deux enquêtes menées cette année par l’asbl Be WaPP (Ensemble pour une Wallonie plus propre), les communes wallonnes ont constaté une recrudescence de 44% des dépôts clandestins. Des encombrants, des déchets ménagers ou des déchets verts, que les autorités communales retrouvent abandonnés dans des zones boisées ou sur des terrains agricoles.

Impossible, souvent, d’identifier les auteurs de tels actes, en particulier dans les communes rurales. C’est le cas, par exemple, à Olne, dans la province de Liège, où l’on se sent complètement démuni et impuissant face au phénomène. «Ça se passe principalement pendant la nuit, explique Cédric Halin, bourgmestre d’Olne (ex-échevin cdH, aujourd’hui au parti «Pour Olne»). Des gens viennent décharger une remorque ou un coffre de camionnette dans un endroit un peu isolé et repartent incognito. Nous, nous découvrons ça au petit matin. On constate que ce sont principalement des déchets de chantier. Probablement des gens qui n’ont pas voulu faire le tri et payer ce qu’ils devaient pour leur évacuation.»

«Si on découvre un dépôt clandestin un matin, on pourra visionner les images et voir – par exemple – si une camionnette est entrée et sortie du territoire communal durant la nuit. Cela devrait considérablement faciliter l’enquête.» Cédric Halin, bourgmestre d’Olne

Faute de pouvoir identifier les auteurs, le coût du nettoyage est donc supporté par les communes. Et la facture est salée: 70 millions d’euros pour les communes wallonnes; quelque 18.000 tonnes de déchets abandonnés chaque année dans la nature! À Olne, le bourgmestre évoque désormais une moyenne d’un dépôt clandestin par semaine sur son territoire. Un rythme intenable qui a décidé le collège communal à répondre à l’appel à projets de la Région pour s’équiper, à son tour, de caméras de surveillance.

Sanctions administratives

À quelques kilomètres de là, entre Verviers et les Cantons de l’Est, la commune de Welkenraedt (10.000 habitants) a déjà fait le choix de la vidéosurveillance, avec un certain succès. «Nous avons actuellement une dizaine de caméras fixes et une caméra mobile sur notre territoire, précise Renaud Kalbusch, échevin de l’Environnement (MR). Nous sommes assez satisfaits du dispositif et nous avons d’ailleurs, nous aussi, répondu à l’appel à projets de la Région wallonne pour pouvoir le renforcer.»

Plus urbaine qu’Olne, Welkenraedt fait face à différents types d’incivilités. «Cela va du simple citoyen qui sort de chez lui déposer un petit sac de déchets dans une poubelle publique, à la canette jetée en pleine rue, en passant par les dépôts clandestins autour des bulles à verre», poursuit l’échevin de l’Environnement. Avant d’installer les premières caméras, la commune a commencé par identifier quelques «points noirs» problématiques sur son territoire. En plus d’un certain effet dissuasif, les caméras permettent désormais aux agents constatateurs d’identifier plus facilement les auteurs d’infractions et de délivrer les sanctions administratives adéquates.

La commune d’Olne entend suivre une stratégie un peu différente. Ici, on estime en effet que la plupart des dépôts clandestins sont le fait de personnes extérieures à la commune. «L’idée, pour nous, est de placer ces caméras aux entrées et sorties de la commune», poursuit Cédric Halin. Des caméras de type ANPR, qui enregistrent les plaques d’immatriculation. «Si on découvre un dépôt clandestin un matin, on pourra visionner les images et voir – par exemple – si une camionnette est entrée et sortie du territoire communal durant la nuit. Cela devrait considérablement faciliter l’enquête.»

Des caméras sans débat

Régie par une loi qui date de 2007, la vidéosurveillance connaît un développement croissant dans nos villes depuis plusieurs années. La loi prévoit trois types de lieux avec, pour chacun, un cadre légal spécifique: lieux publics, lieux privés accessibles au public, lieux privés non accessibles au public. Dans les lieux publics, leur présence doit être clairement indiquée par un panneau de signalisation.

«La vidéosurveillance se développe de plus en plus dans l’espace public sans ce que cela suscite de débat particulier au sein de la société», indique Rémy Farge, formateur à la Ligue des droits humains (LDH). Les caméras sont utilisées depuis longtemps dans la lutte contre la délinquance urbaine. Leur usage s’est ensuite renforcé dans le cadre de la lutte antiterrorisme. Aujourd’hui, on s’en sert même pour lutter contre la pollution de l’air. La traque aux incivilités n’est qu’une étape de plus, qui témoigne – selon la LDH – d’une évolution constante des technologies, et d’un lobbying efficace de l’industrie qui les développe.

«La vidéosurveillance se développe de plus en plus dans l’espace public sans ce que cela suscite de débat particulier au sein de la société.» Rémy Farge, Ligue des droits humains

«À Bruxelles, par exemple, les fameuses caméras ANPR, qui enregistrent les plaques d’immatriculation, vont être utilisées dans le cadre des zones de basse émission, poursuit Rémy Farge. Elles sont directement reliées à un fichier de plaques d’immatriculation et permettent de déterminer si le véhicule enregistré a le droit – ou non – de circuler à cet endroit.»

Sans préjuger de l’efficacité de cette technologie, la LDH estime que l’industrie est parvenue à persuader les pouvoirs publics du caractère indispensable de la «vidéoprotection» – comme on l’appelle aussi – dans toute une série de contextes, sans qu’aucune autre alternative ne soit envisagée. «Faute de débat dans la société sur le recours systématique à la vidéosurveillance, nous posons, nous, la question du principe de subsidiarité. N’y a-t-il pas d’autres moyens tout aussi efficaces que l’on pourrait utiliser dans le même cadre, avant de choisir le recours à la vidéosurveillance?»

L’appel à projets de la Région wallonne s’est clôturé le 30 octobre. Les communes sélectionnées recevront un subside pouvant aller jusqu’à 25.000 euros.

Grégoire Comhaire

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