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"Politique des villes : le cercle des cités élues s'agrandit"

27-07-2001 Alter Échos n° 102

Il y a deux ans, l’équipe de Verhofstadt se fixait comme ambition de combler le vide en matière de politique des grandes villes et plaçait sur orbite « un commissaire dugouvernement » chargé spécialement du dossier. Même si des compétences supplémentaires lui ont été attribuées depuis, Charles Picqué1, aatteint un premier objectif : les contrats des onze villes sélectionnées en 2000 sont reconduits et étendus à quatre autres villes. Celles-ci se partageront un budget pour2001 d’un milliard et demi de francs. À charge pour elles d’échafauder des projets à caractère social, culturel ou encore immobilier pour redonner des couleursà la ville.
Rappel des faits
Début octobre 99, le Commissariat à la politique des grandes villes dépose sur la table du Conseil des ministres une note de travail sur les politiques urbaines. Elledécline les grandes pathologies sociales concentrées dans les villes : congestion, déstructuration du cadre de vie, déclin de la population, fuite des activitésindustrielles, insécurité et cristallisation de l’exclusion sociale. Plus généralement, Charles Picqué craint pour le fonctionnement de la démocratieen pointant la ségrégation spatiale (la « ghettoïsation »), qui montre la difficulté éprouvée par les pouvoirs publics à gérer, sur un territoiredonné, la cohabitation d’une population riche et d’une population plus démunie, tout autant que la concrétisation des beaux discours sur l’inter- ou lamulticulturalité. Il pointe également la perte des liens sociaux, engendrée notamment, par le faible nombre de propriétaires habitants. « Avec, dans certains quartiers, unerotation de plus de 30% par an, il est difficile d’avoir des rapports sociaux forts et une prise en considération par les locataires d’un développement à long termede ces quartiers. » Comment dés lors arriver à l’équilibre ?, demande Picqué. Il s’agit d’éviter la fracture entre la ville productrice derichesses et la ville concentration des détresses sociales et humaines. C’est ainsi que les contrats de ville naissent, consacrés par la loi du 17 juillet 2000. Cette loi, »déterminant les conditions auxquelles les autorités locales peuvent bénéficier d’une aide financière de l’État dans le cadre de la politiqueurbaine », habilite l’État à octroyer un soutien spécifique aux villes connaissant de façon sensible des problèmes inhérents au milieu urbain :dégradation du bâti, exode de la population, conflits de cohabitation, mobilité, …
L’arrêté royal du 12 août 2000 d’application de la loi traduisait la volonté du gouvernement d’intervenir rapidement en faveur des grands centres urbainscorrespondant aux villes, agglomérations ou communes de plus de 150.000 habitants. Il s’agissait d’Anvers, Gand, Liège et Charleroi. À Bruxelles, les 7Úommunes ayant sur leur territoire des quartiers reconnus dans le programme européen de l’objectif 2 avaient également été retenues (Anderlecht,Bruxelles-Ville, Forest, Molenbeek, St-Gilles, St-Josse et Schaerbeek).
157 millions à partager entre les 4 nouvelles localités
Aujourd’hui, une nouvelle étape vient d’être franchie, avec la désignation de quatre villes supplémentaires pour bénéficier de larépartition du milliard et demi inscrit au budget 2001. La majeure partie de ce budget est absorbée par les 11 villes et communes désignées dansl’arrêté royal du 12 août 2000. Le solde, soit 157.125.000 FB, a été réparti entre les quatre nouvelles villes, au prorata de leur population. ÀAnvers, Gand, Charleroi, Liège et les 7 communes de Bruxelles, club des onze initiaux établis en 2000, s’ajoutent La Louvière, Mons, Seraing et Ostende. Reste àconclure, là aussi, des contrats avec les autorités locales, afin de lancer des programmes de régénération urbaine qui, dans les cités inaugurales, portentsur l’embellissement du cadre de vie, la dynamisation sociale et culturelle, l’amélioration de la sécurité, le renforcement de l’économie locale,etc.
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Un véritable portrait-robot des quartiers défavorisés
L’efficacité de la politique de la ville est subordonnée à l’identification des zones urbaines connaissant des difficultés structurelles et ensuite par leciblage de l’intervention de l’autorité sur ces zones sensibles. Or, il semblerait que dans notre pays, les données à caractère strictement urbain sont encoretrop rares ou dispersées. D’où l’idée de Charles Picqué de faire réaliser l’étude « Structures sociales et quartiers en difficulté »,effectuée en 2001 par l’ISEG (KUL) et l’IGEAT (ULB)3. La recherche avait pour objet la mise au point d’un ensemble d’indicateurs permettant d’identifier lesquartiers cumulant des difficultés sur les plans socio-économiques et urbanistique dans les grandes villes belges. Par grandes villes, on entend ici les 17 régions urbaines,délimitées à partir des données du recensement 1991. Il s’agit des régions urbaines de Bruxelles, Liège, Charleroi, Anvers, Mons, La Louvière,Verviers, Gand, Namur, Ostende, Hasselt , Saint-Nicolas, Courtrai, Tournai, Malines, Bruges et Louvain. Le seuil choisi pour identifier les quartiers en difficulté a été celuicorrespondant à la concentration de 15% de la population de l’ensemble des régions urbaines belges vivant dans les secteurs statistiques identifiés comme les plusdéfavorisés. Les méthodologies respectives utilisées par les deux équipes identifient les mêmes zones de difficultés majeures.
638 zones urbaines dans le rouge : Bruxelles en tête !
Sur les 638 secteurs statistiques en difficulté retenus, 180 sont situés dans la région urbaine de Bruxelles. Ils abritent 19% de la population de cette région urbaine.Cette zone est plus large que les limites de la Région de Bruxelles-Capitale ; si l’on considère la Région seule, on compte 30% de la population vivant dans des quartiersen difficulté.
En dehors de Bruxelles, la majorité des quartiers en difficulté se situe dans les villes wallonnes. Selon les chercheurs, cela traduit les conséquences d’un passéindustriel lourd et les difficultés de reconversion de ce type de tissu urbain, ne pouvant généralement pas s’appuyer sur une forte structuration urbaine, historiquepréindustrielle : 28% de la population de la région urbaine de Charleroi vit dans des quartiers en difficulté, 27% de celle de Liège, 23% de celle de Verviers, 21% decelle de Mons, 18% de celle de La Louvière.
En Région flamande, la grande majorité de la population vivant dans des quartiers en difficulté habite Anvers, mais en pourcentage de la population de la région urbaine,Ostende vient e
n tête (14% contre 13% à Anvers et 11% à Gand).
L’étude a également permis de réaliser une différenciation typologique des quartiers en difficulté, les caractéristiques principales de laprécarité n’étant pas les mêmes partout. « Un type bruxellois, très spécifique, se caractérise par une précarisation maximale,associée à une présence étrangère très forte. Un type wallon, caractéristique des villes du sillon wallon, correspond plutôt aux habitats encorons, largement construits avant 1945, voire avant 1914, explique Christian Vandermotten, de l’ULB. Les types urbains fortement ou faiblement précarisés sont fortcaractéristiques d’Anvers. Par rapport au type bruxellois, ils se caractérisent par une moindre présence étrangère et par contre plus d’isolés etde minimexés, une moindre suroccupation des logements que celle que l’on trouve à Bruxelles dans les quartiers peuplés de grandes familles d’immigrés. »
Toujours selon l’étude, le « type social fortement précarisé » se caractérise quant à lui par des niveaux très élevés de chômage. Ilest caractéristique des quartiers de logements sociaux en immeubles tours-récents. On le trouve également essentiellement dans certains quartiers bruxellois et dans les villeswallonnes, « mais il est évident, soulignent les chercheurs, qu’il s’agit de formes de logement bien peu typiques des villes belges, à la différence de la France, parexemple. »
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Répartition du budget
Les budgets prévus sont de 449,877 millions pour la région de Bruxelles-Capitale (506.299 habitants concernés), 397,748 millions pour Anvers (447.632 hab.), 179,507 millionsà Charleroi (202.020 hab.), 166,639 millions pour Liège (187.538 hab.), 48,380 millions pour Mons (91.187 hab.), 40,778 millions pour La Louvière (76.859 hab.), 35, 709 millionspour Ostende (67.304 hab.) et 32.258 millions pour Seraing (60.800 hab.).
Si Bruxelles se taillait déjà la part du lion et si l’équilibre entre Flandre et Wallonie vient d’être rompu (3 communes contre, au lieu de 2 et 2), c’estpour des raisons objectives, a certifié le ministre. Et comme en coulisses, certains en doutaient, exerçant même des pressions afin de rendre « éligibles » des entitésélectoralement rentables pour eux mais qui ne le méritaient pas, Charles Picqué a commandé une cartographie, sur l’ensemble du pays, des quartiersdéfavorisés.
Il a présenté le 17 juillet le fruit du travail de deux équipes universitaires qu’il avait mandatées (l’Iseg de la KUL et l’Igeat de l’ULB,dirigés respectivement par les professeurs Kesteloot et Vandermotten). Le document intitulé « structures sociales et quartiers en difficulté » contient quelques donnéesédifiantes (cf. encadré), dont le ministre a retiré la conclusion générale que, pour des raisons essentiellement historiques, le problème est principalementbruxellois et wallon.
Les contrats de ville ont toutefois leurs limites, comme le reconnaît Charles Picqué. « Si ce programme apporte des compléments et met l’accent sur des projets originaux, ilne suffira sûrement pas à résoudre les problèmes des villes. » Pour le ministre des villes, il est indispensable d’actionner d’autres leviers, notamment pour »réduire les déséquilibres fiscaux » qui désavantagent les habitants des grandes villes. Il a à ce sujet fait une série de propositions (cf. encadréci-contre) qui seront étudiéesÚpar un groupe de travail intercabinets qui remettra son rapport au Conseil des ministres en fin d’année. « Même s’il existedes injustices actuellement, a conclu Charles Picqué, agissons avec la plus grande prudence. »
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Politique des grandes villes et fiscalité
Charles Picqué avait lancé au mois de mars 2001, l’idée d’une concertation entre les Régions et l’État fédéral pour discuter depistes fiscales susceptibles de contribuer à rendre la ville du XXIe siècle viable et attractive. Ses propositions peuvent être classées en quatre grands groupes de mesurespermettant de créer, dans les grandes villes en général et dans leurs quartiers défavorisés en particulier, un climat fiscal incitant, selon le ministre, les gensà venir y vivre, y habiter et y travailler.
1) Les incitants fiscaux proprement dits en faveur des quartiers défavorisés :
– Le report de l’entrée en vigueur de la réévaluation du revenu cadastral consécutive à une rénovation ;
– L’exonération fiscale des subventions publiques.
2) La suppression des règles fiscales qui, dans la pratique, désavantagent les grandes villes :
– La péréquation générale des revenus cadastraux ;
– L’adaptation des règles en matière de taux réduit de droit d’enregistrement.
3) Une nouvelle répartition des ressources fiscales entre les pouvoirs locaux.
4) Des mesures fiscales pour soutenir la politique en matière d’urbanisme et de logement qui tend à réaliser une mixité sociale :
– Taux de TVA de 6% pour la construction de logements sociaux ;
– Une exonération du droit d’enregistrement lors de l’acquisition d’habitations par les sociétés de logement social, etc.
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Politique des villes sur le terrain
Le projet « Charleroi Porte-Ouest »
Depuis quelques mois, un espace-citoyen se met progressivement en place sur la zone de Marchienne et Monceau. Baptisée « Charleroi Porte-Ouest », cette inititiative du CPAS de la ville deCharleroi, financée par le programme fédéral « Politique des grandes villes », s’est trouvée, selon son responsable Frédéric Abaïgar2, « aucroisement des intérêts de plusieurs intervenants qui y ont vu la possibilité d’intégrer leurs projets ».
Le concept d’espace citoyen est calqué sur celui des centres civiques espagnols, lancés par les « Associations de voisins » catalanes dans l’idée de « casser » lescloisonnements entre les différents âges de la vie en intégrant dans un même bâtiment des espaces spécialisés (crèche, école de devoir,antenne sociale…) et des lieux où tous peuvent se rencontrer. Mais à travers ce décloisonnement des actions sociales, il s’agit aussi de concrétiser le principe de »participation ». Le terme fait immédiatement sourire Frédéric Abaïgar, responsable de l’espace : « je lis des dizaines de rapports qui la préconisent mais sanspour autant la voir se concrétiser… ». Mais ici, et c’est un pas important, le CPAS a admis le principe de travailler avec l’ensemble des acteurs du quartier. Au point que lescentres de ressources de Dampremy et de Docherie, qui à leurs débuts n’avaient pas pris en compte les initiatives citoyennes
existantes, vont également se muer en « espaces-citoyens « .
Une concertation réelle
Pratiquement, le travail avec les habitants s’est organisé autour d’une série d’espaces de concertation organisés autour de thèmes spécifiques (5pour le moment) : le développement économique, le logement, la culture et la citoyenneté, le commerce et l’école. Ces processus permanents de concertationprivilégient chacun trois objectifs censés assurer la confiance entre partenaires : la circulation de l’information, les échanges d’expérience et le travailsur des projets concrets.
« Notre véritable chance, raconte Frédéric Abaïgar, c’est que le bâtiment de « Charleroi Porte-ouest », n’a pas tout de suite été prêt, cequi nous a obligés à aller rencontrer les gens là où ils se trouvaient. On a donc parcouru les écoles et on a essayé d’expliquer de manièreapprofondie ce qu’était un espace-citoyen. Et à notre deuxième rencontre : surprise !, des projets avaient été travaillés indépendamment parl’ensemble des établissements de la zone. » Les trois médiateurs scolaires de Charleroi (un par réseau) ont amorcé une démarche de rassemblement autour :
> du projet d’éducation à l’utilisation d’infrastructures collectives par le biais de la revalorisation du Parc Monceau (en collaboration avec les écoles,les éducateurs de rue…) ;
> un travail de mémoire collective avec les habitants ;
> trois projets de rencontre entre les familles et l’école.
Plus globalement, Charleroi Porte-Ouest se veut d’ailleurs un espace pédagogique où prendront place des formations continuées, une école de devoirs, des initiationsaux nouvelles technologies, des « CLAP »… Un Clap est un comité local d’aide au projet (instrument lancé à Lille),grâce auquel cent mille francs sont octroyésà fonds perdu à un groupe de jeunes pour qu’il puisse mener à bien un projet…
Dans le cadre de son action socio-économique, « Charleroi Porte-Ouest » commence à accueillir des personnes détachées de différentes institutions comme le Service desanté mentale du CPAS ou la Mirec. De la Mission régionale pour l’emploi sont venus deux travailleurs sociaux : l’un se charge de monter un service d’accueil etl’autre, d’assurer la prospection dans les entreprises et le suivi des personnes qui font appel à ce service. Comme l’explique F. Abaïgar : « on a pu constater quemême les services sociaux ont tendance à écrémer les bénéficiaires d’aides. En ouvrant un espace-citoyen dans le quartier, on limite ce genre de risqueset on se ménage un accès plus direct aux infos ». Comme le fait que le garage situé en face de l’espace-citoyen cherche à engager…
« Charleroi Porte-Ouest » semble aussi rendre le politique attentif aux demandes des acteurs locaux : l’échevin des sports remanie ainsi son propre projet pour le parc Monceau. Mêmesi l’espace-citoyen a ses limites : il ne pourra pas trancher les problèmes de pollution de terrain que le comité de quartier soulève face au projet Usinor dereverdurisation d’anciens terrains de Cockerill. « Il ne remplace pas le politique ».
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1 Cabinet Picqué, Square de Meeûs, 23 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 506 51 11, fax : 02 514 46 83, e-mail: charles.picque@cab.picque.fed.be
2 Espace citoyen, rue de la Providence, 20 à 6030 Marchienne-au-Pont – tél. : 071 50 04 23 – fax : 071 53 54 92 ; e-mail (à partir du mois d’octobre) :espace.cit.po.01@skynet.be
3 « Strucures sociales et quartiers en difficulté dans les régions urbaines belges », KULeuven (Christian Kesteloot & Annemie De Turck) et ULB (Christian Vandermotten, Pierre Marissal& Gilles Van Hamme). L’Atlas a été réalisé de telle sorte que les différentes cartes pourront faire l’objet de confrontations et de comparaisons,regrettons toutefois que les légendes n’aient pas été mises en regard des cartes, ce qui en aurait grandement facilité la lecture…

Donat Carlier

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