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Plan d'activation : évaluations croisées

La mise en œuvre du Plan d’accompagnement et de suivi des chômeurs en juillet 2004 avait été assortie d’une promesse de procéder à son évaluationaprès trois ans. Quatre ministres et autant d’années plus tard, cette promesse connaît un début de concrétisation.

16-03-2008 Alter Échos n° 248

La mise en œuvre du Plan d’accompagnement et de suivi des chômeurs en juillet 2004 avait été assortie d’une promesse de procéder à son évaluationaprès trois ans. Quatre ministres et autant d’années plus tard, cette promesse connaît un début de concrétisation.

Pilotées par le cabinet du ministre de l’Emploi du gouvernement intérimaire, Josly Piette (CDH), trois réunions d’évaluation ont eu lieu en février et mars2008. Elles ont notamment fourni l’occasion de présenter le rapport d’évaluation de l’Onem au 31 décembre 2007, ainsi qu’une version presquefinalisée d’un rapport extérieur, commandé à Idea Consult, et d’écouter les partenaires sociaux, et les ministres et organismes régionauxchargés du volet accompagnement du plan (Forem, Orbem et VDAB).

Des interprétations divergentes sur la pertinence…

Les chiffres qui figurent dans le rapport de l’Onem font l’objet de la – presque rituelle – querelle d’interprétation entre partisans et adversaires du plan. Celle-ci porteprincipalement sur deux points : l’efficacité du dispositif en matière de retour à l’emploi, d’une part, et son caractère plus ou moins sanctionnel par rapport aumécanisme de l’article 80 qu’il remplace, d’autre part1.

Sur le premier point, l’Onem tient pour preuve de la pertinence du plan, la baisse sensible du nombre de chômeurs situés dans les tranches d’âge concernées par sonapplication. Ainsi, entre le 1er juillet 2004 (date de la mise en œuvre du plan pour les moins de trente ans) et le 31 décembre 2007, le nombre de demandeurs d’emploi de moinsde trente ans a baissé de 19 %. Pour les 30-40 ans, « activés » un an plus tard, la période d’activation (du 1er juillet 2005 au 31 décembre 2007)correspond à une baisse de 23 %. Enfin, pour les 40-50 ans, la baisse atteindrait 18 % (entre le 1er juillet 2006 et le 31 décembre 2007).

Mais, observent les adversaires du plan, ces fortes baisses pourraient n’être rien d’autre que la traduction chiffrée d’une période de conjoncture favorable,indépendante du dispositif lui-même. Et, surtout, il s’agit de mettre en parallèle ces baisses avec la hausse corrélative, particulièrement marquée, du nombrede demandeurs d’emploi de plus de cinquante ans (+76 % entre juillet 2004 et décembre 2007). Un chiffre qui semblerait corroborer, au moins partiellement, les critiques de ceux qui ne voientdans les effets positifs en termes de remise à l’emploi des catégories concernées (les moins de cinquante ans), rien d’autre qu’un déversement sur lesplus âgés, autrement dit, un changement dans l’ordre de la file de sortie (plutôt qu’un raccourcissement de cette même file2); c’est, par exemple, lesens d’une carte blanche publiée dans Le Soir du 11 mars et cosignée par des représentants de la CSC, de la FGTB, de la Ligue des droits de l’Homme et du collectifSolidarité contre les exclusions.

Quels qu’en soient les facteurs explicatifs, ces chiffres cadrent évidemment mal avec la volonté politique, principalement flamande, d’augmenter le taux d’emploi destravailleurs âgés. On se souviendra en outre que l’extension du dispositif aux plus de cinquante ans avait fait l’objet d’un accord au sein de l’Orange bleue.À l’heure de mettre sous presse, le contenu du prochain accord gouvernemental en la matière n’est pas encore connu, pas plus que le nom et la couleur du ministre qui serachargé de le mettre en œuvre3. Sans se prononcer sur la pertinence d’une telle mesure, elle aurait au moins le mérite de permettre d’appréhender un peu mieuxl’effet « net » du plan, puisqu’elle supprimerait le « déversement » sur les plus de cinquante ans. Elle constituerait en quelque sorte un « test grandeur nature» des hypothèses de travail et des causalités alléguées !

… et sur les sanctions

Second point de discorde : les sanctions. S’appuyant sur le nombre de sanctions prises dans le cadre du dispositif stricto sensu, Josly Piette conteste les termes de « chasse auxchômeurs » ou de « machine à exclure ». Agrégeant au contraire une série de chiffres dont ceux des sanctions prononcées par l’Onem sur la based’informations transmises par les organismes régionaux, le collectif Solidarité contre l’exclusion, qui coordonne la plate-forme Stop chasse aux chômeurs, parvient, pourl’année 2007, à une estimation de 15 521 sanctions à durée indéterminée, soit une hausse de 46 % par rapport à l’année 2004. Quant auxsanctions à durée déterminée, c’est vers un doublement du nombre de semaines de suspension qu’on s’orienterait entre 2004 et 2007.

Des propositions techniques

En regard de ces enjeux et orientations de fond, les propositions présentées – et acceptées – en Kern (Conseil des ministres restreint) par Josly Piette demeurentrelativement techniques :

• Un approfondissement par les partenaires sociaux de leur proposition au Comité de gestion de l’Onem, afin de prendre en compte les réactions des entitésfédérées : il s’agit notamment d’étudier la faisabilité pour les Régions d’étendre l’accompagnement aux plus de cinquante ans (les Régionsbruxelloise et wallonne y étant opposées pour des raisons budgétaires) ; il s’agit également de se prononcer sur le raccourcissement du délai de convocation aupremier entretien d’évaluation, actuellement fixé à vingt-et-un mois de chômage. Si les syndicats acceptent de le voir réduit à quinze, ils souhaiteraient quece premier entretien soit alors mené en tandem, non seulement avec un facilitateur de l’Onem, mais également avec le conseiller emploi des organismes de placement régionaux, quiaurait une connaissance plus approfondie des parcours individuels. Cette option de tandem est également contestée par les Régions wallonne et bruxelloise, au nom des mêmesraisons budgétaires et organisationnelles, mais également du brouillage accru qu’elle opèrerait entre les fonctions de contrôle dévolues au fédéral etcelles d’accompagnement incombant aux Régions.

• Une analyse au sein d’un groupe de travail mixte, de la problématique des demandeurs d’emploi éloignés du marché du travail : il s’agit de personnesqui, pour des raisons psychiatriques notamment, sont considérées comme inaptes à réintégrer le marché du travail, tant au sein de l’économietraditionnelle que de l’économie sociale, et pour lesquelles les dispositifs d’activation se révèlent clairement inadaptés.

• Un examen plus approfondi du suivi des exclusions et des transferts vers les CPAS. Le terme de « traçabilité » est même employé pour mieuxconnaître le parcours des exclus. Une étude réce
nte de la fédération des CPAS de l’Union des villes et des communes wallonnes, avait en effet constaté que 46% des chômeurs exclus ou suspendus s’adressaient aux CPAS – sans que ne soit connu le destin des autres 54 %…

Pour les orientations politiques plus fondamentales, c’est évidemment au prochain accord de gouvernement qu’est renvoyé le dossier. Mais, en tout état de cause, Yves Martensrappelle une des revendications les plus anciennes de la plate-forme Stop chasse aux chômeurs : que l’évaluation du dispositif ne soit pas uniquement l’affaire de l’Onem, de consultantsprivés et de discussions dans des cénacles fermés entre interlocuteurs sociaux, mais qu’elle comporte également un élément public et démocratique,à savoir l’audition au Parlement de l’ensemble des acteurs de terrain concernés. À cet égard, il ne considère pas que le processus actuel ait acquitté legouvernement de ses obligations d’évaluation qualitative.

1. L’article 80, suspendu par la nouvelle procédure, excluait « automatiquement » les cohabitants chômeurs de longue durée (qui dépassaient d’unefois et demie la durée moyenne de chômage de leur sous-région), avec néanmoins des conditions de revenus et de passé professionnel qui n’existent pas dans lePlan d’activation.

2. Du côté de l’Onem, on explique au contraire cette forte hausse par une adaptation réglementaire de juillet 2002 qui a durci l’octroi de la dispense d’inscription commedemandeur d’emploi pour les chômeurs de plus de cinquante ans. Reste à savoir si cet effet-là n’avait pas joué à plein avant même l’entrée en vigueur duplan : entre juillet 2002 et juillet 2004, le nombre de demandeurs d’emploi de plus de cinquante ans avait en effet déjà augmenté de 121%. Au total des six années, leurnombre a donc été multiplié par 3,67 !

3. Rappelons que portefeuille de l’Emploi au fédéral a vu se succéder les SP.A Frank Vandenbroucke, Freya Van den Bossche et Peter Vanvelthoven. Quant à JoslyPiette, il n’a jamais fait mystère de son intention de n’y rester que le temps d’un intérim. C’est donc pas moins de cinq ministres qui se serontsuccédés à ce poste depuis le lancement effectif de la procédure d’activation en juillet 2004.

Edgar Szoc

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