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Participer à l’école, une utopie?

Une école démocratique et participative, où les élèves ont la parole, c’est possible? Si des projets existent, ceux-ci s’adressent souvent aux classes sociales les plus privilégiées. Pour les autres, versés dans un système traditionnel largement plus vertical, la situation paraît plus compliquée…

«De plus en plus d’enfants quittent les écoles officielles». En avril 2017 («Lonzée: à l’école de demain?», Alter Échos n°444, avril 2017), Alter Échos dressait ce constat dans un article consacré à la création d’une école «démocratique» du côté de Lonzée, près de Gembloux. Certes, à l’époque, le phénomène reste marginal. On parle tout au plus de 1.000 élèves à Bruxelles et en Wallonie. Mais il semble tout de même en augmentation. En 2009, seuls 500 élèves étaient concernés.

Pour une bonne partie, ces jeunes quittant l’enseignement officiel se dirigent vers des écoles privées, dont fait partie l’école démocratique de Lonzée. Basée sur les concepts de la pédagogie Freinet ou Montessori, créée par des parents voulant rompre avec le système scolaire traditionnel, elle s’inscrit dans le boom actuel des pédagogies alternatives. «De plus en plus de parents pensent qu’il est aujourd’hui hors de question de promouvoir une éducation disciplinaire et rigide pour les enfants. Ils ne veulent plus de ça. Il existe une véritable demande pour réformer l’école», expliquait ainsi – en 2019 – Elsa Roland, chercheuse en sciences de l’éducation à l’ULB, dans les pages de notre magazine («Pédagogies alternatives: élitistes ou émancipatrices?», Alter Échos n°472, mars 2019).

À Lonzée, pas de programme ou de notes donc, mais un établissement «qui se définit comme un lieu d’apprentissage à la créativité, à l’autonomie, au respect des singularités et des rythmes individuels», écrit notre journaliste. Les vingt élèves, âgés de 3 à 17 ans, travaillent ensemble, décident de ce qu’ils veulent apprendre, alors que les enseignants «jouent un rôle de facilitateurs pour l’enfant, en créant pour lui un espace de coopération et d’entraide facilitant les apprentissages individuels et collectifs», explique à l’époque Romain Gauthier, un des trois professeurs de l’école. Un système collaboratif, participatif, collectif fort qui constitue la spécificité des pédagogies alternatives, souligne Elsa Roland, et qui se situe donc en opposition avec l’école «traditionnelle», qui reste «un système ultra-autoritaire», analyse en 2022 Véronique de Thier, responsable politique de la Fédération des parents et des associations de parents de l’enseignement officiel (Fapeo) dans un article consacré aux grèves dans les écoles («Élèves: la grève en ultime recours», Alter Échos n°505, septembre 2022).

«L’école, ce n’est pas démocratique, c’est hyper-hiérarchique, c’est un peu l’Ancien Régime avec les lettres de doléances.»

Un professeur de l’Athénée Andrée Thomas, à Forest, en 2022.

Tout est donc bien qui finit bien? Pas tout à fait. Car à Lonzée, fonctionner dans une école «démocratique» et participative a un coût: 300 euros par mois et par enfant. Autant dire que le projet s’adresse aux personnes qui en ont les moyens et que les classes populaires en sont exclues. Un constat que l’on peut effectuer pour la majorité des écoles porteuses de projets pédagogiques alternatifs et qui pose problème alors que les «textes de loi censés garantir la gratuité de l’enseignement obligatoire ne manquent pas», notamment le décret «Missions» du 24 juillet 1997, rappelions-nous en 2020 («Frais scolaires: demandez l’addition», Alter Échos n°481, février 2020).

Hyper-hiérarchie

Et pour les autres élèves, ceux dont les parents ne peuvent pas débourser 300 euros par mois, comment cela se passe-t-il? En 2022, nous revenions sur le cas de l’Athénée royal Andrée Thomas, à Forest. Gangréné par les problèmes (insalubrité, hygiène, chauffage défaillant, manque de matériel, organisation), l’établissement avait vu les professeurs partir en grève, avant que les élèves ne suivent le mouvement. Ces derniers avaient bien tenté de faire entendre leurs griefs via les délégués d’élèves, mais «cela n’a rien changé. La direction écoutait, disait ‘ah oui’ et puis c’était tout. […] L’école, ce n’est pas démocratique, c’est hyper-hiérarchique, c’est un peu l’Ancien Régime avec les lettres de doléances», nous expliquait à l’époque un professeur présent au moment des événements datés de 2019 («Élèves: la grève en ultime recours», Alter Échos n°505, septembre 2022).

En Fédération Wallonie-Bruxelles, le décret du 12 janvier 2007 «relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française» prévoit effectivement bien que des délégués des élèves soient élus et que les «délégués de classe d’un même cycle ou degré forment le conseil des délégués d’élèves». Sa mission? Centraliser et relayer les questions, demandes, avis et propositions des élèves au sujet de la vie de l’école auprès du chef d’établissement, du pouvoir organisateur et du conseil de participation.

« Les conseils ne sont pas pensés comme un lieu de conflit, de revendication, de pouvoir souverain pour les élèves. »

Francis Dupuis-Dupéri, Université du Québec à Montréal (UQAM), en 2022

Ce dernier constitue un deuxième niveau de discussion possible puisqu’il réunit notamment le chef d’établissement et des membres élus du personnel ouvrier et administratif, des parents, des enseignants ou encore des élèves. Ses objectifs sont multiples et, sur le papier, ambitieux: débattre et émettre un avis sur le projet d’établissement, le règlement d’ordre intérieur, remettre un avis sur le plan de pilotage, étudier et proposer des actions de soutien et d’accompagnement… Pourtant, dans les faits, la situation n’est pas aussi idyllique. «On pense toujours que ces conseils, c’est de la démocratie, mais ce n’est pas vrai, renchérissait dans le même article Francis Dupuis-Dupéri, professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les conseils ne sont pas pensés comme un lieu de conflit, de revendication, de pouvoir souverain pour les élèves. Il y a au contraire une présence des adultes qui leur permet de canaliser, de bloquer les revendications des élèves et de mettre en place une stratégie de gain de temps.»

Et pour les parents tentés de participer pour mettre en avant les réalités de leurs enfants, c’est le même tarif si l’on en croit Véronique de Thier. «Les faire participer pour apporter des gâteaux, ça, il n’y a pas de souci. Mais leur donner une place réelle dans les organes de démocratie scolaire, c’est une autre paire de manches», pestait-elle dans nos pages en 2022 («Inégalités scolaires: les mamans au front», Alter Échos n°505, septembre 2022).

Face à cette situation, les élèves n’ont donc souvent qu’une solution: la grève ou la manifestation. C’est ce qui a fini par se passer à Forest. Quant aux parents, Véronique de Thier s’était également fait son opinion en 2022. «Je rêve qu’à un moment donné, ce soient les parents qui fassent grève», lâchait-elle, un sourire en coin…

 

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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